Passion Modernistes vous propose des interviews de jeunes historiens qui travaillent sur l’histoire moderne, une période historique qui va de la Renaissance jusqu’à la Révolution française.
Podcast créé par Fanny Cohen Moreau depuis janvier 2019
Retrouvez le podcast sur Twitter et Facebook
Épisode 43 – Amélie et les ambassadeurs au XVIème siècle (Passion Modernistes)
Comment vivaient les ambassadeurs en France et en Angleterre au XVIème siècle ?
(suite…)
10/15/2024 • 42 minutes, 45 seconds
Épisode 42 – Bérénice et l’esclavage dans les Antilles françaises (Modernistes)
Comment la France a-t-elle instauré l’esclavage dans les Antilles françaises à l’époque moderne et quelles en furent les évolutions ?
(suite…)
7/26/2024 • 47 minutes, 32 seconds
Épisode 41 – Bérengère et les apothicaires au XVIIIème siècle (Passion Modernistes)
Quelle était la place d’un apothicaire à Paris, au XVIIIème siècle, et en quoi consistait cette profession si règlementée ?
(suite…)
5/31/2024 • 58 minutes, 14 seconds
Épisode 40 – Pauline et Anne Mackintosh (Passion Modernistes)
En Écosse, quel a été le rôle d’Anne Mackintosh dans la seconde révolte jacobite de 1745 ?
(suite…)
3/29/2024 • 1 hour, 5 minutes, 42 seconds
Épisode 39 – Raphaël et les protestants en Alsace (Passion Modernistes)
Comment se développe le protestantisme en Alsace, comment vivent les protestants dans ce territoire ?
(suite…)
2/1/2024 • 39 minutes, 12 seconds
Hors-série 3 – La Game Jam des RDV de l’Histoire de Blois 2023 (Passion Modernistes)
Comment réaliser des jeux vidéo à partir de thèses d’histoire ?
(suite…)
1/19/2024 • 58 minutes, 13 seconds
Épisode 38 – Blandine et Thomas Cromwell (Passion Modernistes)
Qui était Thomas Cromwell et quel rôle a-t-il joué auprès d’Henri VIII d’Angleterre ?
(suite…)
10/20/2023 • 45 minutes, 45 seconds
Épisode 37 – Victor et la poésie persane (Passion Modernistes)
Qu’est-ce que la poésie persane dans l’Inde des XVIème et XVIIème siècles ?
(suite…)
8/23/2023 • 51 minutes, 52 seconds
Épisode 36 – Fanny et les harpes (Passion Modernistes
Quelle est la place des harpes dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et quelles furent ses évolutions techniques ?
(suite…)
7/5/2023 • 43 minutes, 2 seconds
Épisode 35 – Pol et le chocolat (Passion Modernistes)
Quels liens existaient entre la ville de Nantes et le commerce du chocolat ?
(suite…)
4/30/2023 • 44 minutes, 48 seconds
Épisode 34 – Claire et les femmes dans les révoltes au XVIIIème siècle (Passion Modernistes)
Comment les femmes agissaient lors des révoltes dans les campagnes lyonnaises au XVIIIème siècle ?
(suite…)
2/17/2023 • 53 minutes, 25 seconds
Épisode 33 – Thomas et les pirates (Passion Modernistes)
Quelle était la vie des pirates aux XVIIème et XVIIIème siècle ? Écoutez cet épisode pour en savoir plus !
(suite…)
12/30/2022 • 52 minutes, 14 seconds
Épisode 32 – Gillian et le travail à Nantes au XVIIIème siècle (Passion Modernistes)
Comment travaillait-t-on à Nantes au XVIIIème siècle ?
(suite…)
10/31/2022 • 37 minutes, 15 seconds
Épisode 31 – Merwan et les relations entre la Normandie et le Maroc au XVIe siècle (Passion Modernistes)
Quelles étaient les relations entre la Normandie et le Maroc au XVIème siècle ?
(suite…)
8/17/2022 • 41 minutes, 8 seconds
Épisode 30 – Natacha et Christine de Suède (Passion Modernistes)
Une femme roi, née protestante et protectrice des arts auprès du pape ? Découvrez l’épopée de Christine de Suède dans cet épisode !
(suite…)
6/1/2022 • 59 minutes, 12 seconds
Épisode 29 – Gautier et la rumeur pendant les guerres de religions (Passion Modernistes)
Pendant les guerres de religion, le bruit court et vite. À la fois outil d’information et arme redoutable, la rumeur est un enjeu majeur dans une période de guerre civile.
(suite…)
3/29/2022 • 39 minutes, 24 seconds
Épisode 28 – Maëlle et un voyage au Siam au XVIIème siècle (Passion Modernistes)
Voyagez dans les terres fertiles de l’Asie du Sud Est vers le Siam de l’époque moderne, lieu de hautes luttes entre Orient et Occident, mais aussi entre occidentaux…
(suite…)
1/20/2022 • 34 minutes, 43 seconds
Épisode 27 – Nicolas et le cannibalisme au XVIIIe siècle (Passion Modernistes)
Le cannibalisme au XVIIIe siècle, une affaire sensible pour assouvir votre faim de connaissances !
(suite…)
11/23/2021 • 45 minutes, 19 seconds
Épisode 26 – Seva et l’astrologie au XVIe siècle (Passion Modernistes)
Quelle était la place de l’astrologie au XVIème siècle en France ?
(suite…)
11/3/2021 • 39 minutes, 53 seconds
Épisode 25 – Simon et les épées de cour (Passion Modernistes)
Affûtez vos connaissances sur les épées de cour du XVIIe au XIXe siècle avec Simon Colombo !
Portrait Simon Colombo
Dans cet épisode, Simon Colombo tire de son fourreau le sujet intrigant des épées de cour. Simon nous présente sa thèse « L’épée de cour de la première moitié du XVIIe siècle à l’aube du XIXe siècle » sous la direction de Pascal Julien (Université Toulouse – Jean Jaurès), commencée en 2018.
Simon Colombo présente l’importance et les détails des épées de cour, armes civiles dérivées de la rapière du début de l’époque moderne. Entre décoration et arme blanche, indicatrice de rang militaire comme social, Simon Colombo vous parle de cet objet ambivalent. Les armes qu’il étudie proviennent des collections de beaucoup de cours d’Europe, parfois de lointains maîtres forgerons, allant jusqu’au Japon.
De l’affirmation du rang de la noblesse à l’après Révolution Française
Epée de cour, travail français ou anglais, vers 1780, Paris, Musée de l’Armée (copyright Simon Colombo)
Simon Colombo raconte dans l’épisode comment l’épée de cour est devenu peu à peu un élément de mode et de distinction sociale. Particulièrement développée en France, l’épée de cour dérive de la rapière du XIVe siècle. Raccourcie et allégée, elle profite de l’immense influence française à la fin du règne de Louis XIV. Elle se diffuse ensuite en Angleterre, aux Flandres, en l’Italie et jusqu’à la Russie.
Les colonies européennes en Amérique sont aussi d’important lieux de production, mais aussi l’Asie, où se développe un marché de la création d’épées de cour à destination des cours européennes, revisitées par les courants de décoration du Japon et du Tonkin.
L’épée de cour au râtelier de la typologie
Epée écaille de tortue, Naples, vers 1720, New York, Metropolitan Museum of Art, 26.145.339
Dans sa thèse, Simon Colombo dresse une classification des épées de cour afin de mieux en comprendre l’usage et les choix faits à leur création. Dans une période de profonde mutation de la noblesse avec l’opposition entre noblesse de robe, nouvelle et enrichie, et noblesse d’épée, souvent ancienne et appauvrie, l’épée de cour devient un objet de crispation identitaire. Pour les bourgeois anoblis elle est un moyen de se rapprocher de la noblesse, pour la noblesse ancienne elle est le symbole d’un héritage familial de charges et de puissance militaire, représentation de leurs privilèges.
L’épée de cour est un objet ambivalent, entre arme et bijou :
Objet d’apparat, elle se décline en différentes versions pour le matin, la rue ou l’opéra. Mais l’épée de cour reste une arme dont la lame doit être prête au combat. Même si le port de l’épée reste soumis à un privilège nobiliaire, nombreux sont les hommes du Tiers-État à s’en procurer pour se faire passer pour noble.
Si tout le monde peut acheter une épée, mais pas forcément la porter en ville, la question de la défense face à une agression se pose. L’épée de cour n’est ainsi pas qu’un bel objet mais aussi bel et bien une arme qui, dans des mains expertes, peut s’avérer mortelle. Au sortir d’un opéra, une épée peut s’avérer bien utile dans les ruelles mal famées de Paris.
Mortelle en effet, car l’épée de cour peut permettre de régler un conflit par le duel. Bien qu’interdit en France depuis 1666, le duel d’honneur reste une actualité à l’époque, comme le duel sportif.
Découvrez les enjeux et les anecdotes qui entourent cet objet fascinant qu’est l’épée de cour dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes !
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
Simon Colombo avec une de ses épées en main
Culture et mentalité de la noblesse :
Barbier Muriel, Duvauchelle Christine, Vassogne Sophie, Chevaillier Yves, Être et paraître, la vie aristocratique au XVIIIe siècle : trésors cachés du musée national de la Renaissance, Paris, Artlys, 2015
Brioist Pascal, Drévillon Hervé, Serna Pierre, Croiser le fer : violence et culture de l’épée dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Seyssel, Champ Vallon, 2008.
Schalk Ellery, L’épée et le sang : une histoire du concept de noblesse (vers 1500 – vers 1650), Seyssel, Champ Vallon, 1986
Armes et armures :
Norman Vesey, Armes et armures, Paris, Hachette, 1964
Malgouyres Philippe, Armes européennes, Histoire d’une collection au musée du Louvre, Paris, Louvre édition, 2014
Oakeshott Ewart, European Weapons and armor, Lutherworth Press, Guildford & London, 1978
Prevot Dominique, Renaudeau Olivier, Trucas Ronan, Les canons de l’élégance, Dijon, Faton, Pairs, Musée de l’Armée, 2019
Reverseau Jean-Pierre, Musée de l’Armée, les armes et la vie, Paris, Dargaud, 1982
Les épées :
Epée de cour à poignée de porcelaine, Allemagne, vers 1750, Paris, Musée de l’Armée copyright Simon Colombo
Blasco Almudena, Cognot Fabrice, Duvauchelle Christine, Huynh Michel, Lebedynsky Iroslav, L’épée : Usages, mythes et symboles, Paris, RMN, 2011
Capwell Tobias, The noble art of the sword: fashion and fencing in Renaissance Europe, 1520-1630, Londres, Wallace Collection, 2012.
Collectif, Epées et armes blanche, Pairs Bordas, 1990
Scalini Mario (dir.), Epées d’hommes libres chevaliers et saints, Milan, Silivana Editoriale, 2007
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
Cyrano de Bergerac (1990)
Games of Thrones – Saison 1 Episode 2
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
Épisode 24 – Gabrielle et les duels en Flandre
Épisode 21 – Félix et la police à Caen pendant la Révolution
Épisode 07 – Guillaume et les tournois de chevalerie (Passion Médiévistes)
Merci à Julien Baldacchino et par Clément Nouguier qui ont réalisé le générique du podcast et à Ilan Soulima pour l’article !
Retrouvez Passion Modernistes sur Facebook et Twitter pour ne rien manquer de l’actualité du podcast !
9/22/2021 • 50 minutes, 16 seconds
Épisode 24 – Gabrielle et les duels en Flandre (Passion Modernistes)
Comment se déroulaient les duels en Flandre au XVIIème siècle ?
(suite…)
8/24/2021 • 34 minutes, 25 seconds
Épisode 23 – Guillaume et la guillotine pendant la Révolution (Passion Modernistes)
Quelle est la (vraie) histoire de la guillotine ?
(suite…)
7/14/2021 • 48 minutes, 14 seconds
Épisode 22 – Edith et Madame Roland, une femme des Lumières
Découvrez dans cet épisode Madame Roland, femme de lettres du XVIIIème siècle !
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baab75c2d').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baab75c2d.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Portrait Edith Jouanjean
Dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes, Edith Jouanjean vous parle de son mémoire sur “Madame Roland ou les correspondances d’une femme des Lumières de 1780 à 1787 : entre incarnation et distinction de son temps”. Sous la direction de Dominique Godineau (Université de Rennes 2), Edith Jouanjean a soutenu ce mémoire en septembre 2019, et nous avons pu enfin nous rencontrer début 2021 pour enregistrer cet épisode !
Elle vous raconte la vie de Madame Roland, surtout connue pour ses écrits et prises de position pendant la Révolution, mais en se concentrant justement sur sa correspondance avant 1789. Edith Jouanjean s’est en particulier intéressée à ce que Madame Roland racontait de sa vie intime, comme lors des lettres où elle parle de sa fille à son mari.
Une correspondance intime
Bonneville / François / 17..-18.. / graveur / 0410. Portrait de Madame J. Ph. Roland, en buste, de profil dirigé à droite dans une bordure ovale / [estampe]. Gallica.frC’est à travers 289 lettres envoyées à des destinataires divers, comprenant son mari et plusieurs de ses ami·e·s,retranscrites par Claude Perroud en 1900 et conservées à la BNF,que Edith Jouanjean a pu entrevoir ce que fut une partie de la vie de Madame Roland.
Cette femme, qui ne prend le nom de Roland qu’en 1780 en épousant celui qui sera son époux jusqu’à la fin de sa vie, est née le 17 mars 1754 sous le nom de Marie–Jeanne Phlipon, bien qu’elle fût surnommée Manon durant son enfance. Femme lettrée de la seconde moitié du XVIIIème siècle, elle fut surtout étudiée soit à travers ses lettres de jeunesse qu’elle échangea avec ses amies du couvent, les sœurs Cannet, ou avec ses différents prétendants, soit au prisme de la Révolution Française,à travers ses lettres et ses Mémoires, afin d’étudier le rôle qu’elle put avoir aux côtés de son mari et ministre girondin.
C’est pourquoi l’invitée de l’épisode a souhaité se concentrer une étude plus approfondie des années 1780 à 1787, toujours sous le prisme de l’épistolaire. La lettre a en effet toujours été une pratique régulière chez Madame Roland, une activité quotidienne dont elle dépasse la seule fonction d’expression mondaine et sentimentale pour en faire l’outil d’une pensée dialogique en prise sur le monde.
Une femme influencée par les Lumières
3 : Silhouettes de la famille Roland, par Lavater à Zurich, vers 1792, Paris, musée Carnavalet. (page de garde de l’ouvrage Siân Reynolds))
Edith Jouanjean souhaitait dans son mémoire mettre en avant l’individualité et la singularité de Madame Roland tout en cherchant à voir en quoi elle a pu et peut être comparée au type de la « femme des Lumières », prônant les idées progressistes d’une société qui loue l’autonomie intellectuelle et la critique des savoirs. Cette étude s’inscrit directement dans une histoire des femmes et du genre dont le point de départ se trouve dans une considération de la différence sexuelle, agrémentée de la notion centrale d’agency.
Cette recherche propose ainsi de voir en quoi Madame Roland a pu atteindre un certain degré d’autonomie en tant que femme. Ses lettres illustrent une prise d’autorité féminine au sein de son entourage proche mais également maternelle dans sa prise en charge de l’éducation de sa fille. Sa capacité à asseoir un cercle d’influence dans l’espace privé mais aussi dans celui du public permet de questionner sa place dans une République des Lumières à laquelle elle participe à un certain niveau via la pratique culturelle qu’est l’épistolaire.
Il s’agit de voir comment cette femme se positionnait face à son genre et aux règles sociales qui lui étaient assignées, dans son couple, puisqu’elle contribua fortement aux travaux de son mari, dans sa famille, mais aussi dans la société même.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
Anonyme, Portrait de Manon Roland, v. 1790, huile sur toile, musée Lambinet, Versailles.
Sur l’épistolaire féminin:
Brigitte Diaz et Jürgen Siess, L’épistolaire au féminin : correspondances de femmes, XVIIIe-XIXe siècle, Actes du Colloque de Cerisy, 1-5 octobre 2003, Presses Universitaires de Caen, Caen, 2006.
Dena Goodman, Becoming a Woman in the Age of Letters, Ithaca, NY, Cornell UP, 2009
Sur le corps, la grossesse, l’allaitement et l’éducation de sa fille :
Emmanuelle Berthiaud , « Grossesse désirée, grossesse imposée : le vécu de la grossesse aux XVIIIe-XIXe siècles en France dans les écrits féminins privés », Histoire, économie & société : Varia, Armand Colin, 2009/4.
Nahema Hanafi, « Des plumes singulières : Les écritures féminines du corps souffrant au XVIIIe siècle », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 2012-35, 2012
Marie-France Morel, « Madame Roland, sa fille et les médecins : prime éducation et médicalisation à l’époque des Lumières », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1972/86-2
Sur l’éducation de sa fille :
Dominique Julia et Egle Becchi (dir.) Histoire de l’enfance en Occident, Edition du Seuil, Paris, 1998.
Isabelle Brouard-Arends et Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval (dir.), Femmes éducatrices au Siècle des Lumières, PUR, Rennes, 2007.
Extrait manuscrit d’une lettre de Madame Roland
Sur les pratiques de lecture :
Isabelle Brouard-Arends (dir.), Lectrices d’Ancien Régime, Rennes, PUR, 2003
Sur le couple Roland :
Siân Reynolds, Marriage & revolution: Monsieur & Madame Roland, Oxford, Oxford University Press, 2012.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
Lecture par Cancerso de l’incipit de Candide ou l’Optimisme de Voltaire (1759), sur un extrait de la cantate Le Sommeil d’Ulysse de Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729)
Lecture par Estelle du podcast Futur Chien Guide d’un extrait de L’Emile ou de l’Éducation de Jean-Jacques Rousseau (La Haye, 1762) sur un extrait de l’intermède Le Devin du Village (1752) toujours de Jean-Jacques Rousseau
Anne Sylvestre – Écrire pour ne pas mourir
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
Épisode 20 – Philippine et la puberté au Siècle des Lumières
Épisode 16 – Benjamin et Mme Eloffe, marchande de mode
Épisode 1 – Sophie et Gaston d’Orléans
Le générique du podcast a été réalisé par Julien Baldacchino et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
6/28/2021 • 49 minutes, 14 seconds
Hors-série 2 – L’Empire des Sens au Musée Cognacq-Jay
Explorez l’érotisme au XVIIIème siècle avec le musée Cognacq-Jay et son exposition l’Empire des sens.
(suite…)
5/17/2021 • 46 minutes, 26 seconds
Épisode 21 – Félix et la police à Caen pendant la Révolution
Comment travaille la police à Caen pendant la Révolution ?
(suite…)
4/23/2021 • 33 minutes, 57 seconds
Épisode 20 – Philippine et la puberté au siècle des Lumières (Passion Modernistes)
Comment était conçue la puberté à l’époque moderne, que ce soit du point de vue médical ou social ?
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baab7e223').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baab7e223.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Portrait Philippine Valois au micro de Passion Modernistes
Philippine Valois travaille sur l’histoire médicale de la puberté au siècle des Lumières (XVIIIème siècle) dans sa thèse dirigée par Didier Boisson et co-encadrée par Nahema Hanafi au sein du Laboratoire TEMOS Angers. Dans cet épisode, elle raconte ce qui l’a motivé à travailler sur ce sujet et nous explique l’histoire de ce concept si particulier, du point de vue médical et social.
Dans sa thèse, Philippine Valois veut comprendre comment les phénomènes physiologiques et biologiques de la puberté ont été compris par les médecins du XVIIIème, quels termes ils utilisent et quels imaginaires ils convoquent. Elle s’interroge aussi sur les incidences des représentations médicales, les maladies spécifiques, sur le quotidien des personnes pubères à cette époque ou encore les représentations sociales.
Une définition compliquée de la puberté
Annexe : Louis Binet (1744-1800), Les six âges de la fille. 1er âge, 1780-1782, Paris, Duchesne, taille douce, format inconnu. Bibliothèque nationale de France [en ligne].Le concept de puberté est en plein de construction à l’époque des Lumières. A noter que le concept d’adolescence tel que nous le concevons aujourd’hui ne naît qu’au XIXème siècle. Il y a une forte ambiguïté des auteurs sur les mots entre puberté, adolescence et nubilité, parfois utilisés comme synonymes ou contraires. Philippine Valois montre qu’en général pour les médecins du XVIIIème siècle, l’adolescence désigne une période de la vie et la puberté les phénomènes biologiques, même si pas toujours, avec des différences selon le sexe.
En général, la puberté est définie comme une crise à la fois positive et négative. La transformation pubertaire est sensée soigner certains maux de l’enfance comme l’épilepsie, l’échauffement créé par la puberté pouvant, toujours selon les médecins du XVIIIème siècle, guérir certaines maladies. Mais c’est aussi une crise négative avec son lot de nouvelles maladies, car la puberté « trouble l’âme et le corps« , on commence à dire que l’adolescent éprouve du mal-être. Les médecins utilisent des termes parfois poétiques, comme « orage« , « tempête » ou même « révolution« , parce que l’on passe d’un enfant asexué à un être sexué.
Le contexte des Lumières
Toute cette vision de la puberté s’inscrit dans le mouvement des Lumières, un mouvement à la fois culturel et philosophique, une période où l’éducation des enfants devient un sujet prioritaire. L’Émile de Rousseau est notamment une référence pour les médecins de l’époque, dont le chapitre 4 est consacré à l’adolescence. C’est aussi un contexte de « dégénérescence de l’espèce humaine« , formulée entre autres par Buffon en 1766 : pour lui, on pourrait expliquer toutes les variations entre les individus par une dégénération d’une espèce originelle. Une vision bien sûr profondément raciste, et les médecins ont dans ce sens un discours alarmant sur les problèmes démographiques et la faiblesses des enfants.
Et à la fin du XVIIIème siècle, les débuts du mouvement hygiéniste dénoncent le mode de vie oisif des élites socio-culturelles. Il est par exemple constaté que les jeunes filles qui vivent dans ces milieux fastes étaient réglées plus précocement ou ont des problèmes de menstruations.
Et dans le reste de l’épisode…
Dans le reste de l’épisode, on parle notamment des différences entre les hommes et les femmes, de la vision de la masturbation, des maladies propres à la puberté, du contrôle des corps adolescents par les médecins et la société, et de comment Philippine Valois travaille sur ses sources pour sa thèse.
Nicolas Lancret, L’Adolescence, 1707-1708, Paris, N. De Larmessin, estampe. Bibliothèque Nationale de France. [en ligne].
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
Michel Bernos, Yvonne Knibiehler, Elisabeth Ravoux-Rallo et Eliane Richard, De la pucelle à la minette : les jeunes filles, de l’âge classique à nos jours, Paris, Temps actuels, 1983
Scarlett Beauvalet-Boutouyrie et Emmanuelle Berthiaud, Le rose et le bleu, Paris, Belin, 2016
Patrice Huerre, Martine Pagan-Reymond et Jean-Michel Reymond, L’adolescence n’existe pas, Paris, O. Jacob, 1997
Thomas Laqueur, Le sexe en solitaire, Paris, Gallimard, 2005
Agnès Thiercé, Histoire de l’adolescence, Paris, Belin, 1999.
Juan Jiménez-Salcedo, « L’hygiénisme au XVIIIe siècle et l’éducation des jeunes filles », in Bernard Bodinier, Martine Gest, Paul Pasteur et Marie-Françoise Lemmonier-Delpy (dir.), Genre & Éducation : Former, se former, être formée au féminin, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, coll. « Éducation », 2018, pp. 141-152.
Karen Harvey, « Le Siècle du sexe ? Genre, corps et sexualité au dix-huitième siècle (vers 1650-vers 1850) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 2010, no 31, pp. 207-238.
Gabrielle HOUBRE, Le corps des jeunes filles de l’Antiquité à nos jours, edi8, 2010, 189 p.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
« Chantez dans ce riant bocage », extrait de « Les Génies ou les Caractères de l’Amour » par la compositrice Mademoiselle Duval
L’échange des princesses, film de 2017
Ouverture de « Fleur d’épine » composée par Marie-Emmanuelle Bayon
Rockollection – Laurent Voulzy
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
Épisode 19 – Laura et les malades dans la peinture néerlandaise
Épisode 15 – Isabelle et les médecins à Paris au XVIIIème siècle
Épisode 12 – Paul-Arthur et les épidémies au XVIIIème siècle
Épisode 3 – Johana et les sages-femmes en Alsace
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
3/14/2021 • 39 minutes, 50 seconds
Épisode 19 – Laura et les malades dans la peinture néerlandaise du XVIIème siècle (Passion Modernistes)
Comment les malades étaient représentés dans la peinture néerlandaise du XVIIème siècle ?
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baab83759').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baab83759.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Portrait Laura Pennanec’h
Dans cet épisode Laura Pennanec’h vous raconte parle de représentations des maladies, de la peinture néerlandaise du XVIIème siècle et de l’histoire du genre. Depuis 2017 elle prépare une thèse sur le sujet « Réseaux de savoirs genrés autour du corps malade dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle » au Centre Alexandre-Koyré (EHESS), sous la direction de Christian Jacob et Rafael Mandressi.
A partir d’une centaines de tableaux, elle étudie comment des peintres nés ou formés à Leyde qui a vu se développer une école de peintres, « les peintres précieux« , qui ont beaucoup représentés les malades et les médecins. Parmi ses peintres, elle étudie notamment Gérar Dou, Frans van Mieris l’Ancien et Jan Steen.
Une représentation genrée de la maladie
Gerard Dou (Leyde, 1613 – Leyde, 1675), La femme hydropique, (De waterzuchtige vrouw), 1663, huile sur panneau de bois, (86 cm x 68 cm), Paris, Musée du Louvre.
La thèse de Laura Pennanec’h entend mettre en lumière les réseaux de savoirs genrés enserrant les corps malades tels qu’ils furent dépeints dans la Hollande du XVIIe siècle. Cela permet d’établir d’abord une histoire des corps malades tels qu’ils ont été peints à l’époque en prenant pour entrée les variations iconographiques produites par le sexe des malades représentés.
Il s’agit également de faire une histoire de l’insertion des tableaux dans un territoire donné, une histoire des circulations des motifs et des thèmes iconographiques entre les images et entre les peintres afin d’étudier ce que ces circulations disent de la culture visuelle des artistes, de leurs relations personnelles, de leurs sociabilités.
Comparer avec l’histoire des sciences
Parallèlement, l’utilisation d’un corpus textuel (médical comme artistique) permet de resituer les tableaux par rapport aux discours écrits sur la maladie, sur les relations entre hommes et femmes, sur les modalités de figuration des corps. Si elles ne sont pas prises pour centre, les intentions des acteurs — peintres, médecins — sont néanmoins intégrées dans un raisonnement qui souligne l’importance du cadre personnel, social et intellectuel dans lequel ils évoluaient, donnant à voir, d’une certaine manière, une sociologie rétrospective de ce qui existait à l’époque.
En ce sens, Laura multiplie les échelles d’analyse, en se concentrant tour à tour sur les lieux (faculté de médecine, maison particulière, atelier de peintre), les individus (peintres, médecins, chirurgiens, malades), les objets et les pratiques (visite médicale, saignée, pose de ventouses, observation des urines).
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, Laura vous conseille de lire :
Frans van Mieris l’Ancien (Leyde, 1635 – Leyde, 1681), La visite du médecin ou La malade d’amour (Het bezoek van de arts of De zieke vrouw), 1657, huile sur cuivre, (34 cm x 27 cm), Vienne, Kunsthistorisches Museum.
Sur la peinture néerlandaise du xviie siècle :Une synthèse dense mais efficace :
Haak, Bob. The Golden Age: Dutch Painters of the Seventeenth Century. Londres: Thames and Hudson, 1984.
Une référence plus récente qui permet de repenser la notion de « siècle d’or » :
Blanc, Jan. Le siècle d’or hollandais : une révolte culturelle au XVIIe siècle. Paris, France: Citadelles & Mazenod, 2019.
Sur la médecine et les savoirs sur le corps au xviie siècle :
Un manuel à destination d’étudiants en histoire de la médecine (et avec une visite du médecin de Jacob Toorenvliet, peinte en 1666, en première de couverture !) :
Elmer, Peter, éd. The Healing Arts: Health, Disease and Society in Europe, 1500-1800. Manchester: Manchester University Press, 2004.
Un ouvrage sur la circulation des savoirs dans les Provinces-Unies :
Cook, Harold J. Matters of Exchange: Commerce, Medicine, and Science in the Dutch Golden Age. New Haven: Yale University Press, 2007.
Le frontispice de la Genees-Oeffening de Paul Barbette, graveur anonyme, vers 1670.
Sur les femmes dans la peinture néerlandaise du xviie siècle :
Un ouvrage synthétique :
Franits, Wayne E. Paragons of Virtue: Women and Domesticity in Seventeenth-Century Dutch Art. Cambridge: Cambridge University Press, 1993.
LE texte de référence sur les représentations de femmes malades :
Dixon, Laurinda S. Perilous Chastity: Women and Illness in pre-Enlightenment Art and Medicine. Ithaca: Cornell University Press, 1995.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
Constantijn Huygens – Pathodia Sacra: Multi dicunt animae meae
Jan Pieterszoon Sweelinck – Fantasia Cromatica
Anthoni van Noordt – Psaume 2, pour orgue
Dalida – Je suis malade
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
Épisode 15 – Isabelle et les médecins à Paris au XVIIIème siècle
Épisode 14 – Axel et le peintre Watteau
Épisode 12 – Paul-Arthur et les épidémies au XVIIIème siècle
Épisode 3 – Johana et les sages-femmes en Alsace
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
2/21/2021 • 50 minutes, 51 seconds
Épisode 18 – Olivier et la marine au XVIIIème siècle (Passion Modernistes)
Que sait-on sur la marine du XVIIIème siècle, au moment où elle passe de royale à républicaine ?
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baab88c2c').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baab88c2c.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Olivier Aranda au micro de Passion Modernistes
Dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes nous allons faire un voyage dans le temps et parler de la fin de l’époque moderne, et plus précisément du contexte de la révolution française, mais nous allons nous éloigner de Paris et mettre cap à l’ouest, sur Brest et l’Atlantique. Depuis octobre 2018, Olivier Aranda prépare une thèse d’histoire moderne sur « La marine de la République à Brest et dans l’Atlantique 1792-1803« , sous la direction de Pierre Serna, à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, en partenariat avec l’Institut d’histoire moderne et contemporaine de Paris.
A la fin du XVIIIème siècle, la société est « maritimisée », marquée par la mer et les échanges commerciaux, notamment avec le café. En France, la Révolution vient marquer la fin du siècle, et à partir de 1789 a lieu des bouleversements politiques et géopolitiques qui vont impacter la sphère maritime.
Dans sa thèse, Olivier Aranda veut montrer que cette sphère navale continue d’être fondamentale après la Révolution et la fondation de la République en 1792, que les échanges et affrontements se poursuivent, par exemple dans l’espace antillais sur les plans stratégiques et économiques. Il souhaite étudier la stratégie navale de la France à cette époque, en réévaluant certaines sources, et pour contrer une grande part de l’historiographie qui a donné une mauvaise image de cette marine républicaine.
L’organisation de la marine au XVIIIème siècle
Banner – National Maritime Museum
La flotte se divise en deux groupes : les navires de ligne (avec au moins 700 corps d’équipage), le cœur de la flotte qui combattent lors des batailles, et tous les bâtiments de plus petites tailles, qui ont plutôt des rôles de messagers, pour le commerce…
Et à l’intérieur de ces navires, on trouve des officiers (un corps qui se renouvelle énormément à la période révolutionnaire) , les officiers mariniers (les spécialistes), et l’équipage avec les matelots. Sans oublier à terre le personnel administratif dans les ports et à Paris.
C’est l’époque de l’âge d’or de la marine en bois, le modèle des vaisseaux de 74 canons est standardisé, la France construit tous ces navires sur ce modèle. L’évolution se fera du côté des armes, dans le contexte du conflit avec l’Angleterre, avec notamment les débuts de l’utilisation des obus explosifs (mais seulement mis au point en 1821).
On voit que la marine n’est pas du tout délaissée par les autorités révolutionnaires, mais qu’au contraire on voit des efforts dans le but d’acquérir une maîtrise de la mer par la France.
Plan de la ville de Brest : Par Mr P. L. Bermont Ingénieur
La marine à Brest
Durant tout le XVIIIème siècle la marine est très importante à Brest. Et à l’époque révolutionnaire, Brest est un îlot républicain dans un zone plutôt hostile à la République, avec par exemple les Chouans. La ville a pu résister grâce à son organisation géographique spécifique, avec un arsenal e son coeur et une muraille de Vauban qui la protège. Et en mer, la ville n’est accessible que par un goulet défendu par des batteries d’armes.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire et consulter :
Acerra Martine et Meyer Jean, Marines et Révolution, Paris, Éditions Ouest-France, 1988.
Aranda Olivier, « Pour visiter Pitt en bateau : les canons de la République », Annales historiques de la Révolution française, vol. 393, n° 3, 2018, p. 35-55.
Aranda Olivier, « Les comités de marine de la Législative et de la Convention, au cœur des rapports entre pouvoir exécutif et législatif », La Révolution française, 17 | 2020.
Le site Trois Ponts
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
Cello Suite No. 1 in G Major, BWV 1007: I. Prélude
Master and Commander (2003)
Master and Commander Soundtrack – Fantasia
The Wellerman – TikTok Sea Shanty mashup 2021
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
Épisode 17 – Sabrina et les voyages d’Antoine Galland
Hors-série 1 – La Méditerranée au XVIIème siècle
1/31/2021 • 47 minutes, 2 seconds
Épisode 17 – Sabrina et les voyages d’Antoine Galland
Écrivain, traducteur, voyageur, diplomate… Embarquez avec Antoine Galland dans cet épisode !
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baab8dafb').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baab8dafb.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Portrait Sabrina Vincent
Dans cet épisode de Passion Modernistes, Sabrina Vincent vous parle d’Antoine Galland et de ses voyages. Elle a étudié cette personnalité au cours de son mémoire soutenu en 2018 à l’université de Reims Champagne Ardennes, sous la direction d’Aurélien Girard et Mathieu Grenet.
La France et la Méditerranée à la fin du XVIIème siècle
Dans cet épisode nous sommes à l’époque du règne de Louis XIV (1643-1715). Antoine Galland ne connaitra rien d’autre, puisqu’il naît en 1646 et décède en 1715. Après 1650 la France est de plus en plus présente en Méditerranée. La multiplication des travaux dans le domaine naval et portuaire démontre une volonté de se tourner vers l’espace méditerranéen. On est ici dans la politique mercantiliste de Jean Baptiste Colbert qui souhaite favoriser les exportations et faire affluer les métaux précieux dans le royaume de France.
Colbert fonde d’abord la Compagnie des Indes en 1664 et la Compagnie du Levant en 1670 qui vise à organiser les relations commerciales entre les ports français (Marseille, Sète) avec les ports de l’Empire ottoman. C’est dans ce contexte que Jean-Baptiste Colbert fonde, sous tutelle du gouvernement, une grande Compagnie qui reçoit le nom de « Compagnie du Levant ».
Antoine Galland, un érudit français intéressé par l’Orient
Antoine Galland naît le 6 avril 1646 à Rollot (Somme) et meurt le 17 février 1715 à Paris. Il est surtout connu sous la postérité comme étant le traducteur des Mille et Une Nuits, véritable best-seller du début du XVIIIème siècle même si pour lui c’est le fait le moins illustre de sa carrière. Il écrira d’ailleurs :
Ce qu’il y a, c’est que cet ouvrage de fariboles (les Mille et Une Nuist) me fait plus d’honneur dans le monde que ne le ferait le plus bel ouvrage que je pourrais composer sur les médailles, avec des remarques pleines d’érudition sur les antiquités grecques et romaines. Tel est le monde : on a plus de penchant pour ce qui divertit que pour ce qui demande de l’application, si peu que ce puisse être.
Sabrina Vincent pense qu’Antoine Galland aurait préféré qu’on le présente comme un orientaliste. Même si en réalité il est anachronique d’utiliser le terme d’orientaliste qui apparait au XIXème siècle, Aurélien Girard utilise d’ailleurs le terme de « professionnels » de l’Orient, et l’explique par le fait que ces érudits puisqu’ils maitrisaient les langues orientales avaient par conséquent, une capacité et une légitimité à étudier l’Orient.
C’est aussi l’antiquaire du Roi, membre de la récente Académie Française puis professeur de langues arabes du Collège royal. On peut dire qu’avec un chemin de vie plutôt atypique et par sa grandeur intellectuelle, Antoine Galland a su se hisser au plus haut rang du monde érudit français au tournant du XVIIème et XVIIIème siècle.
Carte du troisième voyage d’Antoine Galland, réalisée par Sabrina Vincent
Des voyages en Levant
Sabrina Vincent vous raconte dans cet épisode les différents voyages d’Antoine Galland, et notamment son troisième voyage fait en Levant aulequel elle a consacré ses recherches à partir d’un manuscrit particulier. Dans son premier voyage, Antoine Galland se rend à Constantinople en 1670 et voyage jusqu’en 1675, en Thrace, en Macédoine, en Roumélie orientale, en Asie mineure, dans les îles Égéennes, en Ionie, en Syrie et en Palestine. Puis il fait son deuxième voyage à Smyrne sur une très courte période sur l’année 1678.
Son troisième et dernier voyage fait en Levant débute le 11 septembre 1679 à Toulon dans la suite du nouvel ambassadeur de la Porte, Gabriel de Guilleragues. Le 23 octobre 1679, Antoine Galland arrive à Milos et quitte le convoi de l’ambassadeur qui part vers Constantinople. D’octobre 1679 à octobre 1680, il essaye de rejoindre Constantinople le plus rapidement possible à ses propres frais. Néanmoins, les conditions météorologiques difficiles et les risques liés à la Course rallongent considérablement son voyage. Le 18 octobre 1680, il arrive enfin à Constantinople et apprend que la compagnie du Levant est dissoute. Cependant, Guilleragues garde Galland auprès de lui. La troisième lettre se termine le 1er novembre 1680 mais la mission se poursuit.
De 1680 à 1685, il séjourne à Constantinople. Il recherche des manuscrits et des médailles, et donne des leçons de grec à Mademoiselle de Guilleragues. Elle deviendra plus tard la marquise d’O à qui Galland dédiera les Mille et une Nuits. Gabriel de Guilleragues décède le 4 mars 1685 et le 1er septembre 1685, Antoine Galland est nommé antiquaire du Roi et chargé de continuer ses recherches de médailles en Orient pour le cabinet du Roi. De 1686 à 1688, il débute un voyage dans les îles de l’Archipel, séjourne de nouveau à Smyrne, fait une courte visite à Alexandrie et Rosette. Puis il retourne à Smyrne où il survit de peu au tremblement de terre du 8 juillet 1688. Suite à cela, il perd tous ses biens et ses relations de voyage et décide de rentrer en France en décembre 1688, clôturant ainsi près de dix-huit années d’aventures.
Pour en savoir plus sur Antoine Galland et ses voyages, on vous conseille de lire :
Feuillet de manuscrit de la main d’Antoine Galland
Sur Antoine Galland :
Antoine GALLAND, Le voyage à Smyrne, Paris, éd. Chandeigne, 2000.
Antoine GALLAND, Voyage à Constantinople, Paris, Maisonneuve et Larose, 2002.
ABDEL-HALIM Mohamed, Antoine Galland : sa vie et son œuvre, Paris, A.G. Nizet, 1964
Sur l’ « orientalisme » :
GIRARD Aurélien, Connaître l’Orient en Europe au XVIIe siècle, dossier thématique de XVIIe siècle, 2015
HEYBERGER Bernard, « L’Orient et l’islam dans l’érudition européenne du XVIIème siècle », Dix- septième siècle , 2015/3 (n° 268), p. 495-508.
Sur la Course méditerranéenne et le commerce des captifs:
KAISER Wolfgang, Le commerce des captifs : les intermédiaires dans l’échange et le rachat des prisonniers en Méditerranée, XVe-XVIIIe siècle, Paris, Collection de l’école française de Rome, 2008
FONTENAY Michel, La Méditerranée entre la Croix et le Croissant. Navigation, commerce, course et piraterie (XVIe-XIXe siècle), Paris, Classiques Garnier, 2010
Sur le commerce en Méditerranée :
PANZAC Daniel, La caravane maritime : marins européens et marchands ottomans en Méditerranée (1680-1830), CNRS Éditions, Paris, 2004
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
Jean Baptiste Lully – Marche pour la cérémonie des Turcs
Rimski-Korsakov – Shéhérazade
Nuits d’Arabie – Aladdin
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
Hors-série 1 – La Méditerranée au XVIIème siècle avec Guillaume Calafat
Épisode 9 – Elise et les chasseurs du Mississippi
Épisode 7 – Virginie et les origines de New York
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
11/29/2020 • 40 minutes, 4 seconds
Épisode 16 – Benjamin et Mme Eloffe, marchande de mode (Passion Modernistes)
Comment devenait-on marchande de mode à la fin du XVIIIème siècle ?
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baab93212').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baab93212.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Benjamin Alvarez-Araujo
En juillet 2020, Benjamin Alvarez-Araujo a présenté un mémoire « Adélaïde Henriette Damoville, dite Mme Eloffe (1759-1805). Autour d’une marchande de modes imaginaire ». Il était sous la direction de Laurence Croq à l’ Université Paris.
Née dans un contexte un peu pauvre, Adélaïde Henriette Damoville entre au service de Madame Pompey et se forme comme marchande de mode. Elle épouse M. Eloffe et ils finissent par récupérer la clientèle de Madame Pompey. Ils fournissent la cour de Versailles à la fin du XVIIIème siècle, la famille royale de l’époque et même Marie Antoinette. Pour connaître son activité il nous est parvenu deux de ses livres de comptes qui donnent des renseignements sur ce qui est vendu dans la boutique.
Une signature de Madame Eloffe
Le métier marchande de mode
Au XVIIIème siècle le travail de marchande de mode ne consiste pas à fabriquer des vêtements mais justement à être l’intermédiaire entre les fabricants et les clients, en inventant des modes vestimentaires. On les considère parfois comme les ancêtres des grands créateurs de mode mais ce n’est pas tout à fait vrai. Le métier de marchande de mode naît avec celui de mercier, les femmes qui l’exercent sont souvent des épouses de marchands merciers et elle s’occupent des articles de mode. Et à la fin du XVIIIème siècle elles s’autonomisent et créent leur propre corporation.
Elles vendent les accessoires et les ornements, tout ce qui vient décorer un vêtement, avec de la dentelle, des broderies, des plumes, etc. Elles les assemblent sur des robes déjà faites pour former des ensembles, les ajoutant ou déplaçant. Elles sont surtout spécialisées dans les ornements luxueux, destinés à une clientèle aristocratique qui cherche à se distinguer par le vêtement.
Et avec la Révolution, le fonctionnement des métiers change, les corporations sont supprimées en 1791, et désormais n’importe qui peut ouvrir boutique en payant une patente. A cette période la boutique des Eloffe évolue pour s’orienter plus vers la mercerie, s’adaptant au changement de leur clientèle.
François Boucher, La Marchande de modes, 1746
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
Livre-journal dit de Mme Eloffe entièrement numérisé sur le site des Archives Nationales
BEAUREPAIRE Pierre-Yves, La France des Lumières. 1715-1789, Paris, Belin, « Histoire de France », 2014 [1re éd. : 2011].
GODINEAU Dominique, Les Femmes dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Armand Colin, « U. Histoire », 2015.
ROCHE Daniel, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993.
ROCHE Daniel, La Culture des apparences. Une histoire du vêtement (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, Fayard, 1989.
SAPORI Michelle, Rose Bertin, ministre des modes de Marie-Antoinette, Paris, Éditions de l’Institut français de la mode, Éditions du Regard, 2003.
DA VINHA Mathieu, Dans la Garde-robe de Marie-Antoinette, Versailles, Château de Versailles, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2018.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
W. A. Mozart – KV 164 (130a) – 6 Minuets for orchestra
La Vie Parisienne de Offenbach – La gantière et le bottier
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
10/30/2020 • 40 minutes, 48 seconds
Épisode 15 – Isabelle et les médecins à Paris au XVIIIème siècle (Passion Modernistes)
Que sait-on sur les médecins à Paris au XVIIIème siècle ?
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baab98265').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baab98265.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Isabelle Coquillard au micro de Passion Modernistes
En 2018, Isabelle Coquillard a soutenu une thèse sur les médecins parisiens entre 1707 et 1789 à Paris, sous la direction de Laurence Croq (Université Paris Nanterre). Elle a voulu étudier un groupe professionnel sous « tous les angles » en mobilisant des sources institutionnelles (celles de la Faculté de médecine de Paris et des autres centres savants ) mais aussi notariales afin de saisir les docteurs dans leur vie professionnelle (marché de la santé et honoraires, clientèle, lieu de réception à domicile) et leur vie privée (habitat, mariage, fortune).
Elle montre ainsi la pluralité d’activités des médecins au XVIIIème siècle (en ville, dans l’espace militaire, dans les campagnes, les ports et les colonies) et leur affirmation progressive en tant qu’experts de la médecine et acteurs à part entière de la politique sanitaire balbutiante du roi.
En 1707, le roi Louis XIV décide de repenser l’enseignement médical en promulguant l’édit de Marly, et d’uniformiser la profession. Isabelle se sert de ce point de départ pour étudier les médecins parisiens tout au long du XVIIIème siècle, pour comprendre comment l’on devient médecin et comment ces hommes (et femmes) pratiquent dans leur quotidien.
Liste de Messieurs les docteurs régents de la faculté de médecine en l’Université de Paris, avec leurs demeures, pour l’année 1770(Wellcome Library, Londres)
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
erlan Hélène, Faire sa médecine au XVIIIe siècle. Recrutement et devenir professionnel des étudiants montpelliérains (1707-1789), Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2013. Permet de comparer les Facultés de médecine de Paris et de Montpellier, les deux plus grandes institutions diplômantes au XVIIIe siècle. De nombreux docteurs régents parisiens ont éprouvé le cursus montpelliérain.
Coquillard Isabelle, « Le marché des remèdes antivénériens et les docteurs régents de la faculté de médecine de Paris au xviiie siècle », in Rieder Philip, Zanetti François (éd.), Materia medica. Savoirs et usages des médicaments aux époques médiévales et modernes, Genève, Droz, 2018, pp. 161-188. Un chapitre pour aborder les questions de liberté professionnelle et de réputation des médecins, l’usage de son pouvoir coercitif par la Faculté.
Lunel Alexandre, La Maison médicale du roi, XVIe-XVIIIe siècles. Le pouvoir royal et les professions de santé, Seyssel, Champ Vallon, 2008. Une mise au point précise sur l’histoire de la profession médicale et sur l’organisation des professions de médecin, de chirurgien, et d’apothicaire entre le XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle.
Pauthier Céline, L’exercice illégal de la médecine (1673-1793) : entre défaut de droit et manière de soigner, Paris, Glyphe & Biotem, 2002. Une mise au point sur la façon dont la Faculté de médecine défend ses privilèges, une réflexion sur le champ d’intervention des médecins et sur les marges de la profession médicale.
Perez Stanis, Histoire des médecins, Paris, Tempus, 2020. Une fresque allant de l’Antiquité à nos jours sur l’histoire à la fois sociale, politique et économique des médecins.
Rieder Philippe, La figure du patient au XVIIIe siècle, Genève, Droz, Bibliothèque des Lumières, 2010. Pour découvrir ce qu’est un malade au XVIIIe siècle, la construction sociale de l’expérience de la maladie, et la culture médicale du professionnels de la médecine. Transcription de l’épisode 15 (cliquez pour dérouler)
Fanny : Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes. Je m’appelle Fanny Cohen Moreau, et dans ce podcast, nous vous proposons de rencontrer de jeunes chercheurs et chercheuses en master ou en thèse qui étudient l’histoire moderne. Et pour rappel, l’histoire moderne c’est cette période qui s’est un petit peu glissée entre le Moyen ge et l’époque contemporaine, c’est-à-dire, en gros pour l’Europe occidentale, entre les années 1500 et 1800.
Épisode 15, Isabelle et les médecins au XVIIIe siècle, c’est parti !
Bonjour Isabelle Coquillard.
Isabelle : Bonjour Fanny Cohen-Moreau, je suis ravie d’être là [rires].
Fanny : Tu me donnes plein de pêche dès le début ! Isabelle, je te reçois parce que tu as soutenu une thèse en décembre 2018 sur le sujet Les médecins parisiens entre 1707 et 1789. Tu étais sous la direction de Laurence Croq à l’Université Paris Nanterre. Et oui, on avait déjà fait l’épisode 3 sur les sages-femmes, on avait déjà fait un épisode sur les épidémies, donc aujourd’hui, avec toi, on va parler de la médecine et surtout des médecins au XVIIIe siècle.
Alors, déjà Isabelle, pourquoi tu as voulu travailler sur ce sujet ?
Isabelle : Alors, c’est une longue histoire le choix de ce sujet, puisqu’au départ, j’étais intéressée par les femmes dans la résistance…
Fanny : Ah oui, rien à voir !
Isabelle : … Donc on est très très loin du sujet. Et puis, j’ai fait une maîtrise sur les salons parisiens au XVIIIe siècle, et je travaillais sur les Mémoires de Jean-François Marmontel, donc une source imprimée. J’ai découvert, moi, le XVIIIe siècle, j’étais vraiment très enthousiaste, j’étais très heureuse avec ce sujet, et – quelque part, malheureusement pour moi – Antoine Lilti a travaillé également sur le sujet en thèse, il a publié une magnifique étude aux éditions Fayard sur les salons parisiens, et arrivée en Master 1, je cherchais un sujet. Et je voulais travailler sur plutôt l’élite, et surtout travailler en histoire sociale.
Donc mon directeur de l’époque, Monsieur Dumas, m’a posé différents thèmes, là aussi j’ai eu encore un truchement par les substituts du procureur général du Parlement de Paris.
Fanny : Non, mais tu as fait combien de sujets, là ? [rires]
Isabelle : Alors, celui-là, il n’a pas été mené à terme, mais il m’a permis de découvrir ce qui pour moi était l’archive mais avec un grand A, c’est-à-dire l’archive imprimée, la belle archive, donc les beaux volumes, là, de Joly de Fleury [NdT magistrat au Parlement de Paris]. Et j’avais une petite frustration avec ça parce que je travaillais donc sur mes mémoires imprimés, je les avais toujours sur moi, donc ça c’est extra, c’est le bonheur de l’historien, mais le contact même et cette recherche-là, je ne l’avais pas. Donc, avec les substituts du procureur général, je n’avais pas ce que Monsieur Dumas appelait l’enthousiasme pour son sujet, l’empathie pour son sujet. Alors, c’était super intéressant mais ça me parlait pas, je ne me voyais pas travailler là-dessus sur plusieurs années. Et les docteurs régents sont arrivés.
Fanny : Ah. Voilà. Et pourquoi tu as voulu travaillé sur le XVIIIe siècle ? Est-ce que c’est une époque particulière ?
Isabelle : C’est une époque qui fait résonance en moi. J’y suis arrivée par cette histoire culturelle et sociale, l’histoire des réseaux de sociabilité m’intéressait beaucoup, et l’arrivée aussi de la « bourgeoisie à talents ». La « bourgeoisie à talents » en fait, ce sont des personnes qui ont une certaine aisance sociale et qui arrivent à vivre de leur activité, qui n’est pas « dérogeante », c’est-à-dire qu’elle ne fait pas perdre la noblesse. Et on y trouve des groupes tels que les avocats, les notaires, et les médecins.
Fanny : Pourquoi on les appelle « à talents » ?
Isabelle : Parce qu’il y a une formation à la faculté, à Paris, il y a une structure, donc l’université, et au sein de cette université on a plusieurs facultés, dont la faculté notamment de médecine, et la faculté de droit, qui sont des facultés doctorales, donc on peut y enseigner, et elles délivrent surtout un diplôme qui permet d’exercer l’activité, donc véritablement de vivre de son talent.
Fanny : Alors, pour qu’on se resitue un peu, est-ce que tu peux nous parler, en gros, du contexte historique au XVIIIe siècle, même si les auditeurs le connaissent parce que dans l’épisode précédent on en a un petit peu parlé aussi.
Isabelle : Donc, en ce qui concerne mon sujet proprement dit, moi, je débute en 1707, parce que c’est la date de l’édit de Marly, qui correspond à une décision du roi de repenser l’enseignement médical. Quand je dis « l’enseignement médical », c’est un abus de langage. C’est plutôt d’uniformiser la profession, et c’est consécutif en fait à une réforme générale des études, donc ce qui me permettait de démarrer. Et puis, ce qui est intéressant dans cet édit, c’est que, à demi-mot quand même, le roi prend la faculté de médecine de Paris comme exemple, comme modèle.
Fanny : C’est quel roi à l’époque ?
Isabelle : Alors, en 1707 c’est Louis XIV, qui va mourir en 1715. Ce qui est intéressant aussi, c’est que cet édit a été pensé par un docteur régent, qui est Fagon. Fagon était aussi le premier médecin de Louis XIV. Donc il est évidemment favorable à la faculté qui lui a décerné le titre.
Fanny : Et tu t’arrêtes en 1789, parce que bon…est-ce que c’est en lien avec la Révolution ? Ça a changé beaucoup de choses ?
Isabelle : Alors, on a choisi comme date 1789 parce que c’est une date qui fait écho chez les lecteurs, parce que je pense aussi à un futur lectorat. Effectivement, il va y avoir une évolution, notamment en ce qui concerne la clientèle des docteurs régents, puisque le contexte politique – qui est celui de la Révolution française – fait que les nobles fuient Paris. Or, des clients extrêmement importants pour mes docteurs, ce sont ces nobles, qui sont capables de financer les services médicaux, qui coûtaient, pour une visite au domicile du médecin, j’ai estimé que c’était environ 2 livres 15, ce qui est une somme extrêmement importante. Et la date officielle de la fin de cette étude est plutôt 1792, qui est la suppression des corporations, c’est-à-dire des groupements professionnels, et la faculté de médecine est une corporation. D’où le jeu en fait dans le titre de mon travail, « corps et lumières », « corps » parce que corps du malade, mais aussi « corps » parce que corporation.
Fanny : Et Isabelle, qu’est-ce que tu as montré dans ta thèse ?
Isabelle : Alors c’est une thèse d’histoire sociale, donc l’idée c’est de comprendre comment on devient médecin, et ce qui m’intéressait aussi, c’est la pratique quotidienne de ces médecins. Donc j’ai toute une étude sur, justement, comment on exerce la médecine, quel est l’environnement du médecin, par exemple comment il va agencer sa demeure, pour recevoir à domicile. J’ai pu également montrer que les médecins immobilisent une pièce de cette demeure, et cette pièce, c’est ce que j’ai appelé le cabinet-bibliothèque. Donc cabinet, pour faire référence à l’accueil du client, et bibliothèque parce que l’un des instruments des médecins, c’est véritablement le livre qui leur permet d’avoir des recueils de cas, de retrouver par exemple des recettes de médicaments à prescrire.
J’ai également retravaillé la question de la société royale de médecine, qui est créée en 1775, et l’historiographie classique présente cette société royale de médecine comme extrêmement novatrice, par rapport à une faculté jugée conservatrice. Or, mon travail montre que les têtes pensantes de cette société royale de médecine sont des docteurs régents. Donc on voit bien le passage de l’un à l’autre, et ils gardent la même doctrine médicale. C’est juste une façon de recueillir les cas, et un fonctionnement. La société royale de médecine est l’œuvre du Premier médecin du roi, donc Lassone, et les membres sont tout à fait soumis à Lassone. Au contraire, la faculté, modèle corporatif, on est plutôt dans le cadre d’une société des égaux, où chaque docteur peut s’exprimer, chaque docteur peut exercer les charges de la corporation.
Fanny : Qu’est-ce qu’on a comme évolution dans la médecine au XVIIIe siècle ? Je le rappelle, j’ai fait un épisode sur les épidémies au XVIIIe siècle, mais qu’est-ce qu’on a comme changement par rapport au XVIIe siècle, notamment ?
Isabelle : Les changements sont pas extraordinaires au XVIIIe siècle. On a plutôt cette doctrine médicale et une conception du corps qui va guider l’approche du médecin. Donc, au début du XVIIIe siècle, c’est un héritage du XVIIe, les médecins adhèrent à la doctrine iatromécaniste, c’est-à-dire que le corps est considéré comme une machine, et c’est ainsi qu’[il] fonctionne. Ensuite, à la mi-XVIIIe siècle, il y a un docteur régent, Théophile de Bordeu, qui va avoir une approche qui relève du vitalisme. Il y aurait un fluide vital dans notre corps, qui nous permet de fonctionner correctement et, à la fin, à la toute fin du XVIIIe siècle, on a l’avènement de la médecine clinique. Donc c’est plutôt, encore une fois, une évolution en termes de doctrine, d’approche du corps, qui va guider la façon dont les médecins vont le traiter et l’envisager.
Les docteurs régents sont fidèles à la doctrine hippocratique, qui est la doctrine médicale officielle de la faculté de médecine de Paris, qui repose sur la théorie des quatre humeurs. Donc selon Hippocrate, les quatre humeurs sont le sang, la bile jaune, la bile noire et la lymphe, et un corps en bonne santé, c’est-à-dire un corps où nous avons un silence des organes, c’est ainsi qu’est définit l’état de bonne santé au XVIIIe siècle…
Fanny : Silence des organes ? C’est là où on a pas mal ?
Isabelle : Exactement. Et on peut remplir son rôle social, les bonnes apparences sont maintenues. [rires] Donc, l’idée c’est qu’il faut que toutes ces humeurs soient à égalité. Et cette conception est aussi influencée par le régime de vie des individus, donc la consommation alimentaire, l’activité physique.
[extrait du film Ridicule]
Fanny : On va s’intéresser maintenant, donc, aux médecins, c’est le sujet de ta thèse. Qui sont ces hommes de médecine que tu as étudiés ? Est-ce qu’ils formaient plutôt un groupe social homogène ou on avait des gens qui venaient d’un peu partout ?
Isabelle : Alors c’est une très bonne question. Mon étude montre qu’on a un groupe extrêmement ouvert. J’ai toutes les situations. J’ai des cas de reproduction sociale, donc des enfants de docteurs régents qui deviennent docteurs régents.
Fanny : D’ailleurs « docteur régent », pourquoi tu dis docteur régent et pas juste docteur ?
Isabelle : En fait, le titre exact de ces médecins c’est « docteur régent de la faculté de médecine en l’université de Paris ».
Fanny : Mmmh
Isabelle : Parce que, déjà, pour exercer la médecine à Paris, il faut avoir une licence en médecine, qui est une autorisation professionnelle, qui permet d’exercer uniquement dans le ressort de la faculté qui l’a décernée, en l’occurrence Paris et ses faubourgs.
Mon travail montre que tous les licenciés en médecine, à quelques rares exceptions, je pourrais y revenir par la suite, deviennent ensuite docteurs en médecine. Le doctorat permet au médecin de faire partie du corps de la faculté. Mais il y a des degrés. Le plus haut degré de membre de cette faculté, c’est régent. La régence donne le droit d’enseigner la médecine au sein de la faculté de Paris. Ce qui est une fonction prestigieuse, parce qu’elle va permettre aussi la reproduction du groupe, et la transmission, ce qui est très important, d’habitus de docteur régent, c’est-à-dire d’habitude de médecin, de savoir-être.
Fanny : Et tu as étudié combien de personnes ?
Isabelle : Alors j’ai 453 docteurs régents qui ont obtenu le titre et j’en ai une petite dizaine qui est dite « docteurs non régents », ils n’ont pas pu atteindre cette régence, alors pour diverses raisons. Soit parce qu’ils se sont présentés trop tard à l’examen. Certains ont été rayés du catalogue de régent, ce qui est une tache professionnelle importante, puisque le public est au courant qu’ils ont manqué en fait à cette doctrine médicale. Donc j’ai un exemple, qui est celui du docteur Guilbert de Préval, qui invente un remède qu’il appelle l’eau antivénérienne. Donc un remède prophylactique, ce qui est déjà un changement par rapport à la doctrine officielle de la faculté puisqu’il s’agit de prévenir une maladie. Là-dessus, la faculté est un peu réticente mais sans plus. Ce qui lui pose problème à la faculté, c’est que Guilbert de Préval va faire la publicité de son remède. Or, faire la publicité de son remède, c’est adopter le même comportement que d’autres individus que la faculté nomme les charlatans, les empiriques, les illégaux. Et en plus, Guilbert de Préval va avoir plus ou moins d’accointances avec une tenancière, qui n’est pas d’excellentes mœurs, donc ça gâche la réputation du groupe. Et la faculté intervient à ce titre-là. Donc là, elle est vraiment dans son rôle d’instance qui protège la corporation.
Les docteurs régents doivent sans cesse respecter les règles de la corporation, et en même temps, ils ont une liberté professionnelle. Ils sont complètement libres de leur pratique, de leur choix de remèdes, à partir du moment où ça ne remet pas en cause les intérêts du groupe et cette corporation.
Fanny : Mais est-ce qu’on a aussi des médecins qui viennent d’un milieu social qui n’a rien à voir, où vraiment c’est un peu le style des « self made men » qui viennent vraiment de la campagne, pour devenir médecin à Paris ?
Isabelle : Alors, oui, on a ce genre de cas parce que le doctorat c’est le seul diplôme qui sanctionne une formation scientifique. Donc il y a des médecins, effectivement, qui viennent de milieu qui ne les prédestinent pas du tout à la médecine. Parce que, ce qui les intéresse, c’est plutôt d’avoir un diplôme qui sanctionne une formation scientifique. Et la faculté de médecine est la seule à délivrer ce type de diplôme. On peut penser, par exemple, au Jardin du Roi, qui est une institution parisienne, où il y a des cours de sciences, de médecine, de botanique, de chimie, mais le Jardin des Plantes ne délivre pas de diplôme. Et certains, d’ailleurs médecins, vont…alors ils pratiquent tous l’exercice privé de la médecine, ce qu’actuellement on appelle la pratique libérale, mais tous n’en vivent pas. On a aussi des rentiers qui vivent en fait de leurs rentes.
Fanny : Qui juste ont passé ce diplôme comme ça, pour s’amuser ? En fait, ils n’exercent pas ?
Isabelle : Non, ils n’exercent pas mais il y a en fait un véritable engouement pour la science.
Fanny : A cette époque-là, les gens sont intéressés par ça.
Isabelle : Tout à fait, on a un mouvement qui touche aussi le grand public. Il faut savoir que la particularité des docteurs régents c’est d’enseigner. Et certains se montrent être des professeurs extrêmement investis et développent cet aspect de leur carrière. Au XVIIIè siècle, lorsqu’on regarde la presse d’annonce, on trouve en fait des annonces de cours privés de professeurs. Donc ils enseignent chez eux, ce sont des cours payants, et ils peuvent développer de nouvelles approches également en termes de pédagogie. Donc plus de pratique, plus à l’écoute des élèves. Par exemple, Jussieu va faire des cours de botanique et il emmène ses élèves herboriser, c’est-à-dire rechercher des plantes dans les environs de Paris, et il leur explique comment faire, il leur apprend à reconnaître les plantes à diverses époques, puisque, évidemment, la forme végétale va varier selon la saison.
Fanny : Est-ce qu’on a des femmes parmi tous ces médecins régents ?
Isabelle : Alors, il n’y a pas de femme médecin au XVIIIè siècle. En fait, la première femme médecin en France, elle est diplômée à la fin du XIXè siècle. En revanche, les femmes ont un rôle dans la carrière de leur époux. C’est-à-dire que quand on étudie les contrats de mariage des docteurs régents, on se rend compte que la dot de la femme est extrêmement importante parce qu’elle va permettre de financer les études médicales qui avaient un coût extrêmement important, qui est chiffré à environ 5 000 livres, ce qui est conséquent. Et toute la dot de l’épouse peut être investie pour financer, justement, l’accès à la régence.
Fanny : Donc le mariage permet à ces médecins de financer leurs études et de progresser dans leur carrière ?
Isabelle : Exactement. Et d’accéder au titre parisien qui permet d’exercer la médecine à Paris. Paris est un marché médical recherché puisqu’on va avoir des populations relativement aisées qui peuvent payer ces services médicaux, et qui peuvent notamment décider d’avoir un abonnement médical, c’est-à-dire d’avoir un médecin à demeure qui va les soigner en fait sur une année. Donc l’abonnement médical est de l’ordre de 200 à 300 livres.
Fanny : Et juste pour dire aux auditeurs, on avait fait un épisode, donc l’épisode 3, sur les sages-femmes en Alsace au XVIIIè siècle, où on voit qu’effectivement, enfin là c’était un cas particulier, où on voit une professionnalisation du métier de sage-femme, mais parce qu’il y a aussi les hommes qui imposent des études où en fait ils récupèrent un petit peu tout le prestige du côté sages-femmes. Là, on a vraiment pas encore ça dans la médecine générale à Paris, les femmes n’ont vraiment pas du tout de place, même pour rentrer à l’académie ?
Isabelle : Alors, non. Les femmes effectivement ne sont pas médecin. En revanche, on a des femmes qui exercent la profession de garde-malade. Alors, on ne les trouve pas mentionnées en tant que telles, par contre on trouve la femme garde-malade dans les actes du post-mortem, c’est-à-dire dans les inventaires après décès. Dans les dettes restant à payer, je trouve des frais de garde-malade.
Fanny : Et c’est précisé que c’est des femmes ?
Isabelle : Oui, c’est précisé que c’est des femmes. Et j’ai retrouvé un cas de litige dans les papiers des commissaires de police, dans la série Y des archives nationales.
Fanny : Est-ce qu’il n’y a pas des infirmières ?
Isabelle : Alors, en fait, ces garde-malades sont quelque part les prémices de la profession d’infirmière, qui va vraiment être institutionnalisée et posée au début du XIXè siècle.
Fanny : Alors, ces médecins, donc tu en as parlé, ils ont plein de rôles différents, ils enseignent, mais est-ce qu’ils pouvaient aussi avoir un rôle politique, voire même influencer les décisions politiques générales ?
Isabelle : Alors, effectivement, on peut penser déjà en termes de proximité avec le pouvoir [avec le] Premier médecin du roi, qui est chargé de la personne royale, donc il y a une relation de confiance. D’ailleurs, Lassone va utiliser cette relation pour créer la société royale de médecine. On trouve également des médecins, cette fois-ci, qui vont intervenir dans le cadre de la santé publique, notamment Jean Colombier qui va mettre en place tout le système d’alerte en cas d’épidémie. Il travaille en collaboration notamment avec les services de l’état et avec Necker. La réforme hospitalière, c’est aussi Colombier, en lien avec Necker. Et on les trouve également aux colonies, donc on a des médecins du roi aux colonies.
Alors, c’est l’une des particularités du sujet, quand j’ai débuté, donc, des médecins parisiens, pour moi c’était Paris. Et je me suis rendue compte que pas du tout. Certains sont médecins des ports donc à Brest, d’autres sont médecins aux colonies. Ensuite, on a cette diversité sociale, tous mes médecins ne sont pas parisiens, ce qui m’a permis aussi de faire un petit tour des archives de France, ce qui était fort agréable, et j’ai découvert différentes sources et différents dépôts d’archives.
Fanny : Donc, ce qu’on voit en fait c’est qu’au XVIIIè siècle, il n’y a pas forcément des avancées médicales mais qu’on a des avancées de santé générale, d’hygiène, de structuration en fait de tout le corps de santé.
Isabelle : Exactement. Les avancées sont plus sur la pratique que sur les sciences et la façon de… voilà… les nouveaux traitements.
Fanny : Est-ce qu’on voit des différences entre la médecine qui est pratiquée à Paris et la médecine qui est pratiquée dans les colonies ?
Isabelle : Alors, en fait, dans les colonies, les médecins parisiens n’avaient pas de formation particulière. Donc, il faut déjà s’adapter au climat, il faut s’adapter aussi aux besoins locaux. Donc ils avaient tendance plutôt à calquer la façon dont ils auraient pu soigner des individus dans le royaume de France. En revanche, ils rentrent en contact avec les pharmacopées locales, ils les décrivent, mais quant à la mise en œuvre réelle, c’est assez timide. En plus, il y a toute une terminologie qu’ils ne maîtrisent pas. Et ils ont accès à la pharmacopée locale via les ouvrages notamment des missionnaires jésuites.
Fanny : Est-ce que dans la façon de considérer les populations indigènes – c’est un petit peu anachronique dit comme ça – les populations locales, est-ce que du coup ils se comportent différemment qu’envers les patients parisiens ?
Isabelle : Alors, dans les colonies, ils ne soignent que les colons européens. Et je pense que tu penses à l’esclavage ?
Fanny : Notamment, oui.
Isabelle : Alors les esclaves étaient soignés par le chirurgien de la plantation. Le docteur régent n’ira pas soigner ce genre de population. Par contre, le docteur régent justement, parce qu’il applique cette conception hippocratique et qu’il est sensible à l’environnement de son malade… J’en ai un qui s’appelle Louis Gardanne, qui développe un ouvrage sur la façon de soigner les colons européens, parce qu’ils vivent différemment qu’en France et qu’ils ont un régime alimentaire différent, donc il va falloir adapter la façon de les soigner.
Fanny : Comment circulaient les savoirs à l’époque ? À part, j’imagine, dans les Académies, est-ce qu’on sait si les médecins pouvaient parler entre eux des différentes avancées ? Est-ce qu’il y avait des échanges d’idées, peut-être directement entre deux personnes ?
Isabelle : Alors, il y a deux éléments à prendre en compte. Il faut savoir que les médecins peuvent donner des consultations à plusieurs, à la demande du malade. Donc, ils sont plusieurs médecins et ils discutent sur un cas. Ce qui permet d’échanger des points de vue, d’échanger des recettes de remèdes. Donc ça, c’est le cas on va dire pratique.
[Dans] la deuxième situation, les docteurs régents sont des vulgarisateurs. C’est-à-dire que certains sont patrons de presse, ils développent une presse médicale, donc notamment le journal de médecine, de chirurgie et de pharmacie. Vandermonde, par exemple, est directeur de journal. Il va rester d’ailleurs entre les mains des docteurs régents pendant un certain temps. Gardanne développe également son propre journal, Barbeu du Bourg aussi. Donc, ils reprennent les connaissances qu’ils peuvent acquérir de leurs lectures, parce qu’un des devoirs du docteur régent, c’est de se former constamment, donc il y a tout un pan d’autoformation, il y a un budget quand même dans la dépense d’ouvrages qui n’est pas rien, ils y tiennent.
Et puis, à la faculté, il y a ce qui s’appelle les assemblées de prima mensis, donc à la demande des doyens, qui rassemblent l’ensemble des docteurs régents et ils discutent sur des cas pratiques. Ils répondent à des demandes parfois d’autres facultés ou d’autres médecins, et certains docteurs régents sont chargés de présenter des ouvrages. Donc c’est le doyen, c’est-à-dire le chef de la faculté, qui est un docteur régent qui a été choisi, qui dirige le corps, et qui charge certains – donc [nomment] des commissaires – de faire ces compte-rendu.
Fanny : Donc là, le médecin dans la société au XVIIIè siècle a une forte position sociale, c’est vraiment quelqu’un d’important.
Isabelle : C’est quelqu’un qui en impose, qui – il faut le savoir – ne peut pas faire son autopromotion. Y’a toute une question de la gestion de l’apparence. Donc, il faut habiter dans une maison à porte cochère, tel les nobles, parce que le carrosse passe, et ce carrosse – d’ailleurs La Mettrie le décrit comme ça – c’est une publicité roulante, puisqu’on sait que c’est le carrosse du médecin qui passe, et qui va fréquenter certains quartiers. Or, si on fréquente certains quartiers, on soigne une certaine population. Même chose, certains médecins sont dits « médecins en Cour », c’est-à-dire soignent les patients nobles à Versailles – alors quelques mois, ça se passe par quartiers – et là encore, on peut forger sa clientèle et on s’affiche comme fréquentant les nobles, donc on est membre de la bonne société. D’autre part, certains médecins fréquentent les salons et les loges maçonniques. Faut savoir que c’est un nombre de médecins restreints et, en ce qui concerne les salons, alors on trouve des médecins, mais – pour l’instant j’ai pas de preuve, je continue à chercher sur ce thème-là – je pense que, quand même, leur présence devait être limitée parce que la majorité de leur temps est consacré à la pratique privée de la médecine. Il faut absolument rentabiliser tout cet investissement, dans la location – ils sont locataires – de la demeure, dans l’entretien des chevaux, l’entretien du carrosse…
Fanny : …De la famille…
Isabelle : Exactement, donc tout ça coûte… et puis les livres, n’oublions pas les livres, très importants. La pratique privée reste quelque chose de chronophage.
Fanny : Alors tu as beaucoup parlé des patients nobles, des patients aisés, mais alors, qui soignent les parties un peu plus pauvres ou même plus modestes de la population à Paris ? Est-ce que c’est ces médecins, ou est-ce qu’on a d’autres types de médecins ?
Isabelle : Alors, les docteurs régents soignent également les populations plus pauvres et, dans ce cas-là, la fonction est institutionnalisée puisque certains sont médecins de paroisse. Et ils apprécient d’être médecins de paroisse parce que ça leur permet d’abord d’explorer Paris. Le médecin de paroisse se déplace chez les populations pauvres, et le médecin de paroisse est en relation directe avec les dames de charité et les sœurs. Donc il se fait reconnaître, ça sert aussi sa réputation : c’est un homme charitable, un homme de bonne mœurs, à qui on peut faire confiance. Et ce qui est intéressant également pour eux, c’est que, lorsqu’on est médecin de paroisse, on est rétribué régulièrement. Les patients, même nobles, ont l’habitude de payer à crédit. Alors, c’est pas spécifique aux docteurs régents, le crédit est une forme de paiement extrêmement importante au XVIIIè siècle, mais enfin, en attendant, y’a un petit retard de trésorerie pour les docteurs. Donc ils sont très contents d’être médecins de paroisse.
[interlude musical : Music For The Royal Fireworks – La Paix: Largo Alla Siciliana]
Fanny : D’après tout ce que tu me dis, je vois que tu as beaucoup été dans les archives, tu as fouillé un petit peu partout. Alors, raconte-nous comment est-ce que tu as travaillé sur ces médecins, à partir de quelles sources ?
Isabelle : Alors, comme je fais de l’histoire sociale, la source principale a été les actes notariés. Donc, les actes notariés, ce sont les contrats de mariage, les inventaires après décès. Ce qui peut paraître paradoxal lorsqu’on parle de médecine, puisque ces documents me renseignent sur la filiation, sur le choix de l’épouse, donc le réseau social, on y revient, et puis tout l’aspect matériel : où vit-on ? qu’a-t-on ? Les bibliothèques. J’étudie en fait les bibliothèques des docteurs régents, qui sont riches d’enseignement, parce qu’on voit, encore une fois, la fidélité à la doctrine hippocratique et en même temps l’intégration de nouveaux ouvrages, le fait que les docteurs régents se lisent entre eux. Donc là, ça répond aussi à ta question précédente.
Donc ça, c’était un gros travail de retrouver tous ces actes. Et ça a été un vrai bonheur aussi. Je dois avouer qu’ouvrir le carton et trouver l’acte que je cherchais, ça a toujours été très satisfaisant. Donc j’ai travaillé au minutier central. J’ai travaillé également au service historique de Vincennes, puisque j’ai des docteurs régents militaires. Là, je dois dire que j’ai trouvé peu de sources sur ma période. J’ai travaillé à la Bibliothèque interuniversitaire de médecine, et me sont arrivés Les Commentaires. Donc pour les auditeurs, Les Commentaires sont un gigantesque ouvrage, très lourd, avec des renforts métalliques à chaque coin, des gigantesques pages, donc on ouvre ça et, à l’intérieur, alors là… à l’intérieur il y a une partie en latin. Donc, je ne maîtrise pas le latin, et il semblerait que ce soit en plus assez complexe à cette époque puisque c’est du latin médical donc c’est un petit peu du latin de cuisine. [rires] Et en-dessous, il y a quand même une partie en français. Donc, un de mes problèmes a été « mais qu’est-ce qu’ils peuvent bien écrire en latin ? ». Et finalement, en feuilletant les différents volumes de Commentaires, je me suis rendue compte que les textes en latin, c’était plutôt des textes de loi, et les parties qui étaient en français relevaient plutôt de la vie de la corporation. Donc ça m’a permis d’approcher cette vie de la corporation. Et ces Commentaires étaient rédigés par le doyen, donc le chef de la faculté, à la fin de chaque décanat, avec apposition de la signature de tous les docteurs régents à la fin pour approuver ce qui était écrit. En fait, ces Commentaires c’est vraiment la mémoire de la faculté.
Fanny : Comme une sorte de chronique en fait ?
Isabelle : Exactement ça. Et puis, les derniers tomes de Commentaires ont été publiés.
Fanny : Est-ce que tu as travaillé aussi sur des écrits, peut-être, je sais pas… des journaux, mais des journaux tenus par la main de certains médecins ?
Isabelle : Alors, je n’en ai pas retrouvés. Par contre, j’ai retrouvé leur mention dans les inventaires après décès. Pour un de mes docteurs, qui s’appelle Edme Bourdois de la Motte, sa femme a brûlé son journal dans lequel il y avait le répertoire de tous ses clients.
Fanny : Pourquoi elle a fait ça ?
Isabelle : Une crise de folie [rires gênés]. Qu’est-ce que j’ai eu ? J’ai eu quelques témoignages dans les mémoires de femmes nobles qui décrivent leur santé et décrivent quelques relations avec leur médecin. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas de pièce véritable…
Fanny : …Pas de correspondance, de choses comme ça ?
Isabelle : Alors, il y a les consultations par lettre de Geoffroy qui sont étudiées par Isabelle Robin-Roméro, qui sont conservées à la bibliothèque interuniversitaire de médecine, mais c’est vraiment le pan médical. Alors que moi, je travaille sur, encore une fois, l’aspect social, les relations. Alors par contre, si, ça me fait penser à autre chose. Il y a un fond, qui est un fond privé, auquel j’ai pu avoir accès, par la diligence de la famille, qui est celle du docteur Bourdier, avec des échanges qui expliquent justement que ce docteur Claude Bourdier réussit bien à Paris et grâce à cela il peut prendre en charge sa famille. Donc il va financer les études de médecine de son frère, il va également prendre en charge l’enfant de la domestique, par reconnaissance, et on a comme ça quelques lettres.
Fanny : Isabelle, dans ta thèse, qu’est-ce que tu as rencontré comme difficultés ?
Isabelle : D’abord celle de comprendre ce latin, que je n’ai pas compris mais enfin j’ai trouvé moyen de me dépatouiller avec ça. Une autre difficulté a été de me familiariser avec ces différents dépôts d’archives, puisque je n’avais jamais fait, moi, de recherches dans ces centres. Donc chaque dépôt d’archive à son petit mode de fonctionnement, il faut se familiariser avec les séries, se familiariser avec les documents, donc tout un travail de critique externe des documents. Et puis moi, je fais de la prosopographie, c’est-à-dire que je travaille sur un corpus de 453 individus, et j’essaye de renseigner différentes rubriques que j’ai prédéterminées. Donc par exemple : date de naissance, lieu de naissance, cursus… voilà pour les principales. Donc la prosopographie, effectivement, c’est quelque chose de chronophage, il faut y consacrer du temps, mais c’est en cherchant, en fait, que… voilà… et puis on a envie de savoir. Et moi, ma difficulté, ça a été de me dire « bon, bah maintenant ça suffit, on va peut-être arrêter de chercher dans les dépôts d’archives, on va se mettre à tout coordonner et commencer à rédiger ». Et ce qu’il y a, c’est qu’à force de fréquenter ces 453 personnes, on veut tout le temps en savoir plus, on veut tout le temps aller vraiment dans la précision.
Fanny : Je comprends.
Isabelle : Mais il faut savoir s’arrêter.
Fanny : C’était une difficulté pour toi de dire « bon, allez, maintenant je garde ce que j’ai et je passe à la rédaction, et je finis la thèse » ?
Isabelle : Voilà, exactement. La synthèse, et me dire qu’il y a une suite à cette thèse, et je pourrai reprendre tous ces dossiers qui ont été laissés un petit peu en friche.
Fanny : Et justement, depuis que tu as fini ta thèse, qu’est-ce que tu fais Isabelle ? Est-ce que tu continues de faire des recherches, ou pas encore ?
Isabelle : Alors, depuis la fin de cette thèse effectivement, je continue, justement, je reprends ces dossiers en friche, je participe à quelques colloques et journées d’études, et là, j’ai le projet de faire connaître ce travail, donc un projet d’édition qui demande quand même quelques passages…enfin quelques moments de réécriture, de reconsidération, peut-être de synthèse…
Fanny : Forcément…
Isabelle : …Parce qu’il y a des points de thèse qui sont extrêmement développés, notamment les notes infrapaginales peut-être à alléger. J’ai également un projet, peut-être, de publier cette fameuse prosopographie, qui pourrait servir à d’autres chercheurs.
Fanny : Donc publier en fait un ensemble de fiches sur chaque médecin, comme des mini-biographies à chaque fois sur chacun ?
Isabelle : Oui, peut-être sous la forme d’un dictionnaire qui permettrait peut-être de mieux comprendre, justement, cette bourgeoisie…
Fanny : …oh, ce serait super intéressant, ça !
Isabelle : Merci. Ça contribuerait à mieux comprendre ce qu’est la bourgeoisie à talents à Paris.
Fanny : Pour finir ce podcast, Isabelle, j’ai ma petite question un petit peu rituelle : quels conseils est-ce que tu donnerais à quelqu’un qui voudrait étudier le monde des médecins ou peut-être la société du XVIIIè siècle ?
Isabelle : Alors, ne pas penser que seules les sources proprement médicales, c’est-à-dire scientifiques, sont sources de connaissance. La médecine a été définie par Jacques Léonard comme étant au carrefour de tout. Effectivement. Puisque la médecine, c’est prendre en compte tout ce qui va influer sur le corps. Mais il y a aussi les relations, il y a aussi la vulgarisation, il y a aussi la législation médicale. Alors, on n’en a pas parlé, mais les docteurs régents vont œuvrer à la mise en place de la médecine légale, ce qui est quand même quelque chose qui n’est pas… comme ça… donné. Il y a la question de l’apparence, il y a la question des enfants, Andry va par exemple développer l’orthopédie. C’est un sujet extrêmement vaste.
Je conseillerais aussi de ne pas se décourager parce que la recherche en archives, il y a des moments de joie, mais intenses, puis y’a des moments où on est un petit peu au creux de la vague, parce qu’on ne trouve pas, parce que… voilà, ça ne fonctionne pas. C’est pas grave. Il faut toujours aller vraiment de l’avant, se dire que de toute façon, on n’est pas là par hasard non plus, mais il faut développer une certaine ténacité.
Et puis, encore une fois, peut-être, faire attention à ne pas vouloir tout dire, s’en garder un petit peu pour la suite [rires de Fanny], savoir se dire « bon, maintenant, les archives je vais peut-être arrêter, synthétiser, et après je reprendrai ».
Fanny : Désormais, chers auditeurs et auditrices, vous en savez un petit peu plus sur la médecine et sur les médecins en France, à Paris, au XVIIIè siècle. Donc, merci beaucoup, Isabelle Coquillard, pour toutes ces informations, tu étais passionnante.
Isabelle : Merci beaucoup, Fanny Cohen-Moreau, de m’avoir invitée, et de m’avoir posé toutes ces questions, et j’espère que les auditeurs auront découvert un petit peu les médecins parisiens du XVIIIè siècle.
Fanny : Mais oui ! Et si les auditeurs veulent en savoir plus, on mettra sur le site – alors c’est https://passionmedievistes.fr/passion-modernistes/ – on vous mettra un petit peu plus d’informations. On vous mettra une bibliographie, vous pourrez retrouver plus d’informations pour aller plus loin sur cet épisode. Et si l’histoire moderne vous intéresse, allez voir les autres épisodes de Passion Modernistes. Alors, on l’a dit, il y a l’épisode 3 où on parle des sages-femmes, on avait fait un épisode sur les épidémies, on a fait aussi un épisode sur la fondation de l’État de New York. Voilà, vous avez des sujets assez divers, allez explorer tout ça.
Retrouvez aussi Passion Modernistes sur Facebook et Twitter. Et dans le prochain épisode, on parlera de Madame Eloffe, marchande de mode de Marie-Antoinette. Salut !
[Chanson de Francis Cabrel – Docteur]
Les articles d’Isabelle :
« L’émergence des garde-malades dans le marché de la santé à Paris au xviiie siècle », in Recherche en Soins Infirmiers, 139, n°4, 2019, pp. 12-30.
Portrait du docteur Alphonse Leroy (médecin accoucheur, dans son cabinet de travail, accoudé sur un ouvrage d’Hippocrate), par Jacques-Louis David en 1783. Musée Fabre, Montpellier
« Nicolas Andry (1658-1742) et l’orthopédie pédiatrique », in e‧sfhm, Supplément illustré de la revue Histoire des Sciences Médicales, vol. 5, n°2, 2019, pp. 22-33.
« La cour, un pôle d’attraction et un lieu de concurrence pour les docteurs régents de la faculté de médecine de Paris au xviiie siècle », in Perez Stanis, Vons Jacqueline (éds.), Santé et médecine à la Cour de France (xvie-xviiie siècles), Paris, Bibliothèque Interuniversitaire de Santé, 2018, pp. 27-40.
« L’apport des actes du post-mortem à la connaissance de la pratique libérale de la médecine, à Paris, au XVIIIe siècle », in Perez Stanis (dir.), Écrire l’histoire de la médecine : temporalités, normes, concepts, nov. 2013, La Plaine-Saint-Denis, France, 2013.
« Les docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris et la fourniture de soins aux « bons pauvres malades » dans les paroisses parisiennes (1644-1791) », in Revue historique, vol. 4, n°668, 2013, pp. 875-904.
« Des médecins jurés au Châtelet de Paris aux médecins légistes. Genèse d’une professionnalisation (1692-1801) », in Histoire des sciences médicales, vol. 46, n°2, 2012, pp. 133-144.
« Joseph-François Bourdier de la Moulière et ses travaux sur le quinquina fébrifuge (1809-1811) », in Histoire des sciences médicales, vol. 44, n°2, 2010, pp. 141-152.
« La longévité médicale du docteur Edme Joachim Bourdois de la Mothe », La Revue, vol. 3, n°6, 2009, pp. 146-170
« De l’Hôtel des Invalides à la Cour impériale. Itinéraires des Maloet père et fils, docteurs régents de la faculté de médecine de Paris au xviiie siècle », dans Histoire des sciences médicales, vol. 43, n°1, 2008, pp. 39-48.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
Ridicule (1996)
Music For The Royal Fireworks – La Paix: Largo Alla Siciliana
Docteur – Francis Cabrel
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
Épisode 3 – Johana et les sages-femmes en Alsace
Épisode 12 – Paul-Arthur et les épidémies au XVIIIème siècle
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
9/27/2020 • 37 minutes, 47 seconds
Épisode 14 – Axel et le peintre Watteau (Passion Modernistes)
Épisode 13 – Aurélie et l’éducation des enfants pauvres (Passion Modernistes)
Comment organisait-on l’éducation des enfants pauvres à l’époque moderne en France ?
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baabab778').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baabab778.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Aurélie Perret au micro de Passion Modernistes
Depuis 2015 Aurélie Perret fait une thèse « L’éducation des enfants pauvres dans les villes d’Ancien Régime : Lyon, Rouen et Reims 1659 – 1791 », sous la direction de Albrecht Burkardt à l’université de Limoges.
Histoire de l’éducation
Son travail consiste en une étude en profondeur de l’éducation donnée aux enfants pauvres. Aurélie traite donc à la fois des écoles et de leurs fondations, des maîtres et des maîtresses, des élèves, des théories pédagogiques, mais aussi, grâce à des sources inédites, elle me propose de rentrer en sein des classes pour traiter la réalité des pratiques enseignantes.
Il y a une éducation pour les pauvres dès l’époque moderne. (Aurélie Perret)
L’image de l’éducation sous l’Ancien Régime est celle d’une éducation exclusivement cantonnée à la sphère des élites. Dans la pratique, on a affaire à la mise en place de petites écoles de charité à destination des enfants pauvres, filles et garçons, au sein des villes dès la première moitié du XVIIe siècle. Ce phénomène, relativement peu étudié en ce qui concerne l’éducation des filles pauvres, fait face à un vide historiographique conséquent qui amène aujourd’hui à une relecture des sources archivistiques sous l’aspect de l’histoire du genre, mais aussi de l’histoire de l’éducation populaire et de l’histoire sociale.
Abraham Bosse, La maîtresse d’école, eau-forte, v. 1638 (source site de la BNF)
Un réseau d’écoles
Dans sa thèse Aurélie Perret travaille surtout sur la ville de Lyon, mais aussi sur Rouen où Nicolas Barré, fondateur de la congrégation des sœurs du saint Enfant Jésus et d’une école de filles pauvres, a eu des contacts avec celui des écoles lyonnaises, Charles Démia. Elle s’est également intéressée à Reims où le prêtre Nicolas Roland, fondateur d’écoles destinées aux enfants pauvres et directeur de conscience de Jean Baptiste de la Salle (fondateur des Frères des écoles Chrétiennes, dévoués à l’éducation des garçons pauvres) a lui aussi eu des contacts avec Nicolas Barré.
Ces trois espaces urbains ne sont donc pas choisis au hasard puisque les trois pédagogues principaux de ces villes ont eu des contacts. Les populations cibles de ces petites écoles : les « enfants pauvres » sont également originaires des mêmes milieux socioprofessionnels puisque le contexte urbain est sensiblement le même.
Cahiers d’Inspection conservés aux Archives Départementales du Rhône.
Pour aller plus loin sur le sujet voici une bibliographie sélectionnée par Aurélie :
Guy AVANZINI, René CAILLEAU, Anne-Marie AUDIC, Pierre PÉNISSON, Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française, Paris, Edition Don Bosco, 2010
Xavier BISARO, « L’instruction méthodique pour l’école paroissiale (1654-1669), projet Cantus Scholarum
Roger CHARTIER, Marie-Madeleine COMPERE, Dominique JULIA, L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 1976
Michel FIEVET, L’invention de l’école des filles des amazones de Dieu aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Imago, 2006
Roger GILBERT, Charles Démia (1637-1689), Fondateur lyonnais des petites écoles de pauvres, Lyon, ed. Robert, 1989
Bernard GROSPERRIN, Les petites écoles sous l’Ancien Régime, Rennes, Ouest France, 1981.
Aurélie PERRET, « Les petites écoles dans le Limousin au XVIIe et XVIIIe siècles », Atlas Historique du Limousin, disponible en ligne, 2017.
Les références des extraits des oeuvres diffusées dans cet épisode :
Saint-Cyr (2000)
J.-B. LULLY: «Armide» LWV 71
Yves Montand – Page d’écriture (1962)
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
Si l’histoire moderne vous intéresse allez écouter les autres épisodes de Passion Modernistes
Si vous voulez vous aussi proposer un sujet pour le podcast envoyez moi un message !
4/26/2020 • 39 minutes, 7 seconds
Épisode 12 – Paul-Arthur et les épidémies au XVIIIème siècle (Passion Modernistes)
Comment luttait-on contre les épidémies au XVIIIème siècle en Italie ?
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baabb1350').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baabb1350.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Paul Arthur Tortosa au micro de Passion Modernistes
Lorsque cet épisode a été enregistré début mars 2020 nous n’avions aucune idée de comment la situation pourrait évoluer dans les prochaines semaines… Cet épisode est publié le mercredi 18 mars, et nous espérons qu’il permettra d’avoir du recul sur la situation, d’observer les évolutions ou les constantes entre le XVIIIème siècle et notre époque contemporaine.
La politique face aux épidémies
Dans sa thèse, Paul-Arthur Tortosa étudie les politiques de santé publique mises en place dans l’Italie des années 1796-1805, c’est-à-dire sous domination française, mais encore constitué d’États indépendants. Dans cet épisode, nous parlons de comment l’Italie, dans toute sa complexité politique, gérait les épidémies, quelles mesures étaient mises en place ou non.
La santé publique et la médecine, c’est de la politique menée par d’autres moyens.
Souvent les mesures d’urgence et de luttes contre les épidémies, comme les quarantaines ou les cordons sanitaires, sont des mesures avant tout politiques : de la politique intérieure, pour rassurer la population, et de la politique extérieure, pour rassurer les États voisins. Mais les politiques et les autorités sanitaires sont conscientes des limites de la quarantaine, il s’agit avant tout de mettre en scène l’action du souverain qui protège sa population.
La conjonction des épisodes épidémiques et de l’occupation française en Italie entraîne un moment de recomposition des rapports de force : entre les différents États italiens, entre magistratures centrales et périphériques, et entre les sphères médicales et politiques.
Edward Jenner pratiquant la première vaccination contre la variole en 1796 (Crédits : Gaston Melingue)
Qu’est-ce qu’une épidémie au XVIIIème siècle ?
La notion d’épidémie est à différencier de celle de l’endémie, une maladie qui touche une population et une région de manière continue dans le temps, comme le paludisme. On peut définir une épidémie comme la hausse de l’incidence d’une maladie dans un espace donné à un moment donné, avec une augmentation de cas. Mais dans cet épisode Paul-Arthur nuance cette définition car le seuil où une maladie devient une épidémie est politique.
Après la peste à la fin du Moyen Âge et jusqu’au XVIIème, et avant le choléra au XIXème siècle, le XVIIIème est le siècle de la variole, une forme de très grande varicelle, qui laissait les malades défigurés, et qui touchait toutes les parties de la population (là où la peste touchait plutôt les milieux populaires). Et ce jusqu’au sommet des États, parce que Louis XV notamment est mort de la variole.
Mais la connaissance des maladies à l’époque n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui, donc une maladie aujourd’hui pouvait avoir plusieurs noms au XVIIIème siècle, comme le paludisme, appelé fièvre tierce ou fièvre intermittente, qui est une des maladies les plus mortelles à l’époque. D’ailleurs c’est Giovanni Maria Lancisi, médecin du pape Clément XI, qui, croyant que le mauvais air était cause de la maladie, introduit le mot mal’aria, et en 1717 il publie l’ouvrage De noxiis paludum effluviis eorumque remediis à propos du paludisme.
Carte de l’Italie, par le géographe royal français Vaugondy
Avec les armées et les conflits vont aussi transformer des maladies endémiques en véritables épidémies, notamment pour des maladies comme la galle et les maladies sexuellement transmissibles. Les espaces confinés (hôpitaux, prisons, galères) sont aussi propices au développement de maladies endémiques qui deviennent des épidémies au contact d’autres populations, notamment lorsqu’un bateau contaminé arrive dans un port.
Pour aller plus loin sur le sujet voici une bibliographie sélectionnée par Paul-Arthur :
Cipolla, Carlo Maria, Contre un ennemi invisible : épidémies et structures sanitaires en Italie de la Renaissance au XVIIe siècle, Paris, Balland, 1992 (trad. Marie-José Tramuta) : classique de l’histoire de la santé publique en Italie, le style est très clair et accessible au grand public, il explique bien comment fonctionnent les magistratures sanitaires italiennes.
Bercé, Yves-Marie, Le Chaudron et la lancette : croyances populaires et médecine préventive, 1798-1830, Paris, Presses de la Renaissance, 1984 : livre qui propose une longue analyse des réactions populaires à la vaccination dans l’Italie départementalisée.
Brice, Catherine, Histoire de l’Italie, Paris, Tempus, 2003 : une bonne synthèse sur l’histoire italienne de l’antiquité à nos jours.
Delumeau Jean, La Peur en Occident. Une cité assiégée (XIVe-XVIIIe siècle), Paris, Fayard, 1978 : excellent ouvrage sur l’histoire des émotions. Il traite notamment de la question de la peur des épidémies.
Catriona Seth, Les rois aussi en mouraient. Les Lumières en lutte contre la petite vérole, Éditions Desjonquères, coll. « L’esprit des lettres », 2008, 476 p.
Les références des extraits des oeuvres diffusées dans cet épisode :
L’échange des princesses (2017)
Archangelo Corelli : Sonate n°12, « La Follia »
George Brassens – Mourir pour des idées (1972)
Transcription de l’épisode 12 (cliquez pour dérouler)
Fanny : Bonjour à toutes et à tous. Avant de commencer cet épisode, un petit message. Vous avez vu le titre, vous avez compris le sujet. Il se trouve que cet épisode, je l’ai enregistré début mars, et on avait calé cette interview depuis plusieurs mois. À cette époque, début mars, le sujet du coronavirus était encore assez lointain, c’était en Chine, on le traitait pas forcément sérieusement, c’était un peu pris à la légère. Donc là, j’avais un petit peu à un dilemme sur la sortie de cet épisode. Est-ce que je le sors maintenant ? Est-ce que je le garde pour plus tard ? J’ai un petit peu peur d’ajouter à l’ambiance morose actuelle, mais en même temps, ce qui est bien avec l’histoire, c’est qu’on peut faire un pas de côté, on peut essayer de comparer avec d’autres époques, de se rendre compte que par exemple, vous allez voir, entre le XVIIIe siècle et le XXIe siècle, sur la façon de traiter les épidémies, il y a des différences et des points communs. Donc j’espère avec cet épisode vous aider à prendre un petit peu de recul. Cet épisode sort le mercredi 18 mars [2020] donc cette introduction semblera peut-être un petit peu bizarre dans quelques mois, un petit peu décalée. Mais elle me semblait importante à faire. Donc je remercie encore Paul-Arthur pour tous ces éclairages, et je vous souhaite une bonne écoute.
[Générique de Passion Modernistes]
Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes. Dans ce podcast, nous vous proposons de rencontrer de jeunes chercheurs et chercheuses, en master ou en thèse, qui étudient l’histoire moderne. Et pour rappel, l’histoire moderne, c’est cette période qui s’est un petit peu glissée entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine, c’est-à-dire en gros pour l’Europe occidentale entre les années 1500 et 1800.
Épisode 12, Paul-Arthur et les épidémies au XVIIIe siècle, c’est parti !
Au moment où nous enregistrons cet épisode, la France va peut-être passer en phase trois de l’épidémie du certain coronavirus. Donc si ça se trouve, vous écoutez cet épisode dans un futur plus ou moins post-apocalyptique, où la seule technologie qui subsiste encore est le flux RSS et où votre seule distraction est le podcast. Dans ce cas, bon courage à vous, voilà on vous envoie plein de bonnes ondes, mais revenons pour l’instant au présent. Bienvenue Paul-Arthur Tortosa.
Paul-Arthur : Bonjour.
Fanny : Depuis 2015, tu es doctorant à l’Institut Universitaire européen de Florence et tu donnes des cours d’histoire de la santé à Strasbourg notamment, donc à la fac de médecine. Tu es donc en cinquième année de thèse sur le sujet « Surveiller et guérir : la médecine d’État en Italie, de la conquête à la départementalisation, 1796-1814 » sous la direction de Stéphane van Damme. Et aujourd’hui donc on va s’intéresser un peu plus largement aux épidémies au XVIIIe siècle. Déjà première question Paul-Arthur, pourquoi est-ce que tu as voulu travailler sur ce sujet, comment est-ce que tu l’as élaboré ?
Paul-Arthur : Alors j’y suis arrivé, je dirais pas par hasard, mais en tout cas par un cheminement qui n’a pas été binaire. J’avais fait mon master sur l’histoire des statistiques, et j’avais fait un master qui était vraiment très centré sur une histoire intellectuelle, une histoire des idées, un petit peu désincarnée, et j’avais envie en thèse d’aller vers quelque chose de plus concret. Mais j’avais pas d’idée spécifique, je savais que j’aimais l’histoire des savoirs, XVIIIe tout début XIXe.
Et lorsque je présentais dans un colloque les résultats de mon master, j’ai rencontré quelqu’un qui était en post-doctorat à l’Institut universitaire européen de Florence, qui m’a parlé de cet établissement que je ne connaissais pas, et il m’a invité à candidater parce que j’avais un profil qui, selon lui, pouvait être accepté.
Comme je voulais faire une thèse, évidemment la perspective de la réaliser en Italie m’a tout de suite plu, et j’ai commencé à réfléchir à un sujet qui permettait de concilier à la fois ce que je savais faire, donc l’histoire des savoirs, trouver un sujet italien pour profiter du fait d’être en Italie pendant mes années de thèse, et j’ai commencé à réfléchir à la question de la santé lors des conflits. Initialement mon travail portait exclusivement sur la médecine militaire, le service de santé des armées françaises pendant les campagnes napoléoniennes. Lorsque je suis arrivé en Italie, je suis allé aux archives, et j’ai pas trouvé exactement ce que je voulais. C’est-à-dire qu’il y avait des documents que j’imaginais qui existaient, [pour] me renseigner sur des problèmes que je trouve extrêmement intéressants et importants, et en réalité, il n’y avait rien. Pour deux types de raison : certaines archives ont tout simplement disparu lors de la Seconde Guerre mondiale, à Milan par exemple, et aussi je me suis rendu compte que ce qui moi m’intéressait, ne semblait pas important pour les gens de l’époque. À l’inverse, il y avait tout un tas de choses qui les intéressaient au plus haut point et qui, moi, me semblaient secondaires. Et en fait, on va dire mon sujet de thèse s’est vraiment construit sur cette surprise de ne pas trouver des choses qui me semblaient importantes, et de voir que les gens du passé trouvaient important des choses qui, moi, me semblait pas importantes.
Fanny : Donc là c’est vraiment à l’épreuve des sources que ton sujet a évolué.
Paul-Arthur : Exactement. Pour donner un exemple parlant, en fait il y avait des maladies dont je savais qu’elles tuaient des milliers de personnes tous les ans, et il y avait quasiment aucun document dessus, quelques constats, quelques rapports. Et à l’inverse, en allant aux archives italiennes, je trouvais partout, une quantité de documents folle à propos d’une épidémie qui n’a presque tué personne. Et j’ai donc voulu essayer de comprendre pourquoi certaines maladies qui était si mortelles finalement attiraient peu l’attention, et à l’inverse pourquoi des pathologies qui étaient très peu mortelles, ou avaient tué peu de personnes, avaient déclenché des réactions politiques, économiques, énormes à l’échelle de tout le pays.
Fanny : Et là actuellement, dans ta thèse, qu’est-ce que tu veux montrer ?
Paul-Arthur : Peut-être essayer d’expliquer comment comprendre, comment saisir ce paradoxe, ce décalage entre des maladies qui tuent peu mais qui sont l’objet de mesures importantes, et des maladies qui, elles, tuent beaucoup mais sont l’objet de peu d’attention. Si je devais résumer ma réponse en quelques phrases, je pourrais dire en paraphrasant Clausewitz que…
Fanny : En paraphrasant qui, pardon ?
Paul-Arthur : Clausewitz, donc qui est un théoricien de la guerre, qui avait dit « la guerre c’est la politique menée par d’autres moyens. »
Fanny : D’accord.
Paul-Arthur : Pour dire que la médecine, c’est de la politique menée par d’autres moyens. Qu’est-ce que j’entends par là ? Eh bien que très souvent les mesures d’urgence, les mesures de lutte contre les épidémies, et donc les quarantaines, les cordons sanitaires, etc. sont des mesures qui sont avant tout des mesures politiques. À deux titres : premièrement politique intérieure, elles visent à rassurer la population, et deuxièmement politique extérieure, elles visent à montrer à l’État voisin que l’État a la situation bien en main, que la situation est sous contrôle.
Ça, c’est quelque chose qu’on retrouve aussi dans le monde contemporain. Que finalement les gens qui prennent ces mesures, les hommes politiques, les magistrats de santé italiens au XVIIIe siècle, ont pleinement conscience des limites de l’efficacité de la quarantaine. Ils savent très bien que la quarantaine n’est pas très efficace et que les cordons sanitaires sont poreux, que les gens ils passent à travers. Et ça, j’en ai pour preuve par exemple des échanges de courriers entre les différents magistrats et certains demandant la suspension des mesures, et les autres répondant « non, nous ne pouvons pas », mais ce n’est pas pour des raisons sanitaires, ils disent « nous ne pouvons pas parce que sinon les États voisins cesseront de communiquer avec nous ». Il y a cette volonté de circonscrire le mal, mais par des mesures qui sont avant tout une mise en scène, la mise en scène de l’action. De même, par rapport à la population, l’objectif est vraiment de mettre en scène l’action du souverain. De montrer que le souverain prend en charge son rôle de protection de la population.
Fanny : C’est vraiment très parlant par rapport à ce qui se passe aujourd’hui. Reprenons par une question qui est toute simple mais qui va être un peu utile pour le reste de l’interview aujourd’hui, qu’est-ce qu’une épidémie ? Partons un peu de la définition, et est-ce que d’ailleurs cette définition est différente par rapport à aujourd’hui ?
Paul-Arthur : Alors, il est très difficile de définir de manière précise et exclusive cette notion. Tout de suite, il faut voir par rapport à quelle autre notion elle est définie, par rapport à quelle autre notion elle est distinguée. Généralement c’est la question de l’endémie. On va partir avec une première définition, qu’on va essayer de raffiner. En théorie, on va dire qu’une maladie est endémique lorsqu’elle touche une population ou une région de manière continue dans le temps. On peut prendre par exemple l’exemple du paludisme, qui va toucher des régions où il y a des marais, des moustiques, une maladie ou il n’y a pas forcément de hausse ou de baisse dans l’incidence, c’est une maladie qui est relativement stable et qui peut rester dans une région pendant des siècles.
Fanny : Donc le paludisme c’est endémique ?
Paul-Arthur : Alors, justement on va y revenir. [rires] Mais en tout cas, de ce point de vue là, on peut… oui le paludisme est endémique, dans le sens où il frappe certaines régions de manière continue.
À l’opposé, on pourrait définir une épidémie, comme la hausse de l’incidence d’une maladie, dans un espace donné, à un moment donné. Qu’est-ce qu’on entend par là ? Eh bien qu’il y a une augmentation du nombre de cas d’une maladie. Alors ça peut être l’augmentation du nombre de cas d’une maladie qui existe toujours un petit peu, par exemple la grippe, il y a toujours quelques cas de grippe, mais on va parler d’épidémie de grippe lorsqu’un certain seuil est dépassé. À l’inverse, on comprend tout de suite le problème lorsqu’une maladie n’existe pas sur un territoire, et qu’elle commence à s’y introduire.
À partir de quel seuil va-t-on définir l’épidémie ? Alors là, il y a tout un tas de cas différents. On peut donner un seul chiffre, et on peut définir ça en fonction du pourcentage de la population, mais on a des cas où par exemple parce qu’une personne va être touchée, l’état d’épidémie va être déclaré, comme dans le cas du Sénégal qui avait déclaré l’état d’urgence épidémique lorsqu’une personne a été contaminée [NdT : dans le cadre de l’épidémie de coronavirus]. En France, on a vu, qu’est-ce qui explique que l’on passe par exemple à vingt cas de coronavirus, ce n’est pas une épidémie, au-delà d’un certain cap, on va dire trois de plus, là on va définir comme épidémie. On voit bien que déjà il y a un enjeu politique à qualifier la hausse de l’incidence de manière épidémique ou pas.
Fanny : Oui, là c’est pas qu’un critère médical, c’est politique comme tu disais déjà tout à l’heure.
Paul-Arthur : Exactement. Alors ensuite, la situation est encore plus compliquée parce qu’à l’époque, il y a deux logiques qui vont s’affronter. Une logique qu’on pourrait qualifier de quantitative, et une logique qu’on pourrait qualifier de qualitative.
Alors, la logique quantitative, celle qu’on vient de présenter, à savoir elle va définir l’épidémie en termes statistiques. Pour les États italiens, comment est-ce que cela fonctionne concrètement ? Et bien, on va comparer la mortalité d’un mois donné, donc par exemple du mois de novembre 1782, au hasard, et on va comparer avec la mortalité du mois de novembre 1781. Alors pourquoi est-ce que l’on compare les mois identiques, et bien parce qu’un des modèles ou une des théories médicales dominantes à l’époque est ce qu’on appelle le néo-hippocratisme. Pour faire vite, c’est une théorie qui va considérer que le climat joue un rôle déterminant dans le développement des maladies. Ce qui explique que l’on compare les mois, non pas avec les mois précédents, mais plutôt avec des mois équivalents des autres années.
Fanny : Pour qu’ils aient les mêmes conditions météorologiques et tout ça ?
Paul-Arthur : Exactement. Par ailleurs, les États italiens, la plupart des grandes villes en tout cas, tiennent des registres des morts, donc ils ont le nombre exact de morts, et plus généralement la cause des décès. Ils peuvent savoir à peu près combien de personnes sont mortes de quelle maladie à quel moment. Donc ça, ça va être une première logique.
Mais il y a également une autre logique, dite qualitative, enfin que j’appelle qualitative. Alors qu’est-ce qu’on entend par là ? Eh bien ce serait de caractériser certaines maladies comme épidémiques. Et de considérer qu’elles sont épidémiques en tant que telles.
Fanny : De nature ?
Paul-Arthur : De nature épidémique, exactement. Par exemple la peste, qui est l’exemple ultime, est une maladie qui va être décrite comme épidémique. Mais là on voit bien le problème, c’est que dans la logique statistique, ça n’a pas de sens de dire qu’une maladie est épidémique en tant que telle. Or, lorsque certaines maladies, notamment exotiques, vont toucher l’Italie par exemple la fièvre jaune, il va y avoir un débat, est-ce que cette maladie est épidémique ? Alors qu’est-ce qu’ils entendent par là exactement ? Et bien, plusieurs choses mais généralement ça va être des maladies qui sont contagieuses, et dont la mortalité est élevée. Il n’y a pas encore une fois de critères vraiment précis qui puissent permettre de définir objectivement, de distinguer l’un de l’autre. Donc on voit bien qu’il y a ces deux logiques-là, et qu’on peut retrouver dans une certaine mesure aussi aujourd’hui, avec certaines maladies qui vont être considérées comme relevant de l’épidémie avec un très petit nombre de cas.
Fanny : Effectivement, c’est important qu’on définisse tout ça. Aussi une autre question qui est importante qu’on aborde avant de continuer, tu as donc parlé pas mal de l’Italie, est-ce que tu peux nous situer un petit peu quelle est la situation politique en Italie à la fin du XVIIIe siècle, parce que là j’imagine on n’est plus trop à l’Empire romain là, c’est bien bien bien fini, où est-ce qu’on en est maintenant ?
Paul-Arthur : Alors, en un mot, je dirais complexe. [rires] Si je devais en ajouter un autre, je dirais morcelée. Je pense que si on doit retenir une chose, c’est que l’Italie à l’époque n’est pas unifiée, c’est un processus qui n’interviendra qu’à la deuxième moitié du XIXe siècle. Donc on a une Italie qui est divisée, et qui est, dans une large mesure, partagée. C’est une sorte de gâteau que les autres puissances européennes se partagent.
On peut prendre un exemple pour illustrer un petit peu tout ça : le royaume de Naples donc qui correspond à la partie sud, tout ce qui est au sud de Rome pour faire vite, ainsi que la Sicile, le royaume de Naples, au début du siècle dépend des Habsbourg d’Espagne, une dynastie espagnole, il passe sous domination de la branche autrichienne dans les années 1730, 1734 exactement, il repasse sous domination des Habsbourg d’Espagne en 1748. Donc on voit un peu, au fur à mesure des guerres de succession, des conflits européens, le royaume de Naples par exemple va basculer d’une orbite à l’autre.
De manière générale, en ce qui concerne le nord de l’Italie, notamment la Lombardie et la Vénétie, donc la région de Milan et Venise, ce sont les régions qui, on va dire s’il y avait une grande tendance, ce serait plutôt à passer de la domination espagnole vers la domination autrichienne. Au cours du XVIIIe siècle l’Autriche renforce progressivement sa mainmise sur l’Italie, même si comme on l’a vu il y a des contre-exemples, notamment dans le sud. Alors, on a parlé du cas du Royaume de Naples, donc la partie sud du pays, et un petit peu de la Lombardie, donc le nord. Alors qu’en est-il du reste ? On a en Toscane un État, le Grand-Duché de Toscane qui est lié à la couronne autrichienne également. Ensuite, au centre, on a les États pontificaux qui dépendent donc du Pape, qui est encore un souverain qui dispose d’un royaume.
Fanny : Là pour le coup, on est bien sur la stabilité là-bas.
Paul-Arthur : Exactement. Et enfin il existe quelques États indépendants par exemple la République de Gênes ou encore la République de Venise, même si elle est proche et sous influence autrichienne en raison de la proximité géographique. Alors j’ai dit qu’il y a des royaumes, qu’il y a des républiques, il faut pas non plus pas nécessairement avoir cette perspective contemporaine qui voudrait que les républiques soit plus progressistes et accordent plus de droits au peuple que les monarchies ou les régimes autoritaires.
En réalité, les républiques sont des républiques oligarchiques, qui ne correspondent pas du tout au modèle contemporain de ce qu’on entend par république, et à l’inverse le Grand-Duché de Toscane, par exemple, va connaître un certain nombre de réformes inspirées parce qu‘on appelle communément les Lumières, ou en tout cas un courant réformateur, par exemple [c’est] un des premiers États au monde à abolir la peine de mort.
Je fais juste cette petite précision parce qu’il faut pas considérer que, parce qu’un État est sous domination étrangère, par exemple comme la Lombardie, qu’il va nécessairement être plus autoritaire. La Lombardie aussi est un foyer de réformes, à l’inverse, il peut y avoir des républiques indépendantes qui sont très conservatrices.
Fanny : Oui, j’imagine que du coup ça va être important pour tout ce qui est politique de santé ensuite. Est-ce qu’il y a quand même une certaine unité en Italie, malgré tout ce morcellement, ou pas ? C’est quand même des personnes qui vivent pas très loin les uns des autres ! En fait, ne serait-ce que par la proximité géographique est-ce qu’il y a une forme d’unité ?
Paul-Arthur : Alors, eh bien pour rester dans le thème, on peut dire que du point de vue sanitaire il y a une forme d’unité, c’est-à-dire qu’il y a un certain nombre d’institutions qui vont être en charge de la santé publique, qui peuvent prendre des noms parfois un petit peu différents en fonction des États, mais qui restent assez similaires. Et ces magistratures de santé, ces conseils de santé, ça dépend des États, ces institutions-là sont en contact permanent, écrivent très régulièrement les uns aux autres, se tiennent au courant de l’évolution de la situation sanitaire.
Alors, il faut voir deux choses, il y a évidemment une coopération volontaire, cette conscience qu’ils sont tous dans le même bateau, tous dans la même péninsule en tout cas, et qu’ils doivent donc évidemment rester en contact les uns avec les autres pour essayer d’avoir une action efficace. Encore une fois, comme je l’ai dit, c’est aussi de manière instrumentale, mettre en scène la bonne volonté et l’action de tous et toutes. Donc cette correspondance elle est toujours un petit peu ambiguë puisqu’il s’agit à la fois de partager des informations pour montrer sa bonne volonté, et en même temps de ne partager, le plus souvent, que celles qui nous arrangent, voire à l’inverse dénigrer les États qui, par exemple, seraient accusés de ne pas entretenir, selon l’expression, une « correspondance loyale ».
C’est l’expression qui revient tout le temps, de mettre en avant cette « loyale correspondance » et dans les faits on se rend compte qu’elle ne l’est pas tant que ça, et qu’il y a beaucoup d’États qui vont dénoncer les autres États en disant tel gouvernement va taire l’existence d’une épidémie ou de fièvre dans cette ville.
Fanny : De la bonne politique… Alors, rentrons maintenant dans le sujet, donc les épidémies, donc quand on parle d’une épidémie, c’est donc d’une maladie dont on parle qui atteint le stade épidémique comme tu le disais tout à l’heure. Pour le XVIIIe siècle, et la fin du XVIIIe siècle en Italie, quelles sont les maladies les plus présentes et les plus courantes ?
Paul-Arthur : Alors de manière un petit peu caricaturale, on pourrait dire que le XVIIIe siècle marque la transition, transition entre une phase précédente celle du XVIe–XVIIe, et même on peut remonter un petit peu avant, qui était marquée par la peste, où la peste était vraiment le grand fléau épidémique, qui a traumatisé non seulement l’Italie mais le reste de l’Europe, et le XIXe siècle où le mal dominant deviendra le choléra. Le XIXe siècle est véritablement le siècle du choléra. Au XVIIIe, siècle, on se situe donc entre ces deux grands…
Fanny : Entre la peste et le choléra ? Trop bien… [rires]
Paul-Arthur : Exactement. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a plus d’épidémie de peste, il y en a une notamment à Messine, donc en Sicile, dans les années 1730, mais, de manière générale, la peste est beaucoup moins présente, il faut rappeler quand même qu’en 1630 il y a une épidémie qui va tuer un quart de la population italienne à peu près, donc ça ce sont des grands fléaux qui ont disparu.
En revanche, quelle maladie nouvelle, en tout cas quelle maladie prend une plus grande importance ? Eh bien, la variole, la variole qui est, en quelque sorte la maladie du XVIIIe siècle, si on devait à chaque fois associer un siècle à une maladie qui [le] marque.
Fanny : Tu peux nous rappeler, la variole ce que c’est ? Sans rentrer dans les détails un petit peu trop… un peu trop crades. La variole, on est sur quel type de maladie ?
Paul-Arthur : En quelque sorte, on peut imaginer que c’est une très grosse varicelle, si on devait vulgariser. On va avoir de grands boutons, ce qui va laisser les gens qui survivent défigurer le plus souvent, et c’est une maladie qui va toucher toutes les catégories de la population. Alors la peste, généralement, touchait les milieux populaires, et là, la maladie, enfin la variole, a cette particularité de tuer jusqu’au sommet des États, parce que Louis XV, rappelons-le, meurt de la variole. Et il y a ce livre, dont j’ai oublié d’ailleurs le nom de l’auteur ou de l’autrice, qui est « les rois même en mourraient » ou « même les rois en mourraient », et ça montre bien la nouveauté, et aussi ce qui explique la peur que suscitait la variole jusque dans les élites, par opposition à la peste qui était perçue comme une maladie plutôt des pauvres.
[Extrait du film L’échange des princesses]
Fanny : Donc au XVIIIe siècle, quelles sont les maladies considérées comme des épidémies vraiment ?
Paul-Arthur : Avant de répondre à cette question, je vais faire une toute petite précision. Il y a une difficulté lorsqu’on fait de l’histoire de la médecine on va dire avant ce qui est appelé le développement de la théorie des germes, ou la théorie microbienne, donc à la fin du XIXe siècle, c’est que comme il n’y a pas de connaissance des microbes, il n’y a pas cette association entre un agent pathogène donné et une maladie. Ce qui fait que la classification des maladies est faite de manière différente, et accorde une grande importance notamment à la question des symptômes. Par exemple, il va y avoir la notion de fièvre qui va être une très grande famille, qui va regrouper un nombre important de pathologies. Alors on peut avoir des fièvres qui vont être qualifiées de putrides, bilieuses, tierces, intermittentes… je passe l’intégralité des définitions. Pourquoi est-ce que j’attire l’attention sur ce phénomène ? C’est que, quelle est la conséquence ? Et bien, aujourd’hui ce qu’on va désigner sous un nom unique, peut se retrouver sous des appellations différentes. À l’inverse, une même appellation à l’époque peut renvoyer à plusieurs maladies contemporaines. Donc il est difficile de dire vraiment, en nos termes contemporains, quelles étaient les maladies les plus fréquentes.
Alors la variole…
Fanny : La classification évolue, quoi…
Paul-Arthur : Exactement. Par contre la variole, par exemple, elle, est désignée comme variole dès l’époque. En revanche, le paludisme va être généralement appelé fièvre tierce, ou fièvre intermittente, parce qu’elle [ne] frappe pas tous les jours, il va y avoir des fièvres qui vont revenir de manière cyclique. Première précision.
Alors, ensuite, en ce qui concerne les épidémies, il y a celle de Messine, je l’ai dit, donc la peste qui revient malgré tout, ensuite il va y avoir un certain nombre d’épidémies qui vont suivre les conflits. Suivre les conflits, il faut entendre suivre les armées. Les armées vont propager un certain nombre d’épidémies, un certain nombre de maladies, qui parfois existent à l’état endémique mais vont être largement diffusées par l’armée. On pense premièrement à la gale, on pense deuxièmement à toutes les maladies sexuellement transmissibles, la syphilis notamment.
Dans une moindre mesure, il y a les maladies qu’on pourrait qualifier de maladies urbaines, des zones confinées. Alors, à l’époque, ça va être les fièvres qui vont être appelées « fièvre des hôpitaux », « fièvre des galères » ou « fièvre des prisons », qui correspondent plus ou moins ce que l’on appellerait aujourd’hui le typhus. Ces maladies sont généralement endémiques dans les lieux confinés, donc hôpitaux, galères, prisons, et de temps en temps vont contaminer la ville qui accueille l’institution. Voilà pour ce qui est des grandes épidémies.
Alors pour la question du paludisme, il est difficile de trancher. Généralement, les médecins considèrent qu’il s’agit d’un mal endémique, et donc ça ne va pas rentrer dans la catégorie des épidémies, mais il s’agit vraisemblablement de la maladie qui tue le plus de personnes, en tout cas une des maladies les plus mortelles. J’insiste sur ce point parce qu’à l’époque contemporaine le paludisme est considéré comme une maladie tropicale, en tout cas on a ces images d’une maladie africaine ou asiatique, mais en réalité, c’est une maladie endémique en Italie depuis l’Antiquité, et jusqu’au XXe siècle.
Fanny : On n’a pas forcément les mêmes épidémies et les mêmes maladies à la campagne qu’à la ville alors ?
Paul-Arthur : Exactement. Je l’ai dit, il y a certaines maladies qui vont être plus propres, plus spécifiques au milieu urbain, ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir des cas à la campagne, mais par leur mode de contagion, et leur foyer d’origine, ce sont des maladies plutôt urbaines, ensuite il y a des maladies qu’on trouve à la campagne également, la variole on en retrouve. Alors, la question du paludisme aussi est une maladie qui va plutôt toucher les zones rurales, ou les villes qui sont proches de marais. Il y en a une en particulier qui est vraiment très connue en Italie pour ça, c’est Mantoue. La ville de Mantoue alors c’est dans le Nord, en Lombardie, dans la région de Milan, c’est près de la ville de Vérone. Alors cette ville de Mantoue, c’est une place-forte qui est entourée par trois immenses lacs. Alors évidemment, des lacs avec de l’eau dormante, c’est une région où il y a effectivement un paludisme endémique.
Fanny : Des eaux stagnantes pas mal, qui développent ça ?
Paul-Arthur : Exactement. Donc ce terme d’eaux stagnantes, c’est un terme qui est employé beaucoup par les médecins de l’époque. Rappeler aussi, tout simplement que dans les campagnes du nord de l’Italie à l’époque, la riziculture est très importante, il y a beaucoup de rizières. Et donc la culture du riz, une fois de plus, implique l’existence d’eaux stagnantes à de nombreux endroits.
Alors, la seconde région où le paludisme est endémique, et d’ailleurs une région qui est historiquement associée à cette maladie, c’est la région des marais pontins, qui est une région — comme son nom l’indique — où il y a de nombreux marais, situés au sud de Rome, à une soixantaine de kilomètres au sud de Rome. Alors pourquoi est-ce que cette région est importante ? Parce qu’un médecin italien de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle, Lancisi, [qui] était le médecin du pape, a beaucoup étudié les fièvres de cette région qui était donc proche de son lieu de travail, qui était la ville de Rome. Il a écrit un certain nombre de traités sur la question, et il va dans un premier temps incriminer le mauvais air comme cause de la maladie. En italien mal’aria. C’est pour ça que le terme malaria est devenu aujourd’hui une manière de désigner le paludisme.
D’ailleurs, le deuxième terme, paludisme, d’où est-ce que ça vient ? Et bien il a écrit un traité en 1717 qui s’appelle De noxiis paludum effluviis [eorumque remediis] donc les effluves nocifs des marais. C’est paludus, donc le marais en latin, qui va désigner ensuite le paludisme.
Fanny : C’est là d’où vient le mot paludisme !
Paul-Arthur : Exactement. Et donc c’est ce monsieur qui va… cette origine italienne du paludisme et de la malaria, donc des deux désignations de la maladie. Par ailleurs, il est important de noter qu’à la campagne il y a des hommes, mais aussi des animaux. Et la santé des animaux est en réalité une très grande préoccupation des magistrats de santé, des institutions de santé, plus que celle des hommes et des femmes, souvent, d’ailleurs. Et donc il est important de voir que — ça a été aussi une de mes grandes surprises — parfois en pleine période de guerre, dans des moments où le paludisme va tuer des milliers de personnes, l’essentiel de l’attention, et l’essentiel des ressources vont être dirigées dans le contrôle de certaines maladies, de certaines épizooties, donc des épidémies qui touchent les ovins et les bovins.
C’est pas totalement absurde, finalement il y a un enjeu économique qui est certain, de subsistance, et c’est aussi une crainte de contamination des hommes par les animaux. Donc il y a ce double enjeu, à la fois économique et sanitaire.
Je me permettais simplement de dire ça parce que, c’est vrai que la santé animale est quelque chose à laquelle on pense assez peu, mais qui est en réalité au cœur des préoccupations de l’époque.
Fanny : Quand j’ai travaillé ton sujet, Paul-Arthur, ça m’a rappelé quand j’ai fait une prépa littéraire et en khâgne j’avais comme sujet d’histoire contemporaine « hygiène et santé », donc c’était vraiment sur tout ce qui était santé publique, et en fait ce qu’on voit c’est que là, XVIIIe siècle — XIXe siècle, se met en place vraiment, et tu as commencé en parler, tout ce qui est santé publique, mais vraiment de façon de beaucoup plus organisée. Donc est-ce que là, on le disait tout à l’heure, grand morcellement, est-ce qu’on a quand même une forme d’unité là, dans la mise en place des santés publiques face à ces épidémies ?
Paul-Arthur : Oui, il y a une relative homogénéité du fonctionnement de la santé publique, et des structures, principalement administratives, qui en prennent la charge. De manière générale en Europe le XVIIIe siècle connaît un grand mouvement de développement de la santé publique. En Italie c’est un mouvement qui commence très tôt, avec la peste. Au milieu du XIVe siècle, la peste noire va frapper l’Italie très durement, c’est un des pays les plus touchés d’Europe, et il va y avoir la constitution de magistrature de santé, temporaires à l’époque. Dans un premier temps, on va finalement créer des petites institutions qui vont rassembler quelques nobles, généralement de la ville, qui vont avoir la charge de la défense de la santé publique et de la lutte contre les épidémies.
Je l’ai dit, ces institutions sont dans un premier temps temporaires, donc elles disparaissent par la suite, mais elles vont progressivement se pérenniser au fur et à mesure que l’Italie est frappée par une succession d’épidémies, au fur et à mesure des siècles. Et donc, à partir du XVIe, XVIIe siècle, on a dans toutes les villes, dans toutes les grandes villes, une magistrature de santé ou un conseil de santé, en charge des affaires sanitaires de santé publique.
Donc ils vont généralement, eux, s’occuper plus tôt et principalement de la surveillance des épidémies, donc ils vont entretenir une correspondance entre eux, mais également avec des collègues tout autour du pourtour méditerranéen, donc ils ont des agents ou des contacts, des commerçants dans l’Empire ottoman, des gens en Algérie, en France, ils communiquent beaucoup avec les conservateurs de la santé de Marseille, de Barcelone, etc.
Fanny : Donc ils voient les épidémies en fait, comment elles arrivent, comment elles peuvent se propager d’un pays à l’autre.
Paul-Arthur : Tout à fait. C’est vraiment une sorte de veille sanitaire, leur objectif c’est d’anticiper la venue des maladies, pour évidemment interdire l’accès aux bateaux, ou mettre en quarantaine les navires qui viendraient de zones infectées.
Fanny : C’est l’OMS un peu avant l’heure, en quelque sorte ?
Paul-Arthur : Exactement. Alors ensuite, pour ce qui concerne l’autre pan de la santé publique, à savoir, on va dire, la prévention, le nettoyage des rues, etc., ça va généralement être du ressort des municipalités. Ça va être donc la municipalité qui va avoir en charge le nettoyage des rues, ils vont avoir également en charge la surveillance des marchés généralement, et de la qualité des denrées. Parfois c’est également une prérogative des magistrats de santé, ça dépend.
De manière générale, il faut quand même, on va dire, opposer, il y a des magistratures qui vont généralement s’occuper principalement des maladies épidémiques, de la surveillance des maladies épidémiques, et du traitement des épidémies lorsqu’elles se déclenchent, et de l’autre les communautés, donc les municipalités, qui elles vont plutôt avoir en charge l’aspect préventif.
Fanny : Et du coup, dans cette prévention, qu’est-ce qu’on a ? Est-ce qu’il y a des conseils qui sont donnés à la population ? Est-ce qu’il y a une certaine façon de… On réaménage les villes pour qu’elles soient plus hygiéniques ?
Paul-Arthur : Alors là, il faut quand même distinguer la théorie de la pratique. C’est-à-dire que, je dirais qu’effectivement il y a des efforts qui sont faits, pour que l’air circule mieux, pour que les eaux s’écoulent mieux. Dans les faits, ça reste relativement limité. Ça ne veut pas dire que ça n’existe pas, mais disons qu’on mesure ce décalage entre les principes et les réalités par le fait que lorsqu’une épidémie se déclenche, on se retrouve à réaffirmer des principes qui avaient déjà été affirmés depuis longtemps et qui étaient censés être déjà respectés.
Fanny : Qui étaient juste pas appliqués en fait.
Paul-Arthur : Voilà. Je ne suis pas un spécialiste de l’histoire de l’aménagement urbain, mais j’ai quand même l’impression qu’il y a des efforts mais qu’ils sont relativement limités.
Fanny : Et du point de vue des populations, est-ce qu’on a un peu conscience de ces épidémies, comment est-ce que la population vit en fait ces maladies qui viennent et qui peuvent faire beaucoup de mal ?
Paul-Arthur : Je vais parler d’un exemple sur lequel j’ai travaillé dans ma thèse, parce que [c’est] un exemple à partir duquel j’ai des éléments concrets sur [ce] que pense la population.
C’est une épidémie qui frappe la ville de Livourne, donc qui est un port en Toscane, juste à côté de Pise. Cette ville a environ 60 000 habitants au moment où l’épidémie se déclenche, au mois d’août 1804. 60 000 habitants. Dans un premier temps, la population n’est pas au courant qu’une maladie épidémique touche le port. Ce qui se passe, c’est qu’un bateau, probablement venu d’Espagne, apporte un certain nombre de malades, les malades sont débarqués, ils vont dans une auberge, et meurent. Un médecin est appelé, le médecin dit « il s’agit de la fièvre jaune venue d’Amérique, c’est une maladie contagieuse, etc. » D’autres médecins viennent et eux disent « non, non, il s’agit simplement d’une fièvre endémique, donc il n’y a pas de raison de s’inquiéter ».
Dans un premier temps, il va y avoir uniquement quelques employés du port, et un chroniqueur qui vont être au courant, et le chroniqueur lui est de l’avis du médecin qui considère que c’est bel et bien la fièvre jaune. Et donc, on voit dans son journal, pendant quasiment un mois, il va un petit peu se lamenter du fait que personne n’est au courant, que tout le monde vit dans l’insouciance et qu’un grand péril est imminent.
Fanny : Son journal, il n’est pas diffusé, il n’y a que lui qui le lit ?
Paul-Arthur : Tout à fait. De ce qu’on comprend si on lit un petit peu entre les lignes, on a l’impression que, globalement, le gouverneur fait plutôt des efforts pour que la nouvelle ne se répande pas. Par la suite, la nouvelle finit par être connue de la population, et là il y a un changement radical très rapidement, et la population fuit, massivement, la ville.
C’est très difficile de savoir exactement quelle est l’ampleur de l’immigration, mais en lisant différents documents, on arrive à estimer ça autour de quasiment la moitié de la population. Donc il y a environ 30 000 personnes sur les 60 000 qui partent.
Fanny : Ah ouais…
Paul-Arthur : Il y a un effet de panique massif. Alors, où est-ce que ces gens partent ? Et bien, ils partent pour certains à la campagne, dans les campagnes alentour, ils ne sont pas toujours bien reçus, il y a des rapports de police qui indiquent qu’ils se font tirer dessus parfois, ou qu’ils se font agresser, ou menacer en tout cas par les habitants des campagnes qui ne veulent pas voir arriver des personnes potentiellement malades. Ensuite, ils vont dans la ville voisine, à Pise, encore une fois, qui n’est pas du tout contente de voir ce qui est considéré comme des réfugiés, potentiellement malades, qui viennent apporter le malheur. Ensuite, les plus riches ou les plus chanceux parviennent à se réfugier à Florence ou dans d’autres villes, mais c’est beaucoup plus difficile.
Donc, effectivement, premièrement un effet de panique massif, dans un deuxième temps, il va y avoir une série de pratiques populaires pour tenter de remonter le moral, et en même temps, lutter contre la maladie. Alors on peut évidemment parler de tout ce qui est processions religieuses, donc il va y avoir d’importants rassemblements. Il y a une toute une tension entre éviter les rassemblements pour la contagion, mais il y a quand même des grandes messes qui sont organisées, des processions.
Fanny : Et là, même on est début XIXe, et on utilise toujours la religion quand même pour réunir les gens, et pour les unir dans ces moments durs.
Paul-Arthur : Oui. Alors, en Italie, c’est quand même un pays très pieux, et effectivement, la religion va être un des ressorts, et de manière générale, est toujours un ressort très important en cas d’épidémie, en cas de crise de manière générale, mais en cas d’épidémie en particulier. Donc on voit, il y a un certain nombre d’auteurs qui vont écrire des chants, qui vont réciter certaines prières, etc., et c’est vraiment structuré par l’Église elle-même, il y a l’Archevêque de Pise qui va écrire un courrier, et d’ailleurs c’est amusant de voir que l’Archevêque de Pise, parmi les causes de l’épidémie, va évidemment incriminer la conduite des femmes…
Fanny : Ah ! On y revient toujours ! [rires]
Paul-Arthur :… qui selon lui, sont grossières et aux mœurs légères, et c’est notamment cette légèreté, cette grossièreté, qui va expliquer en partie le mal qui s’abat sur la ville, ou en tout cas il faut à tout prix remédier à ces problèmes-là.
Fanny : Mais bien sûr… [rires]
Paul-Arthur : Tout à fait… Et d’ailleurs, c’est assez amusant parce que le lendemain de la publication de ce texte, qui a rédigé par l’Archevêque de Pise, il y a une série de descentes de police qui vont cibler des femmes. Et donc on a, par exemple des lesbiennes, qui sont arrêtées alors évidemment elles ne sont pas décrites comme lesbiennes, la formulation c’est « deux femmes qui molestaient le voisinage par leur outrageuse conduite » et une femme qui vivait en concubinage avec un autre homme que son mari, etc.
Alors évidemment, ça c’est quelque chose qui… enfin, pas évidemment, mais en tout cas c’est une tendance qui va très vite cesser, mais c’est-à-dire que c’est vraiment le texte de l’Archevêque, ensuite une série de descentes de police le lendemain contre les femmes.
Fanny : On est dans du politique effectivement, aussi. On est opportuniste, on utilise l’épidémie aussi pour cibler certaines populations qui déplaisent à l’ordre moral.
Paul-Arthur : Voilà, c’est une manière de stigmatiser certaines populations, de trouver des boucs émissaires. C’est important de noter qu’il y a une très forte communauté juive également, qui va globalement échapper aux persécutions. Alors, il faut savoir que quelques années auparavant, il y avait eu de grandes violences à l’encontre de la population juive. Les juifs sont en partie exemptés notamment par le fait que, déjà il y a la présence de l’armée française qui est censée les protéger, mais surtout les Juifs ne sont quasiment pas touchés par la maladie, et donc du coup vont vivre un petit peu reclus, et ont cette image de population, de communauté, qui est totalement exempte, il y a seulement quelques juifs qui meurent.
Fanny : Si on revient un petit peu au niveau un peu plus global, national, même si c’est un peu anachronique de dire ça, on voit que la vaccination, le principe de vaccination, est inventée par Jenner en 1796, là on est vraiment fin XVIIIe, mais est-ce que cette vaccination se diffuse vite, ou est-ce qu’elle met vraiment du temps à arriver jusqu’en Italie ?
Paul-Arthur : Le principe de la vaccination arrive de manière presque instantanée. Il y a des gens qui sont vaccinés dans les années qui suivent, des médecins italiens s’intéressent à cette pratique, vont se vacciner eux-mêmes, vont vacciner parfois leur entourage, et vont essayer, lorsqu’il s’agit de médecins de campagne, de vacciner la population de leur bourgade. Ensuite, il y a un autre facteur qui va contribuer à accélérer ce phénomène, c’est l’invasion française. 1796 c’est la découverte, enfin l’invention du principe de la vaccination par Jenner, c’est également la date de l’invasion du nord de l’Italie par Napoléon Bonaparte et l’armée française.
Fanny : On y revient toujours.
Paul-Arthur : Voilà. Donc quand même une première campagne en 96-97, et une seconde qui se termine en 1800, et à l’issue de cette seconde campagne, l’essentiel de l’Italie du Nord, à l’exception de Venise, va vraiment passer dans l’orbite française. Et, dans les années qui suivent, une grande partie du nord de l’Italie va être annexé par la France, va devenir des départements français. Que ce soit le Piémont, donc la région de Turin, la Ligurie — la région de Gênes, et la Toscane — la région de Florence — à partir de 1808.
Et, il y a un certain nombre d’efforts de la part des Français pour diffuser la vaccination et faire vacciner les populations italiennes. Dans le cas du Piémont par exemple, le président du conseil de santé, Michele Buniva, va sillonner toutes les campagnes pour exhorter la population à se faire vacciner. La France, dans le nord de l’Italie, a joué un rôle important, mais je le rappelais, la vaccination arrive avant les Français. La vaccination se développe même dans les régions qui ne sont pas encore colonisées, enfin envahies par les Français, et même dans le royaume de Naples, il y a des politiques de vaccination. Donc il ne faut pas non plus considérer que nous avons apporté la vaccination en Italie, les Italiens le faisaient tous seuls effectivement. En revanche, dans les régions départementalisées, il y a eu une volonté étatique supérieure.
[Intermède musical : Archangelo Corelli : Sonate n° 12, « La Follia »]
Fanny : Paul-Arthur, là tu es en cinquième année de thèse, tu travailles en fait pas seulement sur les épidémies, on l’a dit au début tu as sur un sujet un peu plus général, comment est-ce que tu travailles sur ta thèse ? Sur quelles sources est-ce que tu te fondes pour ton travail de recherche ?
Paul-Arthur : Alors je me fonde sur beaucoup de choses différentes, on va essayer de les classifier, de les classer par ordre.
D’abord du côté des sources françaises, j’en ai deux principales : les archives du service de santé des armées, donc là il s’agit de tous les documents produits par les médecins militaires français en Italie, rappelons-le à partir de 1796, il y a des soldats français, donc des médecins français militaires sur le sol italien. Ces documents vont être de nature assez différentes, il y a les rapports d’inspection des hôpitaux militaires, donc on peut voir à peu près quelles sont les maladies dominantes dans les hôpitaux. Ensuite il va y avoir des mémoires qu’ils vont rédiger sur des maladies endémiques comme le paludisme, qu’ils n’appellent pas paludisme, évidemment, mais pour les auditeurs c’est plus simple. Ensuite, il va y avoir leur correspondance. Leur correspondance où ils vont faire part soit des problèmes concrets qu’ils rencontrent, soit des échanges par exemple qu’ils vont avoir avec des collègues italiens.
Ensuite, il y a les fonds d’un bureau qui s’appelle le bureau de police sanitaire. C’est un bureau qui d’abord rattaché au ministère de l’Intérieur, parfois il est à celui du Commerce. Alors ce bureau ne prend pas à l’époque beaucoup de décisions, mais il va collecter des documents. Il va collecter des documents principalement d’Espagne et d’Italie. En fait, c’est un bureau qui écrit au moment de l’épidémie de fièvre jaune qui touche d’abord l’Espagne, puis l’Italie. Ils vont collecter tous les documents qui ont trait à la santé publique en Italie : les règlements, les lois, les décrets, et des correspondances, des échanges qu’ils ont avec l’Italie. En fait, c’est vraiment eux qui essaient de collecter un certain nombre de documents, pour pouvoir développer leur politique par la suite.
Du côté italien, et bien on retrouve les institutions dont j’ai parlé, ces magistratures de santé, qui ont généralement un fond particulier. On a tout ce qui est lutte contre les épidémies qui va être dans les fonds des magistrats santé. Ensuite, il y a les municipaux qui ont trait à la dimension plutôt préventive. Également, une source essentielle, les sources politiques, de deux types : politique intérieure, donc là ça va être les échanges entre le pouvoir central et les relais, ses antennes locales, donc par exemple en Toscane la conversation entre le chef du gouvernement et les gouverneurs des villes par exemple, ou leurs représentants ; et ensuite la correspondance diplomatique, sur laquelle je travaille beaucoup, et donc là ça va être de regarder les archives du ministère des Affaires étrangères, de ceux des services des Affaires étrangères, et de voir finalement toutes les tractations qui se livrent entre les différents gouvernements, pour savoir combien de temps doit durer la mise en quarantaine de cette ville, ou d’une autre. Et ce qui est intéressant, c’est que c’est finalement le fond le plus large et le plus riche. On voit que les ministères des Affaires étrangères parlent presque plus de santé publique que les magistrats de santé eux-mêmes.
Fanny : Là donc, je le disais tu es en cinquième année, tu as prévu de rendre dans quelques mois, normalement, c’est quoi les difficultés que tu rencontres en ce moment ?
Paul-Arthur : En ce moment, il s’agit de finir. C’est toujours difficile de mettre un point final parce que plus on cherche, plus on voit d’autres pistes s’ouvrir donc il faut savoir les fermer, cette angoisse de ne pas avoir vu le carton qui nous manque, d’avoir toujours un élément… et puis il y a des points d’ombre, il y a des personnes finalement, même des personnes qui peuvent sembler importantes, le gouverneur de Livourne, je ne trouve quasiment aucune information sur lui, sur l’un d’entre eux, je ne sais même pas où il est né, je sais pas ce qu’il est devenu après. Je sais qu’il est mort très rapidement, mais je ne sais pas de quoi, je ne sais pas dans quelles conditions, alors que c’est un acteur vraiment central de ma thèse donc il y a toujours ces petites frustrations. Après, le plus dur est derrière moi, je dirais.
Lorsqu’on travaille sur l’Italie, en fait le seul point important pour celles et ceux qui voudraient travailler sur l’Italie par la suite, c’est l’éclatement et la dispersion des archives. Le pays est morcelé à l’époque, il l’a été pendant longtemps, les archives le sont également. C’est une grande différence avec la France où, finalement à Paris on a quand même accès à un très grand nombre de documents, l’essentiel de ce qu’on a besoin, alors après il peut y avoir pour des sujets spécifiques besoin d’aller ailleurs. Mais généralement, beaucoup de choses sont à Paris. En revanche, en Italie, tout ou presque, une grande partie de la documentation est dans chaque ville, dans ce qu’ils appellent archivio di stato, donc les archives d’État, donc on va le voir, il faut à chaque fois se rendre à Gênes, Turin, Milan, Venise, Florence, Rome, Naples, etc.
Fanny : Tu as beaucoup sillonné l’Italie pour trouver tout ça ?
Paul-Arthur : Tout à fait. Alors c’est plaisant de voyager, mais ça aussi un coût en temps et en argent. Et donc ça, c’est quelque chose qu’il faut aussi prendre en considération. Une thèse sur l’Italie, qui a vocation à rassembler des éléments, une histoire de plusieurs États de l’époque, ça peut demander beaucoup de temps et d’argent en déplacements.
Fanny : Oui donc tu travailles à côté, et tu as un contrat doctoral qui t’aura permis de financer ta thèse.
Paul-Arthur : Exactement. Mais ce que je veux dire, c’est que même lorsqu’on a un contrat doctoral, ça représente un coût et aussi un effort qu’il faut prendre en considération. Mais je ne suis pas en train de me plaindre, de dire que c’est impossible, mais ça demande quand même…
Fanny : C’est important de le rappeler quand même que faire une thèse, c’est compliqué pratiquement aussi. Alors justement Paul-Arthur, pour finir cet épisode c’est un peu la tradition dans ce podcast, quel conseil tu aurais à donner à quelqu’un qui veut s’intéresser à l’histoire de l’Italie au XVIIIe siècle, quelles précautions il faut prendre pour ne pas se perdre totalement ?
Paul-Arthur : Outre la prise en compte de l’éclatement des centres d’archives, peut-être garder en tête que l’informel joue un rôle plus important en Italie qu’en France, que les limites de cartons par jour par exemple sont beaucoup plus faciles à contourner à condition qu’on ait de bonnes relations avec les archivistes, donc j’inviterais celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire italienne de travailler leur italien, pour pouvoir mieux échanger avec les conservateurs et conservatrices, les contacter en amont, il m’est déjà arrivé de me rendre à Milan par exemple, et de me rendre compte que le centre d’archive était exceptionnellement fermé la semaine où je m’y étais rendu, ce qui m’a obligé à revenir. Par ailleurs, de bonnes relations avec les archivistes permettre par exemple d’avoir… à Lucca, je tiens à saluer l’équipe des archives, de l’archivio di stato de Lucca, j’y étais allé seulement pour deux jours et, suite à une certaine discussion, j’avais réussi à avoir beaucoup de cartons en une journée, alors que d’autres collègues n’avaient pas forcément tout simplement osé demander. Par ailleurs c’est pas forcément dire qu’il y a besoin de déployer des trésors de persuasion, parfois on se limite tout simplement parce qu’on a l’image d’archivistes qui vont être des gens très rigides, qui vont dire « trois cartons maximum ». Au début, je n’osais pas toujours demander, parfois il me donnait simplement ce que je demandais, mais parfois… n’hésitez pas à parler, et à exprimer vraiment vos besoins, vos envies, vos questions et vous pourrez parfois gagner du temps.
Fanny : Maintenant, chers auditeurs et auditrices, vous en savez un petit peu plus sur les épidémies au XVIIIe siècle, j’espère que ça vous a rassuré, ou non, mais bon courage si jamais vous êtes toujours dans le futur post-apocalyptique coronavirus. Donc merci beaucoup Paul-Arthur pour toutes ces informations, et bon courage pour la fin de ta thèse.
Paul-Arthur : Merci de m’avoir invité et bonne continuation à vous.
Fanny : Et pour les auditeurs, bien sûr comme d’habitude si le sujet vous a intéressé, retrouvez sur le site Passion Médiévistes, mais il y a l’onglet Passion Modernistes, où vous pouvez retrouver donc plein d’informations complémentaires sur cet épisode, on vous mettra des petits conseils de lecture, et puis comme ça vous pourrez aller un petit peu plus loin, et puis si l’histoire moderne vous intéresse, et que vous venez de découvrir le podcast avec cet épisode, allez voir tous les autres épisodes de Passions Modernistes, vous avez un Hors-Série sur la Méditerranée, vous avez un épisode sur la fondation de New York, vous avez un épisode sur les sages-femmes en Alsace, il y a vraiment des sujets très divers et c’est que j’aimerais de plus en plus faire avec Passion Modernistes, c’est un petit peu, aller plus loin que l’Europe occidentale, et aussi des sujets un petit peu différents de rois et reines, même si j’aime bien ces sujets-là. Je vous dis à très bientôt pour un prochain épisode de Passion Modernistes, salut !
Merci énormément à Marion et So pour la retranscription !
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
Si l’histoire moderne vous intéresse allez écouter les autres épisodes de Passion Modernistes
3/18/2020 • 47 minutes, 54 seconds
Hors-série 1 – La Méditerranée au XVIIème siècle avec Guillaume Calafat (Passion Modernistes)
Dans les hors-séries de Passion Modernistes je vous propose des épisodes un peu généraux sur de grandes thématiques, et aujourd’hui on embarque pour la Méditerranée au XVIIème siècle.
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baabc34ef').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baabc34ef.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Une mer jalousée (éditions du Seuil).
Pour parler de la Méditerranée au XVIIème siècle je reçois dans cet épisode Guillaume Calafat. Ancien élève de l’École Normale Supérieure et maître de conférences en histoire moderne à l’Université Paris 1 depuis septembre 2014, il a publié en 2019 l’ouvrage Une mer jalousée. Contribution à l’histoire de la souveraineté (Méditerranée, XVIIe siècle) aux éditions du Seuil.
Des puissances rivales
Au XVIIème siècle une grande partie des États européens, ainsi que l’empire Ottoman, s’affrontent pour avoir des parts de marché sur le monde méditerranéen, qui reste un espace important au XVIIème siècle avec de nombreuses villes et un taux d’urbanisation élevé. Ses puissances règnent grâce à leurs flottes marchandes et militaires qui se déploient en Méditerranée, accueillies par les ports pour leurs marchandises et par leurs conquêtes.
Le concept de souveraineté va définir les États au XVIIème et au XVIIIème siècle, il va venir de la mer, et il est crucial pour comprendre la politique moderne. La Méditerranée est un espace d’affrontements, où il est dangereux de naviguer à cause de la présence des corsaires (par exemple ceux de Salé auxquels le podcast Radio Maarif a consacré un épisode) et des flottes des États rivaux, par exemple lors de la guerre de Trente Ans.
Les enjeux pour la France
Pour la France, un des enjeux en Méditerranée est le port de Marseille, qui connaît au XVIIème siècle une croissance importante, avec des marchands marseillais qui négocient jusqu’au Levant. Le royaume octroie notamment à Marseille un édit d’affranchissement en 1669 qui abaisse les barrières douanières à l’entrée du port et organise un monopole commercial. La France s’appuie aussi sur un réseau de petits ports provençaux comme Saint-Tropez, Antibes, Saint-Raphaël ou encore Toulon.
Pour aller plus loin sur le sujet nous vous conseillons aussi d’écouter cette émission de La Fabrique de l’histoire sur France Culture à propos de l’histoire du commerce.
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir), merci beaucoup à eux !
12/31/2019 • 38 minutes, 13 seconds
Épisode 11 – Élodie et le suicide du curé de Pompierre (Passion Modernistes)
Plongez dans la micro histoire dans cet épisode, dans la Franche Comté au XVIIème siècle !
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baabc69bb').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baabc69bb.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Elodie Lemaire au micro de Passion Modernistes
Un début d’après-midi du 10 janvier 1689 en Franche Comté, le curé Bennenot met fin à ses jours dans sa maison curiale de Pompierre. Il rédige ses derniers mots sur un bout de papier laissé sur la table de son poêle. Quand il revient dans son cabinet, il se tranche la gorge d’abord au rasoir, puis à l’aide d’un grand couteau avec en poche une pâte de Rome et devant lui son crucifix. Pourquoi ce curé s’est suicidé ce jour là, dans une seigneurie entre Besançon et Montbéliard ? Et comment cette histoire peut nous éclairer du point de vue historique ?
Elodie Lemaire a consacré son mémoire de Master 2 d’histoire moderne à l’étude du procès qui a fait suite au suicide du curé Sébastien Bennenot. Soutenu en juillet 2019 sous la direction de Anne Bonzon, ce mémoire sert aussi à dresser le portrait de la seigneurie de Clerval au XVIIème siècle. Elodie a cherché à comprendre l’environnement dans lequel a évolué pendant un an Sébastien Bennenot et duquel viennent tous les producteurs de sa source.
Un curé dans une seigneurie en tension
Elodie raconte dans l’épisode une seigneurie en proie aux conflits, déstabilisée par la guerre et l’absence de son seigneur, au moment-même où la société d’Ancien Régime connaissait de profondes mutations : recul du seigneur, prise de pouvoir de la bourgeoisie, réforme du clergé.
Marqués par la mentalité comtoise, tiraillés entre deux territoires, les Clervalois ont ainsi développé une identité affirmée dans des temps difficiles. C’est dans ce contexte général qu’en 1689, Sébastien Bennenot se suicide, considéré comme fou mélancolique par ses proches.
Le mot laissé par le curé Sébastien Bennenot avant son suicide en 1689
Pour aller plus loin sur le sujet voici une bibliographie sélectionnée par Elodie :
Sur la Franche Comté :
GRESSET Maurice, GRESSER Pierre et DEBARD Jean Marc, Histoire de l’annexion de la Franche-Comté et du pays de Montbéliard, Le Coteau, Horvath, 1988.
VERNUS Michel, La vie comtoise au temps de l’Ancien Régime (1) : XVIII e siècle, FeniXX, 1983.
Sur le suicide :
MINOIS Georges, Histoire du suicide : la société occidentale face à la mort volontaire, Paris, Fayard, 1995.
REGINA Christophe, « Se délivrer soi-même de la vie », Rives méditerranéennes, 44, 15 février 2013, p. 107-123.
ORTOLANI Marc, « Le procès au cadavre du suicidé au XVIIIe siècle. Deux exemples provençaux », Historia et ius – Rivista di storia giuridica dell’età medievale e moderna (www.historiaetius.eu), 2016.
Sur la figure du curé de campagne et la paroisse :
VERNUS Michel, Le presbytère et la chaumière : curés et villageois dans l’ancienne France (XVIIe et XVIIIe siècles), Togirix, 1986.
Les références des extraits des oeuvres musicales diffusées dans cet épisode :
A la lumière de l’aube, au matin… Gregorio Allegri, Miserere (psaume 51). Chœur : Choir of New College, Oxford.
Manau – Le curé et les Loups
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir), merci beaucoup à eux !
11/27/2019 • 36 minutes, 33 seconds
Épisode 10 – Jérôme, la Lorraine et le Saint-Empire (Passion Modernistes)
Épisode 9 – Elise et les chasseurs du Mississippi (Passion Modernistes)
Comment chassaient les chasseurs dans la vallée du Mississippi aux XVIIème et XVIIIème siècle ?
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baabd9a74').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baabd9a74.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Elise Retoré au micro de Passion Modernistes
En septembre 2018 Elise Retoré a soutenu un mémoire sur le sujet « La chasse dans la vallée du Mississippi (1672 –1770): Acteurs, pratiques et territoires« , sous la direction de Gilles Havard à l’École des Hautes Études en sciences sociales.
Dans son mémoire elle a interrogé l’enjeu de l’entrée de la chasse pour mieux comprendre la société coloniale louisianaise et plus généralement l’histoire de l’espace mississippien au XVIIIème. Elle s’est aussi intéressée aux modalités d’interactions entre les différents acteurs participant via cette activité : les colons, les Amérindiens et les esclaves africains, en essayant à l’intérieur de ces groupes de distinguer les pratiques masculines mais aussi féminines.
A travers ses recherches Elise Retoré a tenté de proposer une histoire totale de la chasse en Louisiane française et d’envisager la pratique cynégétique du point de vue tant social et culturel, qu’économique et politique, et de l’étudier à différentes échelles.
Aussi, son mémoire a été pensé dans la continuité des recherches et des idées de son directeur de recherche (elle a trouvé son sujet dans son ouvrage Histoire des Coureurs de Bois, paru en 2016) mais elle a tenté d’innover en intégrant à sa réflexion l’histoire environnementale, notamment aux rapports entre hommes et animaux. Elle a d’ailleurs choisi de considérer ces derniers comme des acteurs historiques à part entière car dotés d’une agentivité.
Carte de la Louisiane et du cours du Mississippi, dressée à partir d’un grand nombre de mémoires, dont ceux de Monsieur Le Maire, par Guillaume de L’Isle de l’Académie royale des sciences
Pour en savoir plus sur cet épisode Elise vous conseille les lectures suivantes :
HAVARD Gilles, VIDAL Cécile, Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2014, 863 p.
SALVADORI Philippe, La chasse sous l’Ancien régime, Paris, France, Fayard, 1996, 462 p.
BUTEL Paul, Les Caraïbes au temps des flibustiers: XVIe-XVIIe siècles, Paris, France, Aubier Montaigne, 1982, 299 p.
HAVARD Gilles, Histoire des coureurs de bois: Amérique du Nord, 1600-1840, Paris, France, Les Indes savantes, 2016, 885 p.
JACQUIN Philippe, Les Indiens blancs: Français et Indiens en Amérique du Nord (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, France, Payot, 1987, 310 p.
DELÂGE Denys, « Vos chiens ont plus d’esprit que les nôtres » : histoire des chiens dans la rencontre des Français et des Amérindiens », Les Cahiers des Dix, 59, 2005, p. 179-215.
BROMBERGER Christian et LENCLUD Gérard, « La chasse et la cueillette aujourd’hui. Un champ de recherche anthropologique ? », Études rurales, 1982, vol. 87, no 1, p. 7-35.
Dans cet épisode vous avez entendu les extraits des chansons suivantes :
Ryuichi Sakamoto – The Revenant Main Theme (The Revenant Original Motion Picture Soundtrack)
Pocahontas : une légende indienne (1995)
Dans cet épisode on a aussi mentionné le podcast Binouze USA qui parle de bière et de culture louisianaise !
Transcription de l’épisode 9 (cliquez pour dérouler)
Fanny : Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes. Je m’appelle Fanny Cohen-Moreau, et dans ce podcast je vous propose de rencontrer de jeunes chercheurs et chercheuses en master ou en thèse qui étudient l’histoire moderne. Pour rappel, l’histoire moderne c’est cette période qui s’est un petit peu glissée entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine, c’est-à-dire en gros pour l’Europe occidentale entre les années 1500 et 1800.
Épisode 9, Élise et les chasseurs du Mississippi, c’est parti !
Après l’épisode sur les origines de New York, il y a 2 épisodes, oui regardez sur vos applis de podcast ou alors sur le site, je propose un nouveau voyage aux Amériques à l’époque moderne, encore aux futurs États-Unis entre le XVIIe et XVIIIe siècle, mais cette fois on va partir dans la vallée du Mississippi.
Bonjour Élise Rétoré.
Élise : Bonjour Fanny.
Fanny : Alors tu as fait un mémoire de master 2 à l’École des hautes études en sciences sociales en septembre 2018 et le titre c’était « La chasse dans la vallée du Mississippi (1672 – 1770) : Acteurs, pratiques et territoires » et tu étais sous la direction de Gilles Havard. Je voudrais déjà te demander, Élise, pourquoi est-ce que tu as voulu étudier l’histoire moderne, qu’est-ce qui t’attirait dans cette période ?
Élise : Alors je suis rentrée dans l’histoire moderne un petit peu par hasard. J’ai été très attirée par l’histoire de l’Amérique du Nord grâce à un cours que j’ai eu en L2. On avait des cours spécifiques sur certaines aires géographiques, dont un qui était consacré à la colonisation de l’Amérique du Nord, donc les Amériques françaises et les Amériques anglaises, et je me suis un peu prise de passion on va dire, pour tout ce qui concernait les relations franco-amérindiennes. Notamment par le prisme des interactions culturelles, des transferts culturels, et des contacts qui pouvaient s’établir entre colons français et Amérindiens, et plus précisément sur la figure du coureur de bois canadien. Le coureur de bois c’est un commerçant, un marchand qui va à la rencontre des peuples amérindiens pour échanger souvent des objets d’origine européenne contre des fourrures que les Amérindiens préparaient en chassant certains animaux. Donc le coureur de bois était amené à être en contact très souvent, voire permanent [avec les Amérindiens], certains ont même habité chez des peuples amérindiens. Ce qui m’intéressait, c’était cette figure donc à la fois sociale du coureur de bois, cette figure un peu d’entre-deux, un colon mais également très influencé par la culture amérindienne.
Fanny : Et pourquoi est-ce que tu as choisi le sujet des chasseurs de la vallée du Mississippi ? Qu’est-ce qui t’a amené à ce sujet-là en particulier ?
Élise : Mon intérêt pour les coureurs de bois canadiens m’a amené à lire l’ouvrage de mon directeur de recherche, Gilles Havard, qui a écrit Histoire des coureurs de bois, dont un des sous-chapitres est consacré aux chasseurs du Mississippi, qui se différenciaient des coureurs de bois, car eux ils traquaient souvent les animaux dont ils récupéraient la viande ou la fourrure, ce qui est différent des coureurs de bois qui souvent ne traquaient pas eux-mêmes les animaux, mais échangeaient surtout les fourrures avec les Amérindiens, car ils étaient intégrés dans la traite de fourrure et tout ce qui était circulation pelletière. Déjà, les chasseurs du Mississippi m’ont intéressée parce qu’ils avaient une culture matérielle un peu plus spécifique que les coureurs de bois, que cela soit des techniques de navigation, ou des objets symboliques comme le fusil, ou des techniques de… enfin tout le savoir-faire qu’il y avait autour des pratiques de chasse, comment on traque un animal, comment le leurrer, voire même comment dresser un chien de chasse, car ils en avaient. Si je me souviens bien, il y avait une note dans ce sous-chapitre qui parlait d’un champ historiographique, du moins en France, à combler sur les chasseurs du Mississippi, car on en parlait souvent dans l’historiographie canadienne ou américaine, mais en France il n’y a pas encore eu d’étude complète sur ses chasseurs du Mississippi.
Enfin ce qui m’intéressait, aussi c’était la diversité des groupes d’acteurs, car quand on plonge un peu plus, on voit qu’il n’y a pas que des colons français, on a également des Amérindiens qui peuvent chasser pour les colons, ou aussi la chasse pratiquée par les esclaves noirs soit pour leur maître soit pour eux. La chasse pour moi représentait un cadre d’interaction pour plusieurs groupes hétérogènes, qui pouvait amener des transferts culturels, des savoir-faire différents… Voilà, j’en suis arrivé comme ça. [rires]
Fanny : Avant de s’intéresser précisément à toutes ces personnes, est-ce que tu peux nous resituer un petit peu le contexte historique ? Où est-ce qu’on en est à cette époque-là dans le Mississippi par rapport donc à la colonisation et tout ça ?
Élise : J’ai pris les bornes chronologiques qui s’étendent des années 1670 jusqu’aux années 1770. Les années 1670, donc la fin du XVIe siècle, cela correspond aux explorations qui sont menées le long du Mississippi, en partant du sud des Grands Lacs, qui correspondent au Canada, de la région du Canada maintenant, où les autorités françaises veulent de plus en plus explorer le territoire pour avoir plus de ressources. Donc ils engagent des explorations qui vont descendre le long du Mississippi, qui sont notamment faites par des missionnaires souvent. Ces expéditions vont traverser ce qui va devenir en réalité la Louisiane française. La Louisiane c’est un territoire qui s’étend du sud de ces Grands Lacs jusqu’au golfe du Mexique. On a au nord la partie qu’on appelle le pays des Illinois, puis au sud ce qu’on appelle la Basse-Louisiane qui va jusqu’au golfe du Mexique. Donc on est dans ce moment d’exploration mais également de colonisation. Pour la Louisiane, on a l’expédition de Cavelier de la Salle qui va dans les années 1680 établir la colonie de la Louisiane, et au début du XVIIIe siècle, on a la fondation de villes, notamment La Nouvelle-Orléans en 1718. Je suis allée jusqu’à l’après-guerre de Sept Ans, où à la fin de la guerre de Sept Ans, la France est expulsée de ses colonies américaines. J’ai essayé d’entrevoir quelles étaient les répercussions sur les chasseurs, notamment professionnels, de la vallée du Mississippi. Quelles pouvaient être les répercussions liées au changement de monarchie, au changement de domination monarchique. Je me suis intéressée pour la toute fin de mes bornes chronologiques à la situation d’un village, qui a été fondé uniquement par des chasseurs de profession.
Fanny : J’en profite pour faire un petit coucou au podcast Binouze USA qui font un podcast sur la bière depuis la Louisiane. J’en profite, je peux rarement en parler. Donc là on a bien tout le contexte. On sait où on est, il n’y a pas de souci. Pour revenir à ces chasseurs, quand tu dis « chasseurs » en fait, tu parles autant des colons que des Amérindiens, en fait tu inclues tout le monde dans ce terme ?
Élise : Alors, ça a été une des grandes difficultés de ce mémoire. Chasseur c’est un terme un peu poreux à cette époque, ça regroupe beaucoup de gens. Il y a des chasseurs qui sont professionnels, qui sont généralement des Français, mais aussi des Amérindiens qui peuvent chasser pour les colons. On a aussi de la chasse qui est faite par tous les habitants car c’est quand même un moyen de se sustenter s’il y a des périodes de famine, où il manque de la nourriture. C’est une activité qui est accessible facilement pour tous ces colons.
Fanny : Pas comme en Europe peut-être encore à l’époque, j’imagine où la chasse est beaucoup plus réglementée, où c’est le chasseur… où la chasse à l’époque moderne c’est plus un privilège des nobles ? Là aux États-Unis — je dis États-Unis pour résumer — c’est un peu plus chacun fait ce qu’il veut, c’est ça ?
Élise : Justement, cela a été un des axes de recherche de mon mémoire, où je me suis encore située dans le prolongement des thèmes de recherche et des études qui ont été déjà faites par mon directeur de recherche. On voit en réalité, sur le continent nord-américain, une sorte de démocratisation de la chasse. En effet, en métropole, la chasse est un privilège de noble, la chasse est également un moyen pour revendiquer ses terres, c’est un spectacle sonore et visuel, la chasse, ça fait du bruit, etc. Alors que dans la vallée du Mississippi, tout le monde est amené à chasser, tout le monde peut chasser. On peut plus chasser, je pense, parce que le contrôle par les administrateurs coloniaux est plus difficile, les territoires sont immenses. En fait, il y avait de la chasse en métropole faite par des gens qui n’étaient pas nobles, on appelle ça du braconnage, généralement c’était illégal et puni. Alors que dans la vallée du Mississippi, on s’aperçoit que beaucoup de gens peuvent chasser, notamment des femmes, ce qui était aussi un de mes autres axes de recherche. Et les esclaves, ce qui là pose plus problème.
Fanny : Qui sont les populations locales et les tribus amérindiennes dans la vallée du Mississippi ?
Élise : On a plusieurs peuples, plusieurs nations. Je ne sais pas les chiffres exacts, je pense qu’il y en plus d’une centaine. On a notamment ceux qu’on appelait — la prononciation va être approximative, et je suis désolée si j’en choque certains — on a les Quapaw, qui sont le long de la rivière Arkansas, qui est un des affluents du Mississippi. On a aussi, rassemblés dans ce qu’on a appelé les « Petites Nations », plusieurs noms de peuples, les Biloxi, les Moctobi, les Pascagoulas et les Capinas. Sans avoir vraiment étudié ces peuples-là, je me suis aussi intéressée à des travaux sur des peuples amérindiens, pas forcément dans la vallée du Mississippi, où on pouvait se demander si les pratiques cynégétiques, c’est-à-dire les pratiques concernant la chasse, n’étaient pas semblables. Donc je me suis intéressée aux Cherokees, aussi aux Cheyennes, et principalement, ce sont ces peuples-là qui m’ont intéressée.
Fanny : Sur les pratiques de la chasse, comment les personnes chassaient ? Et quels animaux ils chassaient d’ailleurs ?
Élise : Je pense que je vais tout d’abord partir des pratiques amérindiennes car souvent les colons ou même les esclaves ont repris des pratiques amérindiennes. Je me suis intéressée à trois animaux importants, qui sont l’ours noir, le bison et ce qu’ils appelaient le chevreuil des Amériques mais je pense que maintenant on parlerait plus de wapiti [NdT : il semblerait qu’il s’agisse en fait du cerf de Virginie – Odocoileus virginianus]. Si on part sur l’ours, on a deux types de techniques. Une qui se fait en hiver, où on attend que l’ours soit en hibernation, et les groupes de chasseurs vont le dénicher dans sa tanière, dans sa grotte, là où il hiberne. Le but étant de lui porter un coup massif sur le crâne, pour l’étourdir, ce qui va notamment le réveiller, mais comme il sort d’une sorte de léthargie, l’animal va être chancelant, il va pas pouvoir se défendre, et après le chasseur lui assène un coup meurtrier. Ils visaient notamment la gorge. Ils étaient armés de ce qu’on appelait des casse-têtes, des tomahawks pour lui donner un violent coup notamment aux cervicales. Il y a une autre technique qui peut se faire notamment après la saison des naissances où des Amérindiens vont se poster en bas des arbres. Ils ont repéré les arbres en fonction des marques de griffures sur l’écorce. Et ils vont imiter les cris de l’ourson.
Fanny : Oooh [attendrie]
Élise : Non, ça va être triste. Généralement, la mère va vouloir descendre…
Fanny : Parce qu’elles sont dans les arbres ?
Élise : Oui. Souvent les ourses noires élevaient leurs petits dans les arbres. C’est ce que racontent les récits de voyage.
Fanny : [rires] Je savais pas que les ours grimpaient dans les arbres.
Élise : Les ours noirs étaient peut-être plus petits que ce qu’on connaît maintenant, c’est pas des énormes grizzlis américains, comme on peut voir dans The Revenant par exemple, maintenant que j’y pense.
Fanny : Bien sûr.
Élise : Et donc ils tuaient la mère. Souvent, les oursons étaient apprivoisés et dressés, ils gardaient les oursons, et les ours après.
[Intermède musical Ryuichi Sakamoto — The Revenant Main Theme]
Élise : Alors il y a une autre technique amusante, enfin amusante…
Fanny : Oui, voilà… [rires partagés]
Élise : Pour le chevreuil, souvent les Amérindiens prenaient, depuis un cadavre de chevreuil qu’ils avaient déjà tué, ils prenaient la tête, ils prenaient un chevreuil mâle…
Fanny : Hum hum. [mi-dubitative, mi-inquiète]
Élise : Et la technique consistait à enfoncer son bras dans la tête du chevreuil et se mettre dans les hautes herbes, pour appâter — en fait, c’est une sorte de leurre — tout en imitant le cri d’un chevreuil [Fanny pouffe de rire] pour faire croire donc qu’il y avait un chevreuil, dans les hautes herbes, mais en fait non, c’était un piège, les chevreuils attirés se faisaient tuer.
Fanny : Mais juste… je visualise la scène. [rires partagés]
Élise : Ah, y avait des trucs marrants. [rires] Ils étaient assez imaginatifs.
Fanny : Donc les colons se sont inspirés de ces techniques pour chasser à leur tour ?
Élise : Alors, pas forcément ces techniques-là même, mais toutes les techniques qui sont basées sur la ruse, l’approche discrète, et les stratégies. Là encore, il y a une grosse différence avec la chasse qui est faite en métropole, la chasse à courre, où il y a des chiens, il y a du bruit, il y a des chevaux, c’est très très sonore. Alors que là, c’est plus de la dissimulation, des leurres, des pièges. Donc là, ils ont appris, je pense qu’il y a eu un transfert culturel et technique de ce côté-là. Aussi peut-être en fonction des armes. Les Amérindiens préféraient les arcs et les flèches, même si, en réalité, les colons français utilisaient beaucoup de fusils. Le fusil était un peu l’objet symbolique de ces chasseurs.
Fanny : Tu m’as parlé donc de la chasse de la part des esclaves noirs. Comment ça s’est passé en fait ? Tu sais ?
Élise : Il y avait deux cas. Soit c’était de la chasse pour le maître, le maître avait on va dire un esclave dédié à la chasse. C’est souvent un esclave qui par la suite il lui faisait un peu plus confiance, et il lui donnait certains privilèges.
Fanny : Donc du coup il lui donnait des armes.
Élise : Oui, voilà.
Fanny : C’est une marque de confiance.
Élise : C’est une marque de confiance, alors que normalement c’est interdit par le Code noir, l’esclave ne doit pas être armé. Ce qui a posé plusieurs problèmes après dans des actions judiciaires. Donc l’esclave pouvait soit chasser pour son maître, il lui rapportait le gibier. On peut imaginer qu’il en gardait une part. Ou non. Mais l’esclave pouvait également être autorisé à chasser pour lui. Il y a certains esclaves qui avaient le droit de tenir par exemple une espèce de potager, mais aussi il pouvait chasser du petit gibier pour compléter son régime alimentaire. Après, je ne pense pas que c’était une généralité. On a eu certains cas d’esclaves, notamment j’ai eu des sources judiciaires parlant de certains esclaves qui, du fait qu’ils étaient armés, il y a eu après des soucis. Par exemple, j’ai lu l’histoire d’un esclave qui a tué un Français sur les terres de son maître, parce que ce Français était venu chasser sur les terres de son maître, et lui ne voulait pas. Voilà, il y a eu un procès. Il y avait la chasse pour les maîtres et la chasse pour la consommation personnelle.
Fanny : Justement, tu commences à parler des sources. Sur quelles sources tu as travaillé pour savoir tout ça ? Bon, tu m’as dit que ton mémoire n’a pas duré très longtemps, donc j’imagine tu as pas eu le temps de te rendre sur place.
Élise : Non. J’ai surtout travaillé avec des microfilms, parce que j’ai eu la chance d’avoir des directeurs… enfin mon directeur de mémoire d’une part, et une autre directrice du Centre, Cécile Vidal, qui avaient pas mal de microfilms à eux, ou de microfilms d’archives qui se trouvaient aux États-Unis.
Fanny : Qu’eux avaient récupéré ou qu’eux avaient microfilmé ?
Élise : Alors, ils les avaient microfilmés… mais je ne me souviens pas. [rires]
Fanny : Donc c’est eux qui t’ont donné des documents. Ça t’a fait gagner du temps j’imagine d’avoir directement ça. Tu n’as pas eu à faire de la recherche d’archives supplémentaires ?
Élise : Non, je n’ai pas eu le temps, et de toute façon, mon directeur de recherche n’était pas forcément pour, il trouvait que c’était peut-être plus intéressant à faire ça en thèse, plutôt que passer, je veux pas dire perdre du temps, c’est jamais une perte de temps d’aller dans les archives, mais passer du temps… C’est quand même un long voyage d’aller aux États-Unis, j’apprends ça à personne. Mais là…
Fanny : C’était un peu compliqué. Tu es pas en thèse, tu es qu’en mémoire, t’avais pas forcément assez de temps pour faire ça.
Élise : Voilà, j’avais pas le temps.
Fanny : Sur quel type d’archives est-ce que tu as travaillé ?
Élise : Tout d’abord il faut savoir que je n’avais pas de sources écrites de la main même de ces chasseurs. La plupart étaient analphabètes, donc ils ne savaient ni lire ni écrire. J’ai surtout eu accès à des sources qui parlaient d’eux, qui les décrivaient. Premièrement, j’ai surtout utilisé des récits de voyage et des récits d’exploration, qui pouvaient être faits soit par des colons, soit par des officiers, qui me permettaient d’avoir des détails très concrets d’épisodes de chasse, par exemple les différentes techniques d’approche de chevreuil, de bison ou d’ours, c’est dans ces récits de voyage que je les ai trouvées. On pouvait donc voir la rencontre culturelle mais également technique qui pouvait se voir entre des gens de la métropole et puis des Amérindiens. Ça me donnait également une représentation de la faune et de la flore particulière, comment est-ce qu’on voyait les animaux américains ? Parce que j’ai laissé une place très importante aussi à l’histoire environnementale, et aussi à ce que j’appelle histoire animalière, c’est-à-dire voir les animaux comme des acteurs historiques à part entière, et non pas seulement comme des objets, des acteurs un peu passifs ? J’ai essayé de leur retrouver un peu une place.
J’avais ces récits de voyage, j’avais accès à des écrits administratifs. Toutes les archives qui concernent les colonies, elles se trouvent à Aix-en-Provence, et il y a aussi des microfilms qui se trouvent au centre d’archives dans le Marais…
Fanny : C’est un peu dispersé !
Élise : Voilà, et j’ai fait que des microfilms. [rires]
Fanny : Tu as dû avoir mal aux yeux à la fin !
Élise : C’était compliqué. J’ai surtout travaillé sur la correspondance reçue par le secrétaire d’État à la Marine, en provenance de Louisiane, souvent écrite par des administrateurs coloniaux, donc des intendants ou des officiers, qui donnent des témoignages plus… Je m’y suis intéressée plus parce que c’était des témoignages sur les comportements des chasseurs, car ils ont été souvent critiqués, car ils étaient souvent en contact avec les Amérindiens, ce qui amenait souvent les officiers… pour eux les chasseurs avaient des mœurs dépravées, ils se comportaient — je cite — « comme des sauvages ».
Fanny : Ah oui, donc vraiment on parle de ça…
Élise : Oui, oui, il y avait des termes… voilà quoi… ils étaient, ils étaient comme des « sauvages » amérindiens. J’ai aussi eu le droit sous microfilm à avoir des archives notariales, ce qui me permettait de voir des contrats d’engagement de chasseurs. Là, c’était plus pour le côté « la chasse comme profession ». J’ai eu aussi des archives judiciaires, donc par exemple pour les esclaves, certains procès qui m’ont permis de comprendre quels étaient les conflits qui pouvaient s’installer à travers la pratique de la chasse par les esclaves. J’ai aussi beaucoup utilisé des représentations de la faune nord-américaine par les histoires naturelles, donc faites par des naturalistes et même par des missionnaires, beaucoup de dessins d’animaux pour voir quelle était leur perception, et aussi quels commentaires il pouvait y avoir face à cette faune qui pour eux était étrangère. Et enfin, des sources archéologiques et archéozoologique, ça je n’ai pas eu le temps de vraiment bien m’y intéresser, j’ai surtout lu des comptes-rendus et des livres spécialisés dessus.
Fanny : Comment se sont passées tes recherches en général ? Elles sont bien passées ? Est-ce que tu as eu des surprises à des moments ?
Élise : Je pense que c’est plus au moment où… à la base je voulais surtout m’intéresser à la chasse pratiquée par les colons français hommes, mais également essayer de trouver la place des femmes dans ce circuit, et j’ai été amenée à vraiment impliquer la chasse par les Amérindiens et la chasse par les esclaves. Et aussi je pense qu’un des gros points de mon mémoire ça a été d’amener une autre historiographie, c’est-à-dire celle d’une histoire environnementale et l’histoire des animaux, qui m’ont permis aussi de repenser l’acte de chasser différemment. Surtout que je ne connaissais rien du tout en histoire environnementale, ou histoire des animaux, et ça m’a permis de me poser d’autres questions. Je m’étais jamais posé la question « quelles pouvaient être les réactions des animaux face à la chasse ? », etc. J’ai eu des surprises aussi concernant mes recherches sur l’implication des femmes dans la chasse.
Fanny : C’était quoi d’ailleurs l’implication des femmes dans la chasse à cette époque-là ?
Élise : On ne parle pas de chasseuse, il n’y a pas de mentions de chasseuse. Enfin au Canada on a une mention d’une « coureuse » — alors ça ne se dit pas « une coureuse de bois » — seule femme à faire cette profession.
Fanny : On l’imagine courir dans les bois très vite un peu comme dans Twilight. [rires partagés]
Élise : Voilà, bonne référence. Donc on avait des femmes qui chassaient également, soit pour nourrir leur famille quand justement le mari, qui pouvait être parti dans des grands circuits de chasse pour aller traquer un bison ou un ours, n’était pas là, donc il fallait bien qu’elle trouve des moyens de subsistance. Aussi, ce qui m’intéressait c’était les femmes qui pouvaient donc chasser, autour de la maison, aussi j’ai lu pas mal de travaux sur la place des femmes amérindiennes dans la chasse, ou des fois elles pouvaient servir de rabatteuse pour les animaux, qui après étaient tués par des hommes là pour le coup.
Ça m’a permis de me reposer des questions sur qu’est-ce que c’était en fait chasser ; et aussi est-ce que c’était juste une profession ; est-ce que c’était juste aller soi-même traquer, est-ce que la femme qui chassait, enfin qui ne faisait que rabatteuse, était pas également elle aussi chasseuse ? Est-ce que ces femmes pouvaient être chasseuses aussi ? En tout cas dans les archives, ce n’est jamais mentionné, je n’ai jamais trouvé de contrat d’engagement pour une femme, mais c’était une manière de repenser l’action de chasser, d’essayer de trouver la place de ces femmes. Est-ce qu’elle était autant, elle n’était pas égale à l’homme, mais quelle était sa place particulière ?
Fanny : Les archives elles étaient en français de l’époque, ça a pas été trop compliqué pour les lire ?
Élise : Alors, c’est un français de l’époque. J’ai pas trouvé ça trop compliqué à lire, ce qui m’embêtait plus c’était la calligraphie de certains officiers qui…
Fanny : Des belles boucles d’époque moderne…
Élise : Là non, non, justement il y en avait qui écrivaient très très mal. Ça c’était mon principal problème. Sinon, en soit les tournures de langues qu’on peut trouver dans l’ancien français, ça ne m’a pas posé de problème particulier. C’était vraiment déchiffrer des écritures parfois illisibles, c’était ça le principal problème dans ces archives.
Fanny : Qu’est-ce que ça t’a apporté personnellement de faire ce mémoire ?
Élise : C’est toujours une période qui m’a fascinée. L’histoire des peuples amérindiens, même encore aujourd’hui, me fascine énormément, et toutes ces questions de transfert de culture, de contacts entre différents peuples, et des accommodations qui peuvent en être tirées, pour moi c’était… pendant que j’ai écrit ce mémoire, je trouvais ça fascinant. Et également, j’étais contente de pouvoir inclure toute la question environnementale, donc que ce soit les animaux, ou également le rapport à la nature. Pour moi c’était important, parce que ça permettait une étude encore plus globale de la chasse, car souvent on voit surtout des études de chasse concentrées sur les chasseurs, mais rarement quelque chose qui implique ceux qui chassent, ceux qui sont chassés. Donc personnellement, c’était très satisfaisant aussi d’essayer au moins d’avoir une sorte de vision globale en incorporant beaucoup d’acteurs. C’est une région géographique qui me fascine beaucoup, depuis petite j’ai un peu été bercée par le folklore qu’il peut y avoir en Amérique du Nord, sur la vision des trappeurs, etc. Donc, pour moi c’était très enrichissant et très épanouissant de travailler sur cette région.
Fanny : Tu aimerais continuer une thèse sur le sujet ?
Élise : Alors j’aimerais bien faire une thèse, mais du moins, pas pour le moment, depuis que j’ai rendu mon mémoire en septembre 2018, j’ai préparé les concours de l’enseignement, donc le CAPES d’histoire-géo, et l’agrégation d’histoire. Cette année, j’ai été reçue aux écrits du CAPES et de l’agrégation. Au final, j’ai eu le CAPES, ce qui est déjà…
Fanny : C’est déjà bravo. [rires partagés] Franchement, bravo.
Élise : Merci.
Fanny : C’est très bien.
Élise : Et cette année, je repars pour une nouvelle année de préparation à l’agrégation. Après, j’aimerais beaucoup enseigner avant tout, pour le moment la thèse, c’est pas une priorité pour moi. J’aimerais voir le monde de l’enseignement, et je pense que j’y reviendrai un jour, certainement dans quelques années, mais j’aimerais enseigner à côté peut-être. Alors, je ne sais pas si ce sera possible financièrement, ou si j’ai d’autres projets à côté, j’aimerais bien peut-être avoir un mi-temps et faire la thèse à côté, essayer de concilier les deux. Mais encore une fois, je ne sais pas si ce sera possible, mais j’aimerais bien, mais dans quelques années, y revenir et me replonger dans ces histoires de Mississippi.
Fanny : Pour finir, Élise, une dernière petite question que je pose souvent dans les épisodes : est-ce que tu aurais des conseils pour quelqu’un qui voudrait étudier cette période et cette région, donc l’Amérique du Nord à la fin du XVIIe siècle ?
Élise : Alors déjà, ne pas faire comme moi qui ai voulu faire une étude très large, j’ai voulu incorporer beaucoup de choses, beaucoup d’acteurs, de beaucoup de pratiques… C’est un ensemble géographique très grand, très important, peut-être plus se concentrer, faire des limites, se concentrer peut-être sur une aire géographique plus restreinte ou un groupe en particulier d’acteurs, parce que moi j’étais un petit peu débordée [rires partagés] avec tous mes chasseurs. Quoi d’autre… Je pense aimer son sujet, c’est quelque chose aussi de primordial, ça c’est bon que ce soit dans la vallée du Mississippi ou pour tout autre sujet [rires]. Bien choisir son directeur de mémoire c’est vrai que pour les études nord-américaines, il y a quelques centres qui proposent… surtout sur la période moderne, car on voit dans certaines universités c’est certes de l’histoire de l’Amérique du Nord, mais plus de l’époque contemporaine. À l’époque moderne, il faut bien choisir son centre et les spécialistes. Moi à l’EHESS, c’était bien, sans faire de la pub. [rire gêné]
Fanny : Oh, il faut, il faut.
Élise : À l’EHESS on avait un très bon encadrement, concernant cette région et cette époque.
Fanny : Maintenant, chers auditeurs et auditrices, vous savez un petit peu plus qui étaient les chasseurs du Mississippi, quel était le contexte historique dans la vallée du Mississippi à la fin du XVIIe siècle. Donc merci beaucoup Élise Rétoré pour toutes ces belles choses que tu nous as racontées.
Élise : Merci à toi.
Fanny : Pour les auditeurs, si cet épisode vous a plu et que vous voulez en savoir plus sur les États-Unis à cette époque-là, je vous rappelle qu’il y a l’épisode 7 qui parle des origines de New York, donc on est vraiment à la même époque mais pas exactement dans la même zone géographique. Et si l’époque moderne vous intéresse, il y a aussi plein d’autres épisodes pour Passion Modernistes.
Et si vous voulez écouter encore plus de podcasts sur l’histoire, vous pouvez bien sûr aller écouter le podcast Passion Médiévistes, qui parle de Moyen Âge, on s’en doute, et tous ces podcasts se retrouvent sur le site passionmedievistes.fr, vous avez des petits onglets en haut où vous pouvez tout retrouver.
Le podcast Passion Modernistes est aussi sur Twitter et Facebook, si vous voulez un petit peu suivre les actualités du podcast ou nous faire vos retours sur ce que vous avez pensé des épisodes. Dans le prochain épisode de Passion Modernistes, on va partir en Lorraine, on va repartir en Lorraine à l’époque moderne. Salut !
[Pocahontas – L’air du vent]
Merci énormément à Marion et Bobu pour la retranscription !
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
Si cet épisode vous a plu, je vous conseille d’écouter l’épisode 7 de Passion Modernistes qui porte sur les origines de la ville de New York.
9/29/2019 • 29 minutes, 58 seconds
Épisode 8 – Thomas et les nobles jeux des bourgeois (Passion Modernistes)
Comment les bourgeois se divertissent au XVIIème et XVIIIème dans leur quête de noblesse ?
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baabe5778').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baabe5778.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Thomas Fressin
Lors de l’enregistrement de ce podcast, Thomas Fressin était en troisième année de thèse à l’université Côte d’Azur. Son sujet : “Des bourgeois en quête de distinction : Les chevaliers des nobles jeux de l’arc, de l’arbalète et de l’arquebuse. (XVIIe-XVIIIe s.)”, sous la co-direction de Pierre-Yves Beaurepaire & Hervé Drévillon.
Une nouvelle forme de sociabilité
A partir du XVIIe siècle, l’Europe connait une « révolution associative » majeure, où de nouveaux espaces de convivialité et de sociabilité restreinte émergent. C’est durant cette période qu’apparait également, dans le milieu urbain, une forme de sociabilité méconnue : les compagnies privilégiées de la milice bourgeoise.
Choisissant de s’exercer à un noble jeu, c’est-à-dire l’arc, l’arbalète et l’arquebuse, mais également la couleuvrine, du canon, de l’épée, du pistolet ou encore de la navigation, ces institutions s’affilient à l’histoire des anciennes confréries militaires des villes, nées au Moyen Âge des libertés urbaines et de l’obligation de se défendre par ses propres moyens.
Des compagnies privilégiées
Trouvant une place particulière au sein des milices bourgeoises, ces compagnies sont privilégiées par de nombreuses patentes. Elles finissent par se distinguer des compagnies ordinaires de la milice urbaine sur lesquelles elles exigent le pas. Nous les retrouvons sur une grande partie du royaume de France, sans tenir compte de la hiérarchie urbaine, des villes bien peuplées comme Caen à des petites villes comme Sézanne en Champagne.
Bien que les chevaliers des nobles jeux tentèrent de conserver leurs statuts particuliers, l’Assemblée nationale finit par dissoudre ces compagnies privilégiées, par décret du 12 juin 1790. Une fois fondues dans la garde nationale, quelques mois plus tard, l’Assemblée nationale finit par faire de leurs meubles et immeubles des biens nationaux. Il faut alors attendre le premier Empire pour que de nouvelles compagnies des nobles jeux se reconstituent selon les anciens usages.
Pour parler de ses recherches au quotidien, Thomas Fressin a ouvert un compte Twitter spécialement dédié à sa thèse, ainsi qu’un compte de chercheur personnel.
Le tir aux buttes, ou Le tir à l’arc aux berceaux. Toile attribuée à TENIERS David, 17e siècle, Musée de l’Archerie et du Valois
Pour en savoir plus sur cet épisode Thomas vous conseille les lectures suivantes :
Pierre-Yves BEAUREPAIRE. Nobles jeux de l’arc et loges maçonniques dans la France des Lumières : enquête sur une sociabilité en mutation. Editions Ivoire-Clair, 2002
T. FRESSIN et M. ROUX. Le bouquet provincial, fête traditionnelle de l’archerie (fiche d’inventaire du patrioine culturel immatériel). Ministère de la Culture, 2014
T. FRESSIN et M. ROUX. Le tir beursault, pratique traditionnelle du tir à l’arc (fiche d’inventaire du patrioine culturel immatériel). Ministère de la Culture, 2014
Christine LAMARRE. “Les jeux militaires au XVIIIe siècle. Une forme de sociabilité urbaine négligée”. In : Histoire urbaine, 5 (2002). p. 85–103
Françoise LAMOTTE, Les compagnies du papegay en Normandie, p. 39-47 et Les arquebusiers de la confrérie de Sainte Barbe d’Aix-en-Provence, p. 79-91 dans Jeux et sports dans l’histoire, Actes du 116e congrès national des Sociétés Savantes, Chambéry, 1991, Paris, 1992, section d’histoire moderne et contemporaine, t. 2, Pratiques sportives.
Dans cet épisode vous avez entendu les extraits des chansons suivantes :
Philippe Sarde – La fille de d’Artagnan (Extrait de la BO du film « La Fille de d’Artagnan »)
Jacques Brel – Les bourgeois
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
Si cet épisode vous a plu, je vous conseille d’écouter l’épisode 7 de Passion Médiévistes qui porte sur les tournois de chevalerie et les pas d’armes.
8/31/2019 • 25 minutes, 22 seconds
Épisode 7 – Virginie et les origines de New York
Saviez-vous que New York était d’abord une colonie néerlandaise ? Et pourquoi la ville s’appelle ainsi ?
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baabeb651').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baabeb651.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Virginie Adane
Après une maîtrise d’histoire consacrée à la vision de l’Amérique qu’avait l’Europe au XIXème siècle, Virginie Adane s’est lancée dans une thèse, soutenue en 2017, intitulée « Genre, pouvoir et relations marchandes dans une société coloniale multiculturelle. Nouvelle-Néerlande, New York (1630-1730)« . Virginie était fascinée par le choix de ces personnes de tout plaquer pour aller vivre sur un continent inconnu et elle voulait se plonger dans les racines de l’Amérique et des colonies.
La Nouvelle-Néerlande, terrain peu étudié
Colonie fondée à partir de 1624 autour de la vallée de l’Hudson et de l’île de Manhattan, la Nouvelle-Néerlande est une colonie néerlandaise dans un monde colonial anglais, formée autour de la traite des pelleteries. La société coloniale est marquée par sa diversité, faisant se côtoyer des populations européennes, amérindiennes et afro-caribéennes. À partir de 1664, la colonie connaît un changement de souveraineté, devient New York et est intégrée à l’empire anglais. En un siècle, une société nouvelle a émergé, s’est construite et transformée.
Dans sa thèse, Virginie Adane a analysé le rôle des normes et relations sociales entre hommes et femmes dans la construction de cette société et a envisagé la façon dont ces normes et ces relations construisent un ordre social et informent les échanges marchands.
Une nouvelle société américaine
La société de Nouvelle-Néerlande est caractérisée, dès les premières années de l’installation coloniale, par sa diversité culturelle et religieuse, ainsi que par la diversité des projets coloniaux. Parmi ces projets, la mise en place d’un peuplement familial pose la question des normes familiales et de genre au cœur de la formation de la société nouvelle. Ces normes constituent l’armature de base de l’ordre colonial et d’une volonté de faire société, par l’imposition, la transposition ou l’adaptation de prescriptions quant au comportement sexué. Pour les administrateurs, la conformité et le respect des normes de genre étaient conçus comme un garant d’ordre social. Du reste, l’aspiration et l’adaptation à ces normes est aussi le fait des des colons eux-mêmes.
Novi Belgii Novaeque Angliae… (Carte de la Nouvelle-Belgique ou Nouvelle-Hollande), 1685, par Nicolaes Visscher
Cet attachement permet de comprendre, paradoxalement, l’apparente violence des rapports sociaux et l’importante judiciarisation des pratiques sociales. Virginie a voulu montrer que la Nouvelle-Néerlande était, au contraire, une société très normée. Avec le changement de souveraineté, les questions de masculinité, de féminité et des rôles et des relations qui y sont associés ont été au cœur du processus de domination et d’imposition d’un nouvel ordre colonial. Elle a ainsi observé une prise en charge plus marquée de la régulation des crimes moraux – prostitution, adultère, mariages dysfonctionnels – dans le cadre d’une société où le contrôle social par la population s’avère moins opérant que celui effectué par les autorités.
Une longue thèse de dix ans
Pour étudier la Nouvelle-Néerlande, Virginie Adane a dû notamment étudier le néerlandais pour se plonger dans les archives, la barrière de la langue ayant retenu beaucoup de chercheurs et de chercheuses avant elle. Grâce à des bourses, elle a pu passer deux ans aux États-Unis pour faire ses recherches directement sur son champ d’étude, rencontrer des sociétés historiques sur place.
Retrouvez Virginie Adane aussi dans le podcast MDR qui parle des comédies françaises et le podcast Les rois du monde est stone etc sur les comédies musicales françaises.
Si vous voulez en savoir plus sur le sujet voici quelques lectures que vous conseille Virginie :
Jaap Jacobs, The Colony of New Netherland: A Dutch Settlement in Seventeenth-Century America, Cornell University Press, 2009
Russell Shorto, The Island at the Center of the World: the Epic Story of Dutch Manhattan and the Forgotten Colony that Shaped America, New York, Vintage, 2005 [une approche de journaliste plus que de chercheur]
Bertrand Van Ruymbeke, L’Amérique avant les Etats-Unis : Histoire de l’Amérique anglaise (1497-1776), Paris, Garnier Flammarion « Champs Histoire », 2016 [un panorama plus général sur l’Amérique coloniale anglaise, incluant des passages sur la Nouvelle-Néerlande]
Thelma Wills-Foote, Black and White Manhattan: The History of Racial Formation in Colonial New York City, Oxford, Oxford University Press 2004
Et Virginie Adane a écrit un article sur son sujet de thèse : « Penser le genre en Nouvelle Néerlande au XVIIe siècle : enjeux historiographiques », Nuevo Mundo Mundos Nuevos [Online], Workshops, mis en ligne le 11 juin 2013.
Dans cet épisode vous avez entendu les extraits des chansons suivantes :
Joe Dassin – L’Amérique
New York, New York – On the Town
Trevor Jones – Promentory (Bande originale du film Le Dernier des Mohicans)
Telephone – New York avec toi
Transcription de l’épisode 7 (cliquez pour dérouler)
Fanny : Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes. Je m’appelle Fanny Cohen-Moreau, et dans ce podcast, je vous propose de rencontrer de jeunes chercheurs et chercheuses en master ou en thèse qui étudient l’histoire moderne. Et pour rappel, l’histoire moderne c’est cette période qui s’est glissée entre le Moyen-Âge et l’époque contemporaine, c’est-à-dire en gros, pour l’Europe occidentale, si on prend ça comme référence, entre les années 1500 et 1800.
Épisode 7, Virginie et les origines de New York, c’est parti !
Pour la première fois dans Passion Modernistes, nous quittons justement le Vieux Continent, et nous partons pour l’Amérique !
[Intermède Joe Dassin]
Je suis très contente de montrer aussi qu’on peut travailler sur l’histoire et ne pas s’intéresser qu’à son propre pays, c’est-à-dire la France ou l’Europe. Donc aujourd’hui nous allons plonger dans les colonies américaines au XVIIe siècle. Bonjour Virginie Adane.
Virginie : Bonjour
Fanny : Tu as soutenu une thèse en décembre 2017 qui était intitulée « Genre, pouvoir et relations marchandes dans une société coloniale multiculturelle. Nouvelle-Néerlande, New York (1630-1730) » et tu étais sous la direction de François Weil à l’EHESS.
Virginie : Tout à fait.
Fanny : Avant tout Virginie, qu’est-ce qui t’a donné envie d’étudier l’histoire moderne ?
Virginie : Au départ, mon envie c’était pas l’histoire moderne, c’était l’Amérique. Et l’Amérique dans tout ce qu’elle a de plus cliché, d’une certaine manière. J’étais en licence d’histoire quand j’ai commencé à réfléchir à ce que j’allais faire comme sujet de recherche, et je me rappelle être allé dans le bureau d’histoire moderne des professeurs de mon école et d’avoir dit « j’aime vraiment l’Amérique, etc. ». En fait, j’ai commencé par une maîtrise d’histoire, qui était en réalité centrée sur le XIXe siècle, donc l’époque contemporaine, et je m’intéressais en fait un zoo humain amérindien, qui était en tournée en France, qui était associé à un peintre qui s’appelle George Catlin, et qui était en tournée en France sous le règne de Louis-Philippe. En fait c’était une façon de m’intéresser un peu… ouais voilà… à l’Amérique des Indiens et aux mythes fondateurs de l’Amérique. Avec cette frustration de me dire, en fait c’est l’Amérique par proxy, parce que c’est l’Amérique de la façon dont elle est perçue par la France, et c’est pas très très satisfaisant. En fait c’était frustrant parce qu’une des raisons pour lesquelles on veut travailler sur l’Amérique en général, c’est qu’on a envie d’y aller ! Et donc je n’y suis pas allé, et j’étais là « oui, c’est un peu nul ». Donc j’avais failli arrêter la recherche, et après avoir passé l’agrégation, puisque c’est aussi le lot des chercheurs en histoire, à un moment il faut faire un concours d’enseignement si on veut espérer avoir une carrière là-dedans derrière. Après avoir passé l’agreg’ d’histoire, j’étais un peu perdue sur ce que je voulais faire, et je suis allée dans le bureau de celui qui est devenu mon directeur de thèse…
Fanny : Tu es retournée dans un bureau…
Virginie : Je suis retournée dans un bureau, et je lui ai dit, bah oui, mais moi, ce que je veux c’est l’Amérique ! [rires] L’Amérique coloniale cette fois-ci, parce que ce qui m’intéresse, c’est vraiment la fondation de l’Amérique. Ma fascination de départ, c’était de visualiser des personnes qui ont décidé de tout plaquer, de quitter tout ce qu’ils avaient, en tout cas c’était ce que je pensais à l’époque, pour tenter leur chance sur un nouveau continent, dont ils ne connaissent rien. Ils ne savent pas comment ça va se passer, mais ils se disent « on n’a plus rien à perdre, on va essayer ». Et ça, c’était une espèce de fascination un peu naïve, mais c’était ça qui m’intéressait. C’est ça le point de départ, c’est ça qui m’a conduite dans l’histoire moderne. C’était une porte d’entrée un peu biaisée, c’était pas une entrée par les grands thèmes classiques de l’histoire moderne, les grandes révolutions, ou la société d’ordres dance ce qu’elle a de plus figée, ou dans les relations diplomatiques très complexes qui caractérisent l’époque moderne. Tout ça c’est en jeu en fait dans ma colonie, dans la colonie sur laquelle j’ai travaillé, mais c’était pas ça mon point de départ…
Fanny : En fait, tu as vraiment fait un pas de côté dans ton sujet.
Virginie : Voilà, c’était waouh, l’Amérique, les débuts de l’Amérique avec les colons. En tête, moi j’avais, très honnêtement, Pocahontas, les sorcières de Salem et des trucs comme ça, je me disais « mais quand même c’est une époque fascinante, c’est un moment fascinant », donc voilà.
Fanny : Et tu t’es intéressée spécifiquement à une colonie en particulier, la Nouvelle-Néerlande, pourquoi tu as choisi cette colonie en particulier ?
Virginie : Alors, déjà on va recadrer. Nouvelle-Néerlande, c’est un mot qui est un petit peu un barbarisme. Parce qu’en fait, le vrai nom de la colonie, il est en néerlandais, Nieuw Nederlands, et dans les sources de l’époque en réalité, elle est nommée « Nouveaux Pays-Bas ». Après…
Fanny : Tu as dû t’amuser, avec toutes ces occurrences différentes.
Virginie : Voilà, et en latin c’est « Nouvelle Belgique » [rires partagés] c’est un bazar sans nom. En fait, Nouveaux Pays-Bas, ça sonne bizarre, donc je pense que pendant longtemps il y a des chercheurs qui ont commencé à dire « Nouvelle Hollande » mais ce qui est une erreur puisqu’il y a deux autres colonies de « Nouvelle Hollande » qui ont existé, au Brésil et en Océanie, temporairement, et donc du coup c’est pas bon d’utiliser ce nom…
Fanny : Rien à voir.
Virginie : Voilà. Donc, il y a des chercheurs français qui se sont dit on va utiliser ce néologisme parce que mimétiquement il est proche du nom originel. Ça nous dit ce que c’est, on entend « Nouvelle-Néerlande » et on sait qu’on va parler dans une langue très gutturale. Tout a commencé avec ce directeur de thèse, à qui j’ai dit « je veux faire de l’Amérique ». « Pas plus précis que ça vos idées ? » « bah non, pas trop ». Je sortais de l’agreg, je me disais « chic, c’est les vacances », [rires] j’avais pas trop trop d’idée précise. Il m’a dit « bon, alors on va reprendre le sujet, le problème à zéro ». Il m’a dit « je vais pas vous donner de sujet, c’est pas à moi de vous donner un sujet, c’est à vous de le construire. Si vous vous lancez dans l’aventure d’une thèse, il faut avoir vraiment très envie de le faire, et il faut que le sujet il vous passionne, parce que sinon ça va être une tannée ». Il m’a donné deux livres à lire, sur les colonies américaines, voilà, qui sont faits par des historiens tout à fait respectables, et qui sont assez simples d’accès, et il m’a donné toute une revue à dépouiller en fait, qui s’appelle la William and Mary Quaterly, qui est une revue spécialisée dans l’histoire coloniale de l’Amérique anglophone. Il m’a dit « voilà, vous allez dépouiller les 20 dernières années de cette revue… »
Fanny : Dépouiller ça veut dire quoi ?
Virginie : Dépouiller ça veut dire vous allez en gros, déjà regarder tous les titres, et lire une partie des articles. Dans une revue spécialisée, ce qu’il va y avoir c’est trois-quatre articles de fond, qui font une trentaine de pages chacun, et ensuite il va y avoir tout un tas de… c’est pour ça qu’on appelle ça une revue aussi, parce que c’est une revue d’ouvrages en fait, c’est la recherche en cours qui fait l’objet de compte-rendu de lecture pour savoir de quoi ça parle. Donc ça permet d’avoir un panorama assez global de tout ce qui a été écrit sur l’Amérique coloniale. À ce moment-là, il me dit, vous voyez s’il y a un sujet qui se dégage. Et en fait, moi il y a un truc qui m’a frappé tout de suite, c’est qu’il y avait énormément de choses sur les colonies dites de la Chesapeake, donc c’est la Virginie et le Maryland actuels, énormément de choses sur la Nouvelle-Angleterre, et rien sur New York. Et j’étais-là, quand même c’est bizarre, parce que New York, ville la plus célèbre du monde, il y a une aura autour de cette ville, comment ça se fait qu’il n’y a aucune recherche dessus ? Et rapidement, j’en ai tiré la conclusion que c’était un truc très bête, c’est que les recherches elles sont faites par des Américains ou par des anglophones, et qu’ils ont pas forcément envie de se fouler à parler une autre langue. Et la Nouvelle-Néerlande, comme son nom l’indique, c’était une colonie néerlandaise, et les archives, elles sont en néerlandais. Donc il y avait beaucoup moins de recherches dessus, parce que… bah pourquoi s’embêter, quoi ?
Fanny : Mais il n’y avait pas de recherches de la part des Néerlandais sur le sujet ?
Virginie : Moins. Parce qu’en fait, du point de vue des Pays-Bas, New York, c’est rien en fait.
Fanny : Comment ça, c’est rien ?
Virginie : Parce que, en fait, quand on prend l’empire néerlandais, y a des endroits qui rapportent beaucoup. La Nouvelle-Néerlande, c’était le parent pauvre en fait. C’est un angle mort de la recherche, mais c’était un angle mort colonial parce qu’il y avait des colonies qui rapportaient tellement plus. Les Antilles néerlandaises, notamment l’île de Curaçao, il y a la colonie du Cap qui rapportait beaucoup aussi. Faut savoir que les entreprises coloniales à cette époque, elles étaient menées par des compagnies à charte, c’est-à-dire le souverain ou les dirigeants, [qui] octroyaient une charte à une compagnie privée pour régner en leur nom ou pour s’occuper en leur nom de tirer profit [de la colonie], parce qu’en fait, les colonies c’était du profit, c’était de la matière première, c’était des choses qui devaient permettre d’enrichir les souverains. C’est un peu particulier parce que les Provinces-Unies, c’est une république, mais c’est la même idée. En fait, il y avait deux compagnies, la Compagnie des Indes occidentales [NdT: orientales en fait], qui a l’acronyme VOC, je vais pas dire… ça correspond à Vereenigde Oost-Indische Compagnie, bon voilà.
Fanny : Bien sûr…
Virginie : Donc VOC, et ça c’est plutôt le Cap, et ensuite c’est l’Indonésie. Ensuite il y avait la Compagnie des Indes occidentales la WIC. La WIC, elle était un peu plus récente et rapportait un petit peu moins, et quand elle rapportait c’était plutôt sur les territoires qui étaient un peu plus au sud, c’est-à-dire les Antilles, et un temps ils ont essayé de coloniser le Brésil, ça a pas marché. Mais dans ce contexte-là, en fait, la Nouvelle-Néerlande c’était peanuts en fait.
Fanny : Donc il y avait vraiment rien sur les origines de New York quand tu as commencé tes recherches ?
Virginie : Pas vraiment « rien » mais beaucoup moins, beaucoup moins que le tout le reste. Le reste faisait l’objet d’une énorme production historiographique, et ça vachement moins. Donc moi j’étais là, « bah ouais mais c’est… » outre le fait que c’est un angle mort de la recherche, et que donc « oh, y a rien, donc je peux m’y mettre, j’ai ma place », en plus je trouvais que c’était un territoire intéressant, un territoire néerlandais en plein milieu d’une zone qui est dominée par les britanniques, qui avait un peuplement assez original en fait, donc, je trouvais ça très intéressant comme thème.
Fanny : Et une fois que tu as choisi ce terrain, comment est-ce que tu as anglé ta thèse ? Parce que tu allais pas faire tout, tu pouvais pas tout étudier en même temps, tu as dû choisir un angle particulier.
Virginie : C’est ça, c’est un angle particulier que j’ai dû choisir, et pour ça aussi j’ai pas mal tergiversé, c’est l’année de M2, qui sert en fait un peu à définir un sujet, et au début je savais pas trop par où aller. Mon directeur m’a dit « la question des femmes, elle est intéressante », et j’étais là « attends, tout de suite, hop, parce que je suis une fille, je vais travailler sur les femmes ! cliché much ! ». J’avais pas du tout envie, et en fait, en lisant des choses, plus je lisais, plus je me disais mais en fait c’est pas juste le cliché, c’est un sujet très intéressant.
Fanny : C’est pas juste parce que c’est à la mode en ce moment d’étudier les femmes, là en fait il y avait vraiment…
Virginie : Il y avait quelque chose de très intéressant.
Fanny : Pertinent.
Virginie : Parce qu’en fait, cette colonie ce qu’elle a d’intéressant, c’est que c’est une colonie qui commence en étant néerlandaise, et qui quarante ans plus tard change de souveraineté et devient anglaise.
Fanny : Tu vas nous raconter tout ça.
Virginie : Je vais vous raconter tout ça, c’est merveilleux. Et en fait, avec le changement de souveraineté, ça veut dire que ça change de droit. On était dans un droit hollandais, calqué sur le droit de Hollande et de Zélande, qui est un droit romain, et on passe dans une juridiction anglaise, donc c’est le droit commun, ce qu’on appelle la common law anglaise qui s’impose. Graduellement, mais quand même. Et en fait, la recherche en cours à cette époque-là, quand j’ai commencé ma thèse, c’était de dire « l’imposition de la common law c’est l’imposition du patriarcat, et les femmes qui étaient si libres pendant la période néerlandaise, ont tout perdu et se sont retrouvées totalement infantilisées et inféodées aux hommes ». Et ça, c’était un truc qui prévalait, mais en même temps, c’était des recherches des années 70, en plein moment du deuxième féminisme, du mouvement de libération des femmes, etc. Donc ça avait du sens, un sens politique très fort, mais pour moi ça me paraissait quand même un peu gros, un peu caricatural d’une certaine manière, donc voilà, je m’étais dit…
Fanny : C’est trop simple.
Virginie : Voilà, c’est simple, c’est sexy, mais est-ce que c’est si évident que ça ? Donc en fait, au départ mon M2 je l’ai anglé sur cette question-là, est-ce qu’elles ont vraiment tout perdu. Et c’est parti de là, et je me suis intéressée de manière plus générales aux questions de genre, c’est-à-dire les normes de genre, les normes qui régissent les relations entre hommes et femmes, et les pratiques, la façon dont se comportent les hommes et femmes entre eux, et est-ce que ça correspond tout à fait à ce que prescrit le droit ou pas.
Fanny : Tu vas nous raconter tout ça mais déjà on va un petit peu plus planter le décor. Est-ce que tu peux nous décrire donc où on en est dans la future ville de New York au moment de sa fondation, donc alors qu’elle s’appelait encore La Nouvelle-Amsterdam, au sein de la colonie de la Nouvelle-Néerlande, une colonie fondée par les Néerlandais à partir de 1624 ? Ils arrivent, il y a quoi en fait ?
Virginie : Ils arrivent, il y a des Amérindiens, il y en a beaucoup. Des Amérindiens qui ont eux-mêmes leurs propres problèmes en réalité. Les premières expéditions néerlandaises c’est vers 1609, c’est Henry Hudson qui est un navigateur anglais mais qui navigue pour le compte de la Chambre de commerce d’Amsterdam, et pendant douze ans il se passe pas grand-chose, et ensuite, à partir de 1621 en fait, on octroie une charte à la Compagnie des Indes, en se disant que ce serait peut-être pas mal de coloniser le terrain parce qu’on y a des intérêts. Alors, qu’est-ce qu’on trouve sur place ? On trouve des nations amérindiennes algonquiennes, et des nations amérindiennes iroquoises. C’est deux grands groupes ethnolinguistiques en quelque sorte, qui s’entendent pas forcément, et au sein de ces groupes ethnolinguistiques, il y a plusieurs nations qui elles-mêmes peuvent se tirer la bourre, et être pas très d’accord entre elles. Donc voilà, on est dans ce terrain-là, où il y a énormément d’enjeux diplomatiques au sein des populations amérindiennes, qui de toute façon occupent le territoire. Les Iroquois sont un petit plus sédentarisés, les Algonquins qui sont sur l’île de Manhattan, eux c’est une population qui est plutôt, qui est itinérante en fait. C’est intéressant parce que ça explique beaucoup les enjeux qui se sont joués après avec les Européens. Quand les Néerlandais arrivent, ce qu’ils veulent faire, c’est du commerce, c’est des marchands.
Fanny : Ils veulent pas coloniser, exterminer au début… ils veulent plus faire du commerce ?
Virginie : Ils veulent vraiment faire du commerce. Alors il y a deux projets qui sont concurrents, très rapidement. Il y a un premier projet de commerce, on cherche à s’enrichir. Donc qu’est-ce qu’on va chercher ? Il n’y a pas d’or, clairement, on peut pas faire de plantation trop, trop, il y a quelques plantations de tabac sur Manhattan mais c’est pas lourd, par contre, il y a des castors.
Fanny : Des castors ?
Virginie : Et la fourrure de castor, c’est très à la mode en Europe, et donc on se dit on va faire du commerce de fourrure, de peau de castor, c’est ce qu’on appelle la traite des pelleteries, c’est-à-dire aller chercher des fourrures de castor, en fait on va pas les chercher, c’est les Amérindiens qui vont les chercher et qui vont les vendre aux Européens. Ce qui fait que [dans] les endroits où on peut le plus facilement faire cette traite-là, les relations avec les Amérindiens sont plutôt bonnes parce qu’en fait on tient à avoir ces bonnes relations, le commerce c’est la meilleure arme de paix en fait.
Fanny : Mais on donne quoi en échange aux Amérindiens contre les peaux de castors ?
Virginie : On leur donne ce que les Amérindiens n’ont pas, donc des objets manufacturés, des objets qui sont faits en métallurgie, ou des choses comme ça. Également, optionnellement, des armes. Et c’est dans ce contexte-là aussi, dans ce contexte d’essayer d’établir des relations, on se dit que si, on va quand même s’installer là et on va faire une installation durable. Un des tout premiers gouverneurs de Nouvelle-Néerlande, qui s’appelle Peter Minuit, achète l’île de Manhattan…
Fanny : Ah ouais, comme ça…
Virginie : Ouais, alors, ça c’est un des mythes fondateurs qui plait beaucoup aux new-yorkais, c’est qu’il l’a acheté pour une poignée de dollars en fait [rires], parce que si on pratique les taux de change actuels, ça ressemble à pas grand-chose, en fait c’est des coffres avec un petit peu de verroterie dedans et quelques petits objets, et il achète l’île de Manhattan aux nations amérindiennes qui sont sur place, sauf que pour les Amérindiens la notion de propriété ça n’a pas cours, puisque la terre c’est une divinité, on possède pas Dieu. Donc en fait, eux ils vendent l’usage de l’île de Manhattan, jusqu’à ce qu’eux reviennent. Donc quand ils reviennent, on leur dit « ah non, c’est plus à vous », et ça crée des tensions très vite dans cette partie-là de la colonie. C’est la partie plutôt sud de la colonie. Plus au nord de la colonie, quand on se rapproche plus du Canada actuel, là on a du négoce et de la traite des pelleteries.
Fanny : Et donc les Néerlandais s’installent au fur et à mesure dans cette zone-là ?
Virginie : C’est ça. Parce que ça c’est un premier projet, un projet orienté autour de la traite. Sinon, il y a certaines personnalités à Amsterdam, donc dans l’Ancien Monde, qui se disent, ce qu’il serait bien ce serait de mettre en place une entreprise de colonisation agricole du territoire. Et donc ils essayent d’obtenir des chartes pour avoir des territoires sur lesquels ils vont envoyer des paysans qui vont travailler la terre, etc. La plupart de ces colonies agricoles s’effondrent, il y en a une qui tient, qui est au niveau de la frontière canadienne actuelle, c’est une colonie qui se trouve à côté de la ville d’Albany, qui est la capitale de l’État de New York aujourd’hui, et ça c’est la seule colonie qui tient vraiment, la seule colonie agricole, mais en tout cas ce qui est intéressant dans tout ça, c’est qu’il y a des hommes seuls qui partent pour faire du commerce, et il y a aussi des familles qu’on envoie là-bas pour s’installer. Et donc très vite, y a une colonisation de peuplement qui se met en place.
Fanny : Et on arrive à combien de population sur place ?
Virginie : C’est difficile à chiffrer. On a estimé qu’en 1664, donc au moment du changement de souveraineté, il y avait environ 9000 habitants.
Fanny : Ce changement de souveraineté, comment il arrive, qu’est-ce qui se passe ?
Virginie : Là on revient dans « l’Ancien Monde », c’est les relations diplomatiques entre l’Angleterre et les Provinces-Unies qui connaissent une grande rivalité dans ce moment-là du XVIIe siècle, et donc il y a ce qu’on appelle les guerres anglo-néerlandaises, ou anglo-hollandaise, anglo-dutch wars en anglais voilà. Pendant la Deuxième Guerre anglo-néerlandaise, ça coïncide… alors le roi d’Angleterre à ce moment-là, c’est Charles II, et Charles II octroie à son frère le droit d’occuper toute l’Amérique du Nord en quelque sorte. En fait, c’est pas ça…
Fanny : C’est sympa comme cadeau…
Virginie : Oui, c’est qu’il lui octroie le territoire qui correspond à l’époque à la Nouvelle-Néerlande. C’est-à-dire qu’à ce moment-là, honnêtement le roi d’Angleterre se fiche un petit peu des colonies, il n’a pas un intérêt très appuyé pour les colonies, il laisse un peu faire. Il y a un gros pôle anglais au nord de la Nouvelle-Néerlande, c’est la Nouvelle-Angleterre, il y a un gros pôle anglais au sud de la Nouvelle-Néerlande, c’est la Virginie et le Maryland, et entre les deux, bah y a ce truc-là. Le frère du roi se dit « ce serait bien de rejoindre les deux et d’avoir un grand ensemble anglais en Amérique du Nord, ce serait chouette. ». Donc, il lui octroie cette charte. Les Néerlandais perdent la guerre, et dans les négociations, ils acceptent de céder ce territoire, lors d’un traité, le traité de Breda en 1667. Avant ça, donc trois ans plus tôt en réalité, les Néerlandais à Amsterdam se sont rendus, ont laissé rentrer les Anglais, et donc les Anglais ont occupé ce territoire. Ça s’est fait progressivement en réalité, parce qu’il y avait déjà des colons anglais qui venaient s’installer en Nouvelle-Néerlande, par la Nouvelle-Angleterre…
Fanny : Ils se faisaient manger au fur à mesure…
Virginie : Ça se faisait grignoter au fur à mesure, et en fait le gouverneur de Nouvelle-Néerlande, en réalité il n’a pas le titre de gouverneur, il a le titre de directeur général, ça montre qu’on est vraiment dans une colonie de commerce, et qui est dirigée par une compagnie à charte, le directeur général de l’époque, qui a un nom rigolo parce qu’il s’appelle Stuyvesant, c’est comme les cigarettes en fait. Et c’est un monsieur qui a une jambe de bois, c’est l’imagerie de la piraterie dans toute sa gloire. En fait, Stuyvesant essaye de motiver les habitants de La Nouvelle-Amsterdam, en leur disant faut résister, etc., mais ils sont là « non mais en fait, on n’a plus envie ». Il y avait des rivalités avec le pouvoir de la compagnie, et en fait ils laissent rentrer un petit peu les Anglais dans un premier temps. Après, c’est un petit peu plus compliqué, mais en tout cas, la colonie passe entre les mains des Anglais à ce moment-là. Le frère du roi est duc d’York, donc du coup ça devient New York…
Fanny : Aahh…
Virginie : Il était duc d’York et d’Albany, c’est son titre complet, ce qui fait que devient La Nouvelle-Amsterdam, principale ville devient la Nouvelle-York, et la deuxième ville de la colonie, qui s’appelait Beverwijck, devient Albany, parce que c’était son deuxième titre. Voilà, et donc à partir de ce moment-là ça devient New York.
[Intermède musical]
Fanny : Et qu’est-ce que ça implique ce changement de souveraineté sur place ?
Virginie : Sur place ça implique en fait un changement de l’élite dirigeante, dans un premier temps, et ça implique un changement du droit en vigueur, en quelque sorte. Mais c’est assez progressif en réalité, ça se fait vraiment dans un long temps. Dans un premier temps, le duc d’York propose un droit qui s’adapte un petit peu au droit qui était en vigueur, et puis petit à petit il va imposer la common law, mais dans les décennies qui suivent. Ça implique un changement en droit progressif, et la venue de dirigeants, soit la venue de dirigeants anglais, soit les dirigeants anglais vont se greffer sur l’élite coloniale locale et vont jouer des rapports de force en fait qui pouvaient exister. Parce qu’en fait, au-delà ça, on fait une image New York la plus grande ville du monde, la ville de La Nouvelle-Amsterdam c’était pas beaucoup d’habitants en fait. C’est quelques familles qui se connaissaient toutes, et il y en a qui s’aiment et il y en a qui ne s’aiment pas. En fait, c’est une mentalité plus de village. Et donc ils vont jouer de ces rivalités locales pour pouvoir se greffer, sur cette nouvelle colonie. Donc, dans un premier temps, ça implique principalement ça, après, dans le long terme, ça va impliquer des dynamiques migratoires, la venue de gens des îles britanniques un petit peu plus, et puis un rapport différent, notamment parce que ça j’en ai pas encore parlé, mais il y a des esclaves à New York, et au début du XVIIIe siècle, les Anglais commencent à avoir le monopole de la traite des esclaves. Il y a beaucoup d’esclaves qui transitent par New York. Il y avait des esclaves dès la période néerlandaise, mais ça augmente cette présence, cette présence servile.
Fanny : Tu as étudié la colonie jusqu’en 1730, pourquoi cette date en particulier ?
Virginie : Alors cette date, parce qu’elle ne correspondait à rien. [rires]
Fanny : Comment ça ? Tu as choisi une date de fin qui ne correspond à rien ?
Virginie : C’est un peu ça. C’est-à-dire qu’en fait, quand j’ai commencé à travailler dessus, et je m’intéressais à la question des femmes au départ, on avait fait tout un foin de 1664, « waouh, retournement complet de situation, etc. » en tout cas moi c’est comme ça que je l’avais compris, mais je me disais en fait, une rupture diplomatique comme ça, est-ce que ça a vraiment du sens lorsqu’on s’intéresse à la formation d’une société nouvelle ? Est-ce qu’il ne vaut mieux pas plutôt travailler sur du long terme, et de voir que les ruptures diplomatiques elles infléchissent certaines tendances, mais en fait, les choses elles se transforment un peu dans un long temps. Donc en fait c’était ça mon idée de départ, donc je me suis dit je vais pas commencer par exemple en 1626 date de l’achat de Manhattan, je vais pas terminer en 1664 ou des trucs comme ça. En plus, beaucoup des travaux en cours que j’avais lu, ils étaient soit sur la période néerlandaise, soit sur la période anglaise, mais rarement les deux. Ils articulaient assez mal les deux périodes je trouvais, et me je disais « je vais prendre un siècle, arbitrairement ». Donc le début d’installation coloniale c’est autour des années 1630, en gros c’était ça. Si je dis mon titre complet, déjà que celui-là il est long à prononcer, ce serait c.1630-c.1730, et en réalité je vais même jusqu’en 1741 par moments, mais en gros c’est des dates floues délibérément pour essayer de m’inscrire dans une période de long terme, et de voir des changements sociaux sur le long terme en fait.
Fanny : Mais tu voulais pas faire deux siècles, trois siècles ?
Virginie : Alors non, en fait, l’un des impératifs aussi, 1730 pourquoi ? C’est parce que je me disais, ça fait un siècle, ça fait un compte rond, c’est déjà pas mal, je suis pas très psychorigide mais ça, ça me plaisait [rires], et l’autre raison, c’est que plus on s’avance dans le XVIIIe siècle, plus il y a une autre problématique qui arrive, et ça c’est un autre sujet. Il y a la problématique de l’indépendance. En fait, moi mon terminus final c’était d’aller vers l’inclusion de New York dans un empire anglais, un empire britannique même, donc c’était intéressant, on part d’une colonie néerlandaise qui est un peu atypique, parce que néerlandaise on va dire, dans ce monde colonial au XVIIe siècle, et on termine dans une colonie qui est pleinement incluse dans le monde colonial britannique, mais je ne voulais pas m’avancer vers les questions de contestation coloniale, et de la guerre d’indépendance, et des résistances, etc. parce que ça faisait un deuxième sujet de thèse, et qu’à un moment il faut circonscrire.
Fanny : Et est-ce que tu as continué à étudier de loin les Amérindiens sur place ? À travers tes recherches, tu en avais quand même un aperçu, tu les retrouvais en filigranes ?
Virginie : Ouais, en fait c’était un de mes enjeux. Beaucoup des travaux qui existent parlent soit des relations amérindiennes, soit des questions raciales liées aux esclaves, soit des populations « blanches ». Pour moi une société coloniale, c’est une société où il y a tout le monde qui se côtoie. Donc en fait j’ai essayé au maximum de restituer ça, d’autant plus que la présence amérindienne, elle n’est pas anecdotique du tout. Déjà parce qu’il y a ce commerce, et aussi parce que dans la colonie ils sont présents. En fait quand on regarde un petit peu les archives, on voit souvent en fait des femmes amérindiennes qui sont dans les villes pour faire du commerce, des gens qui interagissent avec les Amérindiens au quotidien, ils ne sont pas relégués. Et puis, il y a le fait que quand on s’intéresse par exemple à la période néerlandaise, il y a des guerres. Des guerres qui peuvent être très violentes…
Fanny : Entre qui et qui ?
Virginie : Entre les Amérindiens et les blancs. Clairement, parce qu’à un moment, ce que j’ai expliqué un petit peu rapidement sur Manhattan, c’est quelque chose qui reste présent, c’est que petit à petit, plus les Européens s’installent, plus ils foutent dehors les Amérindiens qui comprennent pas trop trop.
Fanny : Oui, ils bouleversent l’ordre qui était établi.
Virginie : Oui, et puis ils se disent, ils commencent à être gênant ces Européens, donc c’est la cause de beaucoup de rivalités et de guerre qui peuvent être franchement agressives. Des fois il y a des agressions qui sont même très mal perçues par des observateurs européens, notamment dans les années 1640 il y a un gouverneur qui s’appelle Willem Kieft qui lance une attaque, qui lance un raid contre des Amérindiens, et il y a un observateur néerlandais qui décrit ça mais en disant « il croyait faire preuve d’une espèce de bravoure romaine, et en fait c’est hyper lâche ce qu’ils ont fait, et c’est sale ». Ces guerres elles sont très critiquées, même par les Néerlandais. Il y a des relations qui sont très houleuses au sud de la colonie, donc autour de Manhattan, enfin la partie sud de la principale zone de peuplement. Dans le nord, on essaye encore une fois de maintenir des relations cordiales, parce qu’il y a la traite, mais les Amérindiens sont omniprésents en fait.
Fanny : Est-ce qu’ils sont considérés quand même comme des citoyens, ou comme des sujets de la couronne ou pas ?
Virginie : Non, ils sont… ils cohabitent en fait avec les Néerlandais, qui les voient comme une nation qui habite à côté. C’est très bizarre en fait comme façon de voir les Amérindiens, quelque chose qui est vrai sur la majeure partie de l’histoire des Amérindiens en Amérique du Nord à partir du moment où il y a des Européens qui s’installent, c’est des relations qui sont cordiales dans une partie, dans une autre partie qui sont moins cordiales. C’est considéré quand même comme une peuplade étrangère et potentiellement menaçante…
Fanny : Étrangère, alors qu’en fait c’est chez eux ?
Virginie : Voilà. Mais en plus menaçante, aussi dans les mythes fondateurs de New York ou dans les lieux communs de New York, il y a Wall Street, le mur. En fait, ce mur il a été bâti — parce qu’il y avait un mur à la place de Wall Street avant, comme son nom l’indique — dans ce contexte de guerres amérindiennes, parce qu’on craignait les rivalités avec les Européens qui se trouvaient au Nord, c’est-à-dire avec les Anglais, mais aussi avec les Amérindiens, donc on voulait protéger La Nouvelle-Amsterdam de ça.
Fanny : Pour faire toutes ces recherches, sur quelle documentation tu t’es appuyée pour ta thèse ?
Virginie : Je me suis appuyée sur des archives « publiques ». Je me suis appuyée sur les archives administratives, des gouverneurs successifs, sur les archives judiciaires, et sur des correspondances, etc. de gouverneurs principalement. Après, j’ai pu avoir recours à des archives privées, mais d’une part c’est plus difficile à trouver pour une période aussi lointaine, c’est très mal conservé, et d’autre part c’était pas mon angle d’approche. Je travaille sur les relations entre hommes et femmes, et moi l’idée c’était de voir comment c’était géré dans l’espace public.
Fanny : C’est pas l’espace privé qui t’intéressait ?
Virginie : Voilà. Donc, il y a quelques rares correspondances de femmes qui sont restées, qui ont déjà été étudiées, travaillées, etc., et quand on fait une thèse d’histoire, on essaye de proposer quelque chose d’un peu original. Donc je m’étais dit j’ai pas grand-chose peut-être à apporter, ou j’arrive pas à voir comment l’aborder. Les archives judiciaires, j’aimais bien parce que c’est des situations de conflit qui sont réglées devant des magistrats, mais quand on règle une situation de conflit, on doit expliquer le conflit au départ. Et donc ça permet de voir des relations sociales du quotidien, d’une manière générale. Et je trouvais que c’était la meilleure porte ouverte, on va devant les magistrats parce qu’on s’est fait insulter, notamment. On peut aller devant les magistrats parce qu’on a des dettes à régler. On y va beaucoup plus en fait que de nos jours, on y va pour régler des interactions du quotidien, tout le temps.
Fanny : Comme au Moyen-Âge en fait, quand je t’écoute ça me semble assez proche…
Virginie : Oui, oui. Le rapport aussi au notaire par exemple. Le notaire qui sert à peu près à tout, ça c’est une porte ouverte sur la vie quotidienne en fait. C’est vrai qu’on a encore cette utilisation, cette judiciarisation en fait de la vie publique qui permet de voir comment vivent les gens en fait, et comment ils se parlent au passage, parce qu’à La Nouvelle-Amsterdam, ils se parlaient très très mal ! J’avais fait une liste des insultes à La Nouvelle-Amsterdam, il y en a souvent [rires].
Fanny : Et donc les archives, elles étaient en néerlandais et en anglais ?
Virginie : Ouais.
Fanny : Et ça a pas été compliqué pour toi ?
Virginie : Alors, en fait les archives en néerlandais, elles sont disponibles, je les ai consultées, à New York.
Fanny : Tu es allée à New York ?
Virginie : Je suis allée à New York ! Elles sont disponibles à New York dans leur format original. Alors, évidemment, les archives judiciaires de 1653 on ne m’a pas donné le manuscrit original, on m’a dit « y a un microfilm là-bas, tu vas te débrouiller avec ça, parce qu’on sort pas ça, c’est trop précieux ». Mais bon, le microfilm permettait de voir des manuscrits écrits en néerlandais par des notaires qui n’ont pas tous la même écriture, c’était très drôle à faire.
Fanny : Avec des boucles et tout ça, tu as dû essayer de déchiffrer ça ?
Virginie : Et des abréviations, après un peu comme les manuscrits médiévaux qui sont un vrai bonheur, après faut aimer… [rires] Moi je trouvais ça rigolo la paléographie moderne. La paléographie c’est le fait de déchiffrer les manuscrits, c’est quelque chose que je trouvais drôle quand je faisais mes études, donc je trouve ça marrant à faire. Donc oui, je me suis appuyé sur ces archives-là. Il faut savoir qu’elles ont été traduites en anglais au XIXe siècle.
Fanny : Elles ont été bien traduites ?
Virginie : C’est tout le problème.
Fanny : Aha !
Virginie : C’est pour ça en fait, souvent je partais un petit peu de la traduction anglaise, mais ensuite j’allais revoir les manuscrits en néerlandais parce qu’en fait il y avait des relations morales déviantes et des insultes et des choses comme ça, ça arrivait que le traducteur se dise « oh, ce n’est pas correct » [rires] donc que ça ne soit pas complètement traduit ou que ça soit légèrement édulcoré. Donc ça nécessitait, notamment pour tout ce qui est injures, etc. d’aller revoir le texte de départ. J’ai vraiment eu à cœur d’essayer de travailler sur les archives en néerlandais, j’ai appris le néerlandais.
Fanny : Oui, c’est ça, tu le parlais pas à la base ?
Virginie : Non. Je le parle toujours pas, mais je le lis. [rires]
Fanny : Et il y a une différence entre le néerlandais de l’époque et celui d’aujourd’hui ?
Virginie : Il se rapproche plus de l’allemand. J’avais fait allemand au collège, donc ça allait, ça me donnait quand même malgré tout des bases. Ça a un petit effet « waouh, j’ai appris le néerlandais pour faire mes recherches » mais en fait… ce qui est intéressant dans une société coloniale aussi, ça c’est pour revenir sur le côté Passion Modernistes, c’est que qui sont les gens qui vont dans les colonies, c’est pas le haut du panier de la société, c’est les gens qui n’ont plus rien à perdre, donc c’est quand même assez stéréotypé. On retrouve un langage qui est assez ordinaire, assez simple, et ça facilite les choses en fait.
Fanny : On est loin des reines, des princesses…
Virginie : C’est ça, et des gens lettrés. C’est souvent des gens basiques et c’est des interactions très simples : « je lui ai vendu ma chèvre, il a mal payé, etc. », c’est de cet ordre. Après, ça permet de reconstituer la façon dont vivaient les gens, mais c’est pas de la littérature de haute volée.
Fanny : On n’a pas beaucoup de noblesse sur place…
Virginie : Non, pas vraiment…
[Intermède musical]
Fanny : Tu as commencé à le dire, tu es donc allée sur place pour tes archives…
Virginie : Oui.
Fanny : Raconte-nous un petit peu ça.
Virginie : En fait je suis allé deux ans aux États-Unis. Pour le faire j’ai utilisé des bourses de recherches. Une première bourse qui s’appelle la bourse Fulbright, qui m’a permis d’aller un an à l’université de New York, NYU. De là, en fait… déjà je suivais des séminaires d’histoire atlantique, puisque ça s’appelle de l’histoire atlantique le champ dans lequel je m’insère, et j’allais aux archives de New York. Il y a trois gros fonds, les archives municipales, les archives qui sont conservées dans la bibliothèque municipale de New York, la New York Public Library, celle avec les gros lions à l’entrée, comme on voit dans Ghostbusters. Ensuite, il y a la New York Historical Society, il y a d’autres historical societies un peu partout autour mais c’est la principale. En regroupant les trois, il y a quand même déjà pas mal d’archives, que celles-ci soient éditées ou non. C’est ça qui était assez frustrant, c’est qu’il y a aussi une partie des archives qui ont été numérisées pendant que je faisais ma thèse. Je me suis cassé la tête à aller les voir, et à la toute fin de ma thèse, quand je me suis dit « ah mince, j’ai oublié de voir ça », y en avait une partie qui était disponible et qu’ils avaient numérisée. Donc il y avait ça. Et ensuite la deuxième année, je me dis que j’avais pas fait assez, j’ai essayé d’obtenir une deuxième bourse pour faire des recherches. Et donc là cette fois-ci c’est U Penn, l’université de Pennsylvanie qui m’a donné une bourse qui me permettait de rester un semestre à U Penn, donc à Philadelphie, et un semestre à Albany, la capitale de l’État de New York.
Fanny : On sait pas très bien que c’est Albany d’ailleurs.
Virginie : On le sait pas très bien, parce que c’est vraiment une petite ville, c’est une capitale de province, c’est minus… Non, c’est pas minus mais c’est une mentalité un peu étriquée, c’est très drôle, parce que en fait quand on travaille sur les origines de New York, on croise un certain nombre de familles tout le temps, moi j’ai l’impression de les connaître maintenant certains, et quand on arrive à Albany, et qu’on prend un annuaire, on retrouve les mêmes familles, elles ont pas bougé en fait.
Fanny : Ah ouais…
Virginie : Ouais, c’est très très bizarre, et en fait là il y a une mentalité très locale, et fascinée par cette période néerlandaise dont ils pensent que c’est la vraie origine de l’Amérique. Ils le disent un peu en ces termes.
Fanny : Du coup, ils ont un petit peu raison, là, pour cette région-là.
Virginie : Pour cette région. En fait, ce qui est assez drôle, c’est que les archives de l’État de New York, elles sont aussi dans le musée de l’État de New York, et l’entrée du musée de l’État de New York c’est « le legs néerlandais à l’Amérique » et ils font une liste « les droits des femmes, la liberté religieuse, le père Noël » [rires]. Je plaisante pas ! Et j’étais là « d’accord, bon bah c’est très intéressant ». Il y a cette fascination-là pour la période néerlandaise. Ce qui fait qu’il y a beaucoup d’initiatives qui sont faites par la société civile aussi, mais aussi par des archivistes qui essayent de conserver ces archives, de les éditer, de les éditer en néerlandais, de restituer la langue, etc. Donc ça c’est très très chouette et ça m’a permis de travailler sur ces archives-là, avec un petit bémol, c’est qu’en 1911, il y a eu un incendie dans le capitole d’Albany…
Fanny : Ah non…
Virginie : … et il y a beaucoup d’archives qui ont brûlé. Certaines des traductions du XIXe siècle, c’est tout ce qui reste, pour certains fonds.
Fanny : Donc heureusement qu’elles ont été faites finalement !
Virginie : Voilà. Il y a des moments où on prend des précautions « c’est peut-être pas tout à fait exact » [NdT : parce que c’est une traduction non vérifiée] mais voilà.
Fanny : Et comment ça s’est passé ton travail sur place, par rapport aux archivistes locaux, comment tu as été perçue en tant que Française, et tout ça. Ça changeait pas grand-chose ?
Virginie : Ils trouvaient ça super chouette !
Fanny : Ah ouais ?
Virginie : « Ah, c’est bien, vous vous intéressez », ils trouvaient ça super. Dès qu’on s’intéresse à leur terrain… mais en plus « vous voulez dire la vérité, pas comme les historiens qui en général ne parlent que de la Nouvelle-Angleterre » je faisais « oui, oui, c’est ça ». [rires]
Fanny : Donc tu n’étais pas perçue comme une ennemie, qui veut piller l’histoire, je sais pas…
Virginie : Pas du tout parce qu’en fait, ils trouvent chouette qu’on essaye de donner la visibilité à cette colonie, qui est vraiment comme je le disais, un peu un angle mort. Ils trouvent ça super, et puis du moment qu’on essaye d’être un peu diplomate, parce qu’il y a aussi beaucoup de personnes très âgées, qui s’intéressent à ça, etc. Tous les ans, il y a une conférence annuelle qui s’appelle le Rensselaerswyck Seminar.
Fanny : À tes souhaits…
Virginie : Rensselaerswyck c’est la colonie de peuplement qui a bien marché, dont je parlais au tout début.
Fanny : D’accord.
Virginie : Donc il y a ce séminaire chaque année. En fait c’est un séminaire de recherche, mais la réalité c’est que c’est beaucoup des vieux qui viennent.
Fanny : C’est plutôt des érudits qui viennent.
Virginie : C’est ça. Des érudits qui viennent, qui s’intéressent et tout. Eux, du moment qu’on met en valeur cette colonie, qu’on essaye de faire des recherches dessus, ils trouvent ça super. J’avais parlé à ce séminaire une année, et ils trouvaient ça super. En plus, ils m’avaient remerciée, parce qu’en fait comme j’étais française, je faisais attention à chaque fois à leur dire « bon, j’espère que je parle assez lentement, que j’articule bien, etc. » et ils étaient là « oh merci », parce qu’en fait quand il y a des chercheurs qui viennent parler, souvent ils arrivent avec leur papier et le lisent à toute vitesse. Les gens, quand ils sont pas chercheurs professionnels, ils s’en foutent un peu de ça. Eux ils veulent qu’on leur raconte une histoire.
Fanny : Et qu’est-ce que tu as pu montrer sur les femmes et cette colonie dans tes travaux ?
Virginie : J’ai essayé plus généralement de parler des relations entre hommes et femmes, les relations sociales, etc. C’est pour ça que ma thèse je l’ai intitulé « Pouvoir, genre, et relation marchande » parce qu’en fait ce qui m’intéressait c’était de voir comment on s’est servi un peu des normes de genre et du rôle qu’on donnait aux hommes et femmes comme ça nous arrange. C’est-à-dire que quand on essaye de construire une société nouvelle on va, on va établir peut-être des règles qui sont un peu rigides. Ce qui est assez marrant, c’est que quand on regarde les archives de La Nouvelle-Amsterdam, les archives judiciaires, on a l’impression que c’est un bordel mais sans nom, tout le monde fait n’importe quoi, etc. Moi, mon objectif c’était de montrer soit c’est un bordel sans nom, soit en fait c’est des gens qui viennent saisir la justice en permanence pour rappeler qu’il y a des règles, et qu’ils tiennent à les respecter, et qu’ils sont attachés à ces règles. Et donc, il y a l’attachement à des normes qui se veulent très strictes, sur ce que peuvent faire les hommes, ce que peuvent faire les femmes, surtout sur ce que peuvent faire les femmes, et en parallèle, on est là pour faire du commerce donc s’il faut assouplir les choses, on va les assouplir. C’est un petit peu ça que je cherchais à montrer. C’est la façon dont on gère les rapports entre hommes et femmes en fonction de… est-ce qu’on veut construire un ordre colonial ou est-ce qu’on veut, au contraire, faire du commerce et c’est pas tout à fait les mêmes enjeux. Alors je le dis de manière à un peu un peu schématique comme ça, mais par exemple quand les Anglais prennent le contrôle de la colonie, et bien d’un coup, en fait dans les archives judiciaires, on voit beaucoup d’affaires pour adultère, prostitution, etc. qui n’apparaissait pas avant.
Fanny : Il y a un ordre moral nouveau avec les Anglais
Virginie : C’est ça. Les Anglais pour dire « c’est nous les patrons maintenant », ils mettent en place une sorte d’ordre moral effectivement pour rappeler que c’est eux qui vont encadrer cette population maintenant.
Fanny : Et au niveau de la religion, ça se passe comment ?
Virginie : Au niveau de la religion, pendant la période néerlandaise c’est l’Église réformée néerlandaise qui prévaut, qui est une église de type calviniste, mais ça n’empêche pas d’autres dénominations d’être présentes, notamment, il y a des luthériens, et petit à petit, il y a même des juifs qui viennent s’installer en Nouvelle-Néerlande, etc. mais la seule église qui est autorisée c’est l’Église réformée. Et ça le dernier directeur général, le gouverneur Stuyvesant, il y tient, il dit « c’est la seule qui sera autorisée ». C’est intéressant parce que en 1657 notamment, certains habitants de l’actuel Brooklyn, en fait de l’actuel Queens, font une remontrance vis-à-vis de la Compagnie des Indes, pour dire il faut autoriser d’autres églises, c’est pas possible de rester comme ça. Ça s’appelle la Remontrance de Flushing, et c’est important parce qu’en fait c’est un des moments qui est considéré comme un moment aux origines de la tolérance religieuse aux États-Unis. Dans les mythes fondateurs des États-Unis, [on] considère que ça, c’est un moment clé, ce moment [où] on dit « non mais faut autoriser les autres religions ». La particularité de la Nouvelle-Néerlande, c’est qu’il y a des populations qui viennent de tous les horizons géographiques, c’est pas du tout des Néerlandais qui peuplent la Nouvelle-Néerlande, les premiers colons d’ailleurs c’est des Wallons francophones et des gens qui viennent de l’Artois-Hainaut en fait, donc vraiment du nord de la France. Il y a des gens qui viennent de l’actuelle Allemagne, des gens qui viennent de l’actuelle Suède, etc. Il y a des gens qui viennent de partout mais qui donc ont autant de religions différentes. Pendant un temps on se contente de cette hiérarchie ecclésiastique qui vient de l’Église réformée, mais petit à petit il y a une demande, et en fait avec le changement de souveraineté, on autorise des nouvelles églises à pratiquer.
Fanny : Mais il y a l’église anglaise qui donc…
Virginie : Voilà, l’Église anglicane, et puis l’Église luthérienne aussi qui commence à avoir une présence, et les huguenots aussi ils ont leur propre église qui est séparée de l’Église réformée néerlandaise. Il y a plusieurs églises qui voient le jour comme ça.
Fanny : Qu’est-ce qui t’a le plus surpris dans ta thèse ? Tu nous as déjà dit plein de choses, mais est-ce qu’il y a quelque chose en particulier qui t’a marqué ?
Virginie : Alors, ce qui m’a le plus marqué, c’est la façon dont les femmes interagissaient au quotidien. Ma thèse, elle a dévié rapidement, des femmes vers le genre et les rapports entre hommes et femmes d’une manière générale, mais alors je trouvais génial de voir la façon comment les femmes pouvaient circuler dans l’espace public, interagir, être à la fois dans une situation de domination en droit, mais être présentes en fait. Il y a des grandes gueules qui étaient marrantes à lire en fait. Effectivement, on n’est pas dans une histoire avec des princes, des rois, des reines, etc. donc il n’y a pas de personnage vraiment très célèbre qui a émergé de cette période ni de cette colonie, mais en fait il y a des gens ordinaires qui étaient marrants. Il y a quelques histoires qui sont super drôles en fait. À un moment, il y a une aubergiste qui s’en prend au pasteur de la colonie, il n’y en a qu’un à l’époque, il est important, il compte. Elle accuse sa femme de montrer son cul à tout le monde, elle-même montre son cul à tout le monde [rires] et en fait le pasteur se dit « attends, mais elle croit quoi, elle ? ». Et en fait, il fait venir tous les notables de la colonie, pour qu’ils témoignent pour dire qu’elle [l’aubergiste] ce n’est pas une personne morale, et qu’elle devrait être bannie de la colonie, etc. On voit des gens comme ça qui passent leur temps à être très outranciers, ou à s’exprimer vraiment… c’est ça qui m’a le plus étonné. Et ça m’a étonné au niveau des archives, c’est de voir des moments… les archives on a toujours l’impression que ça va être des vieux papiers un peu qui prennent la poussière et de temps en temps il y a de la vie dedans, et ça c’est quelque chose que j’avais trouvé très chouette.
Fanny : Ta thèse a duré 10 ans, tu l’as fini en…
Virginie : Oui, on peut le dire… [rires] elle a duré 10 ans
Fanny : Et tu l’as fini en 2017, quel bilan personnel tu en tires aujourd’hui et pourquoi elle a duré aussi longtemps ?
Virginie : Pourquoi elle a duré aussi longtemps ? Ça va avec le bilan personnel, beaucoup d’épuisement. Honnêtement, la thèse, ç’a pas été un truc facile. Moi j’ai trouvé que c’était quelque chose d’assez difficile à mener. Je me suis sentie par moments très seule, alors qu’honnêtement, j’avais un cadre qui me permettait de ne pas l’être, mais il y a des moments où je me disais que c’était pas fait pour moi. Je suis partie dans un sujet qui était assez simple, où je me suis rendu compte qu’il était trop simple. « Est-ce que les femmes ont perdu des prérogatives ? » la question était vite réglée « non, c’est plus compliqué que ça, point ». Après, je me suis dit, il faudrait qu’il y ait un sujet plus fourni, plus fouillé à proposer, et là c’était devenu carrément dantesque et je ne savais pas par où prendre le truc, et ça m’a un peu bloqué par moments. Par ailleurs, quand on fait une thèse sur un terrain étranger, ça rajoute des années parce que faire les archives à l’étranger, ça peut prendre du temps. Donc moi j’ai fait deux ans à l’étranger donc on peut rajouter ça. J’ai eu beaucoup de mal à cadrer mon sujet. Je me suis dit à partir du moment où je l’aurais bien cadré, que j’aurais les archives, j’aurais aucun mal à rédiger parce que j’aime bien écrire et je le fais facilement, mais [c’est] ce qui a été le plus long en fait, d’arriver à la rédaction. J’ai pas mal bloqué dessus, et ce qui n’a pas aidé, c’est que quand on est doctorant, en général on a un métier à côté. Souvent pour les doctorants, ce qui est le plus simple, c’est d’avoir des fonctions d’enseignement-recherche à l’université, donc attaché temporaire d’enseignement et de recherche. Moi, ça je l’ai fait pendant 4 ans. Mais une fois que c’est fini, j’ai un concours d’enseignement, donc il faut que j’aille dans le secondaire. Et, être prof en collège et rédiger une thèse le soir, j’ai eu beaucoup de mal à mener ça de front. Honnêtement, j’ai eu une ou deux années qui ont été plutôt des années blanches, et j’étais pas loin d’abandonner ma thèse en fait.
Fanny : Et qu’est-ce qui t’a aidé à tenir ?
Virginie : C’est horrible, je me suis fait larguer.
Fanny : Comment ça ?
Virginie : je me suis fait larguer par mon copain, je savais pas comment m’occuper un été et j’ai fini ma thèse comme ça.
Fanny : Ah bon, la thèse peut être un… ?
Virginie : … un exutoire, vraiment. J’avais encore pas mal de choses à faire, et je pense qu’en un mois je me suis mise à bosser comme une forcenée, ça a débloqué des choses, et ça m’a permis de me remettre dedans, et d’envoyer tous mes chapitres à mon directeur à ce moment-là, donc il a mis quelque temps à les lire, mais il m’a dit « non c’est bon, on a on a le truc, on a la base, faut reprendre l’introduction, faut me faire une conclusion qui tienne la route, mais c’est bon, on tient le bon bout ». C’est con à dire, mais c’est aussi bête que ça, à un moment il y a ça qui s’est produit qui a fait « ok on arrête les conneries, là je suis en train de stagner complètement sur cette thèse ». En fait, ce qui est chiant quand on est en thèse, c’est que « ah cool, je suis en vacances, je vais pouvoir reprendre mon manuscrit ». C’et un peu plombant en fait, à chaque fois, et là je me suis dit « là, je le finis une bonne fois pour toutes. » Et les vacances de Toussaint qui ont suivi cet été-là, c’était les meilleures de ma vie : « qu’est-ce que tu vas faire pendant des vacances ? » « rien et regarder la télé », et ça c’était génial. Non c’est vrai que le fait d’avoir toujours ça dans un coin de la tête, j’ai trouvé ça assez éprouvant. La partie un peu difficile de la thèse, c’est qu’on n’en est jamais complètement débarrassé tant qu’on l’a pas vraiment bouclée, donc ça c’était dur.
Fanny : Et depuis que tu as fini ta thèse, qu’est-ce que tu fais ? Tu travailles toujours dans l’enseignement ?
Virginie : Quand j’ai fini ma thèse, j’étais donc prof en collège. Je me rappelle quand j’ai annoncé à mes élèves que j’allais soutenir, il y en a un qui m’a dit « oh, vous en faites pas, c’est pas non plus l’oral du bac » [rires] alors comment te dire… voilà, c’était mignon, j’étais « ouais, merci Romain, c’est sympa ». J’ai trouvé ça chou. J’ai soutenu, j’ai continué d’enseigner comme si de rien était, et puis je m’étais dit « j’ai vraiment pas aimé la thèse, plus jamais je remets les pieds là-dedans, j’en ai fini de la recherche, etc. ». Et par une sorte de syndrome de Stockholm, et aussi parce que bon, aussi l’enseignement dans le secondaire c’est sympa, mais quand y a des problèmes sociaux de type une collègue qui s’est fait casser la figure par des parents d’élèves, je me suis dit « ouais, je pourrais regarder ailleurs ». J’ai présenté ma candidature à un poste de maître de conférences, ce que j’ai obtenu, donc voilà.
Fanny : Bravo.
Virginie : Je suis plutôt contente, je vais bientôt passer de jeune docteure à maîtresse de conférence.
Fanny : D’ailleurs c’est quoi maître de conférences ?
Virginie : C’est enseignant-chercheur à l’université, donc ça veut dire qu’on prolonge un petit peu les recherches liées à la thèse. Dans un premier temps, ce que je vais devoir faire c’est ce qu’on appelle « valoriser » ma recherche, c’est-à-dire publier ma thèse, essayer de faire connaître mon travail un peu partout, et ensuite il faut proposer des axes de recherche qui soit dans le prolongement aussi, proposer des nouveaux sujets de recherche. Alors voilà, moi j’ai des idées de prolongement de ma recherche, notamment autour des questions de changement de souveraineté, sur des choses comme ça. Éventuellement proposer un deuxième livre, puisqu’on part du principe que la thèse c’est le premier livre, un deuxième livre qui soit dans le prolongement de la thèse, et qui pourrait même faire l’objet d’une deuxième thèse pour être « habilitée à diriger des recherches ».
Fanny : Oh… une deuxième thèse ! Tu serais prête à retomber là-dedans ?
Virginie : Je suis pas sûre pour l’instant. J’y vais, mais j’ai peur.
Fanny : Et donc tu seras à l’université de Nantes ?
Virginie : C’est ça, à l’université de Nantes, au sein du centre de recherche en histoire internationale atlantique. Curieusement, l’université de Nantes est pas mal spécialisée en histoire coloniale, c’était le grand port de traite [ton ironique et rires], c’est logique.
Fanny : Pour finir ce podcast Virginie, j’ai ma petite question rituelle. Quel conseil tu donnerais à quelqu’un qui voudrait travailler sur les colonies américaines ?
Virginie : Déjà, de trouver la bonne structure pour préparer sa thèse. Moi j’étais au centre d’études nord-américaines de l’EHSS, et c’était vraiment super parce que c’est pas un énorme laboratoire, qui est inclus dans un très gros laboratoire qui s’appelle « mondes américains ». Ce qui était chouette, c’est qu’il y avait une vraie entraide entre les doctorants. Je pense que c’est important, que ce soit pour travailler en fait, ça c’est pas spécifique aux colonies américaines, mais d’une manière générale pour se lancer dans une thèse c’est bien de pas le faire tout seul en fait. Parce que c’est un travail qui est très solitaire, qui peut l’être, et il y a moyen de trouver des parades à ça, et de travailler avec des gens. D’avoir par exemple un séminaire de doctorants qui fonctionne bien, ça y est on se retrouve une fois toutes les deux semaines pour discuter de la recherche d’un d’entre nous, mais aussi tous ensemble, de dire qu’elles sont nos problèmes, etc. C’est important d’avoir ça. Pour travailler sur les colonies américaines, sauf si on travaille sur la Nouvelle France, mais soyez prêts à parler et à lire d’autres langues, c’est important. Alors moi dans mon cas c’était plutôt l’anglais qu’il fallait parler, et le néerlandais ensuite. Il faut sinon pas hésiter à naviguer entre plusieurs langues, parce que souvent, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, c’est pas des territoires qui sont cloisonnés, c’est des territoires qui sont connectés entre eux, qui circulent tout le temps, donc on peut avoir des archives dans n’importe quelle langue en fait. Y a même des archives en français pour ma colonie en fait, parce que les huguenots ils sont français. Donc il faut pas hésiter à parler plusieurs langues et quelque chose qui est bien, c’est quand même d’aller faire une partie de ses recherches et de sa scolarité aux États-Unis, ça c’est super. En plus c’est super cool, voilà !
Fanny : Maintenant chers auditeurs et auditrices, vous en savez beaucoup plus sur la Nouvelle-Néerlande et les origines de la ville de New York. Merci beaucoup Virginie Adane.
Virginie : Merci.
Fanny : Je signale qu’on peut t’entendre aussi dans le podcast MDR qui parle des comédies françaises, et aussi dans un podcast qui parle des comédies musicales françaises et je vais te laisser dire le titre de ce podcast
Virginie : Alors il s’agit du podcast « Les rois du monde est stone, je cherche le soleil au milieu de la nuit, à la saint-symphonie, au requiem j’avoue je me dis tous les hommes, nous ne sommes que des sans-papiers, des hommes et des femmes sans respect ni foi ni loi, je veux vivre à en mourir, autant vivre à en crever s’il faut mourir avant d’avoir aimé, c’est ce qu’il y a de plus beau, aimer, c’est tellement fort l’amour, tellement possible aussi ».
Fanny : Bravo !
Virginie : Voilà. Je l’ai pas dit en une seule traite, mais voilà.
Fanny : Je vous conseille d’aller écouter, c’est vraiment hyper sympa, vraiment c’est très très drôle de vous écouter parler comédies musicales françaises.
Virginie : Le dernier il est sur l’histoire moderne en plus, donc c’est bien, c’est 1789 Les amants de la Bastille.
Fanny : Pour le reste, vous pouvez retrouver Passion Modernistes sur le site passionmedievistes.fr, où vous pourrez découvrir aussi plein d’autres podcasts sur l’histoire, notamment sur le Moyen-Âge il paraît, et à bientôt pour un prochain épisode. Salut !
Virginie : Salut !
Merci énormément à Marion et Bobu pour la retranscription !
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
7/31/2019 • 48 minutes, 52 seconds
Épisode 6 – Camille et la noblesse au XVIIème siècle
Qu’est-ce que la noblesse au XVIIème siècle ? Comment se pense-t-elle, comment s’écrit-elle ?
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baac0c005').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baac0c005.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Camille Pollet
Camille Pollet vient de finir sa thèse sur le sujet « Définir la noblesse. Écriture et publication des traités nobiliaires en Angleterre, en France et en Espagne au XVIIe siècle ». A la fois à l’université de Nantes et au Grihl à l’EHESS, il était sous la direction de Yann Lignereux et de Dinah Ribard. Un traité nobiliaire est un livre savant sur le thème de la noblesse, et Camille confie être un des premiers à utiliser ce terme pour différencier des traités sur la noblesse ou des manuels de courtoisie et de cour.
Beaucoup de gens au XVIIème siècle ne lisent pas, mais pour ceux qui le peuvent ces traités permettent d’apprendre l’histoire de la noblesse, de transmettre des valeurs et des traditions. « Ces livres ont une fonction sociale indépendamment de leur lecture« , comme on peut le voir dans le tableau de Jan van Belcamp (voir ci-dessous), « le livre devient un symbole de noblesse« .
Le contexte politique et intellectuel au XVIIème siècle
Le XVIIème siècle est une époque foisonnante du point de vue intellectuel et de l’écrit, avec des personnalités comme Gallilé, Spinoza, Corneille, Molière, ou encore Cervantes en Espagne. En France est fondée l’Académie française à l’initiative de Richelieu en 1635, et le développement de l’écriture est directement lié à l’affirmation de l’État et de la monarchie absolue. En Angleterre, au niveau politique, deux guerres civiles qui opposent les Stuart au Parlement et à la noblesse. Et en Espagne, le pays connaît une période de déclin, notamment avec la perte du Portugal et de nombreuses révoltes. Ce déclin s’incarne dans la personnalité de Charles II, qui meurt sans héritier, conduisant à la guerre de succession d’Espagne. Dans ces trois pays, la monarchie façonne la noblesse et donne des titres et des droits à la noblesse, avec le Bill of Rights en Angleterre par exemple en 1689, et l’édit de la Paulette en France en 1604.
La notion de noblesse au XVIIème siècle
Camille Pollet a travaillé sur plus de 160 traités nobiliaires, rédigés entre 1590 et 1715 par des auteurs qui écrivent en français, anglais et espagnol. Et parmi eux on retrouve deux femmes, une anglaise et une espagnole, alors que la pratique de l’écrit par les femmes est mal vue par les moralistes de l’époque.
VAN BELCAMP Jan, Le Grand Portrait, 1646, la famille d’Anne, baronne de Clifford
Au XVIIème siècle la notion de noblesse est débattue, que ce soit en France, en Angleterre ou en Espagne, il n’y a pas de consensus. Néanmoins plusieurs critères reviennent, comme celui de l’ancienneté, la naissance, les qualités morales…
Détail important, un livre publié et imprimé et que l’on peut étudier aujourd’hui est passé par la censure qui s’exerçait alors dans les trois monarchies. Ce sont donc des textes autorisés qui ont du se conformer à la religion et aux principes de l’Église, encore très puissante au XVIIème siècle. En Espagne les procédures de censure peuvent être particulièrement lourdes.
Si vous voulez en savoir plus sur le sujet voici quelques lectures que vous conseille Camille :
BOURQUIN Laurent, La Noblesse dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Belin, 2011.
BOUZA Fernando, Hétérographies. Formes de l’écrit au siècle d’Or espagnol, trad. Jean-Marie Saint-Lu, Madrid, Casa de Velázquez, 2010.
CHARTIER, Roger, La Main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur, Paris, Gallimard, 2015.
DEDIEU Jean-Pierre, L’Espagne de 1492 à 1808, Paris, Belin, 2005.
DESCIMON Robert, « Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la France moderne. La noblesse, “essence” ou rapport social ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine. Les noblesses à l’époque moderne, n°46-1, janvier-mars 1999, Paris, p. 5-21 (disponible en ligne)
DESCIMON Robert, HADDAD Élie (dir.), Épreuves de noblesse. Les expériences nobiliaires de la haute robe parisienne (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Les Belles Lettres, 2010.
GRIHL, Écriture et Action. XVIIe-XIXe siècle, une enquête collective, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2016.
JETTOT Stéphane, RUGGIU François-Joseph, L’Angleterre à l’époque moderne. Des Tudors aux derniers Stuarts, Paris, Armand Colin, 2017.
JOUHAUD Christian, Les Pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000.
RIBARD, Dinah, « Travail intellectuel et violence politique : théoriser la noblesse en France à la fin du XVIIe siècle », in AZOULAY Vincent, BOUCHERON, Patrick (dir.), Le mot qui tue. Une histoire des violences intellectuelles de l’Antiquité à nos jours, Seyssel, Champ Vallon, 2009, p. 353-368.
SCHALK Ellery, L’Épée et le Sang. Une histoire du concept de noblesse (vers 1500 – vers 1650), trad. Christiane Travers, Seyssel, Champ Vallon, 1996.
VIALA Alain, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Éditions de Minuit, 1985.
Dans cet épisode vous pouvez entendre quelques extraits des œuvres suivantes :
Jean-Baptiste Lully – Les Folies d’Espagne
Henry Purcell – Anthems & Hymns
Ray Ventura – Tout va très bien Madame la Marquise
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
7/5/2019 • 39 minutes, 22 seconds
Épisode 5 – Noémie et les mariages à la cour de Louis XIV
Épisode 4 – Antoine et Caen pendant les guerres de religion
Dans ce quatrième épisode Antoine vous parle de la ville de Caen au milieu du XVIème siècle, lors des guerres de religion.
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baac14360').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baac14360.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Pendant longtemps l’historiographie a considéré qu’il n’y avait pas eu d’épisode « protestant » à Caen. Pourtant dans ces recherches Antoine Dauvin a démontré qu’il y a bien eu un courant de pensée différent du catholicisme traditionnel dans la deuxième ville de Normandie.
Antoine Dauvin
L’histoire de Caen réétudiée
En sixième année de thèse au moment de l’enregistrement de l’épisode, Antoine raconte son travail sur « Les gouverneurs de Caen, la Ville et le Roi durant les guerres de Religion (1562-1598) ». Les registres protestants de cette ville sont étonnamment bien conservés et laissent entendre que les élites civiles de Caen (municipalité, juges, baillis …) sont majoritairement acquis à la Réforme à partir des années 1540. Le gouverneur de Caen lui, parce qu’il est choisi par le roi, est toujours catholique et souvent intransigeant. Immanquablement, un rapport de force s’établit entre les gouverneurs et le corps de ville de Caen. Aux nombreuses querelles liées à l’application des ordres royaux s’ajoute un climat de méfiance et d’hypocrisie entre les deux administrations.
L’histoire d’un Béarnais nommé à Caen
Antoine raconte dans l’épisode la montée des tensions dans la France et à Caen, les épisodes iconoclastes des années 1562-1563 et surtout par la reprise en main autoritaire de la ville à partir de l’édit d’Amboise. Il met en évidence des éléments qui contredisent l’image d’une ville et d’une population apaisées et spectatrice des violences extérieures, en insistant sur la persécution systématique des élites civiles caennaises sous Charles IX (1563-1574). Il travaille beaucoup sur la personnalité ardente du gouverneur de l’époque, Raymond de Laguo, plutôt méconnu jusqu’alors. Un important tournant concerne l’explosion de la Saint-Barthélemy parisienne (24 août 1572), dont les répercussions à Caen sont plus importantes qu’on ne le pense généralement…
Un doctorant guide
En parallèle de sa thèse, Antoine est médiateur culturel et guide-conférencier à l’Abbaye-aux-Dames à Caen. Il fait découvrir l’ancien monastère et église abbatiale, fondé par la reine Mathilde au Moyen Âge.
Si vous voulez en savoir plus sur le sujet voici les conseils bibliographiques d’Antoine :
« Le vray pourtraict de la ville de Caen », dans Belleforest François, La Cosmographie universelle de tout le monde, Paris, Nicolas Chesneau, 1575.
Sur les guerres de Religion:
Leroux Nicolas, Les guerres de Religion 1559-1629, Paris, Belin, 2011. (Une des meilleures références sur le sujet, clairement exposé et bien illustré)
Carpi Olivia, Les guerres de Religion (1559-1598): un conflit franco-français, Paris, Ellipses, 2012. (Un bon ouvrage pour une présentation globale et fluide du conflit et de ses principaux enjeux)
Jouanna Arlette, La Saint-Barthélemy (24 août 1572), les mystères d’un crime d’Etat, folio Histoire, Paris, Gallimard, 2017 (rééd.). (Une enquête passionnante et érudite sur cet événement majeur du conflit, dont les conclusions sont surprenantes mais convaincantes).
Jouanna Arlette, Boucher Jacqueline, Biloghi Dominique, Le Thiec Guy, Histoire et Dictionnaire des guerres de Religion 1559-1598, Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1998. (un outil indispensable pour quiconque veut maîtriser le vocabulaire spécifique et les réalités liés au sujet).
Sur la ville de Caen durant les guerres de Religion:
Jusqu’alors, peu d’étude française ont été consacrée au sujet, et la période se voit souvent traitée (trop) sommairement, dans des ouvrages plus généraux, de qualité inégale. On citera toutefois :
Lamet Maryelise Suffern, Reformation, War and Society in Caen. 1558-1610, thèse dactylographiée, University of Massachussets, 1978. (Thèse ancienne mais qui contient encore des éléments précieux sur l’église réformée de Caen et ses plus illustres membres).
Carel Pierre, Histoire de la ville de Caen sous Charles IX, Henri III et Henri IV, Caen, Massif, 1887. (Ouvrage à utiliser pour acquérir une connaissance événementielle de la période, et découvrir ses principaux protagonistes, une méfiance est toutefois conseillée quant à la manière qu’a l’auteur de résumer certains épisodes, avec de nombreux partis pris).
Et par l’invité du podcast :
Dauvin Antoine, « Raymond de Laguo, capitaine béarnais et gouverneur de Caen pendant les guerres de religion (1563-1578) », Revue de Pau et du Béarn, Pau, janvier 2016, p. 17-51 (résumé)
Les extraits diffusés dans l’épisode :
Johann Sebastian Bach. Das neugeborne Kindelein, BWV 122
Téléfilm « Saint Germain ou la Négociation » avec Jean Rochefort
Kaamelott, Livre II – L’absolution
Michel Polnareff – On ira tous au paradis
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
4/27/2019 • 43 minutes, 40 seconds
Épisode 3 – Johana et les sages-femmes en Alsace
Dans ce troisième épisode Johana vous parle de la professionnalisation des sages-femmes en Alsace au XVIIIe siècle.
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baac197bf').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baac197bf.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Johana Figliuzzi
Johana Figliuzzi termine en 2019 son master 2 Sciences et société à l’université de Strasbourg. Elle travaille pour son mémoire sur la professionnalisation des sages-femmes en Alsace au XVIIIème siècle, sous la direction d’Isabelle Laboulais.
Avec ses recherches elle veut montrer comment la transformation de l’activité de sage-femme, qui passe d’un service rendu à la communauté à une profession surveillée, s’accompagne d’un contrôle social de la part de l’État, de l’Église et des médecins.
Elle a choisi l’Alsace pour la proximité des sources et parce que la ville de Strasbourg est la première à ouvrir une école de sages-femmes en France après l’Hôtel-Dieu de Paris. De plus, les sages-femmes y sont nombreuses au XVIIIe siècle en raison de la présence de familles catholiques et protestantes.
La formation des sage-femmes
Son mémoire aborde plusieurs points : tout d’abord la construction d’un discours sur les sages-femmes pour justifier la nécessité de les surveiller et de les former. Ensuite, la formation et le recrutement comme moyen de contrôle. Enfin, l’activité concrète des sages-femmes dans la communauté, de leur rôle médical, social et religieux, mais aussi des conflits entre les sages-femmes. Johana cherche à critiquer l’idée selon laquelle la formation des sages-femmes au XVIIIe siècle est le résultat d’une « modernisation » de la médecine et des pratiques, qui s’impose nécessairement face à l’ignorance des sages-femmes des campagnes en particulier.
Dans cet épisode vous apprendrez notamment que c’est lorsque les hommes médecins ont commencé à accoucher des femmes au XVIIIème siècle que les femmes ont alors accouchées allongées.
Pour aller plus loin sur le sujet Johana vous conseille la bibliographie suivante :
Transcription de l’épisode 3 (cliquez pour dérouler)
(Générique)
Fanny : Bonjour à toutes et à tous. Bienvenue dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes. Dans ce podcast, nous vous proposons de rencontrer de jeunes chercheurs et chercheuses, en master ou en thèse, qui étudient l’histoire moderne. Et pour rappel, l’histoire moderne est une période qui s’est un peu glissée entre le Moyen-âge et l’époque contemporaine, c’est-à-dire en gros pour l’Europe occidentale entre 1500 et 1800. Épisode 3, Johana et les sages-femmes en Alsace, c’est parti !
Fanny : Bonjour Johana Figliuzzi.
Johana : Bonjour.
Fanny : Tu viens de Strasbourg aujourd’hui, où tu termines un Master 2 en Sciences et société à l’université et tu travailles sur la professionnalisation des sages-femmes en Alsace au XVIIIème siècle, sous la direction d’Isabelle Laboulais. Ton sujet est vraiment PASSIONNANT. Je suis très contente de te recevoir. Sur twitter, quand j’ai annoncé le sujet, j’ai eu beaucoup, beaucoup de questions, je remercie encore beaucoup les auditeurs, j’espère qu’on va bien pouvoir y répondre aujourd’hui.
Alors déjà Johana, première question vraiment toute simple, comment est-ce que tu as choisi ton sujet de mémoire ?
Johana : il y a plusieurs lectures qui m’ont menée vers ce sujet. La première, c’est Sorcière sage-femmes et infirmières, d’Ehrenreich Barbara et English Deirdre, qui sont deux militantes féministes et qui écrivent sur les femmes soignantes et comment elles sont criminalisées à l’époque moderne et contemporaine. Ça m’a beaucoup plu, c’était un livre historique mais surtout très militant. Mais en tout cas, cela m’a intéressée à l’histoire du genre, d’une part, et au fait qu’il y avait des questions autour de l’histoire du genre dans la médecine.
J’avais lu La colonisation du savoir, de Samir Boumedienne, qui est un livre vraiment génial. Il explique l’histoire de la colonisation des Indes, donc des Amériques du XVI au XVIIIe siècle, à travers l’histoire des plantes médicinales. Il explique comment les colons se sont appropriés les savoirs médicaux et comment, en même temps qu’ils ont supprimé leurs savoirs, ils se le sont approprié en les reformulant en leur terme. Donc, ils ont réussi à asseoir leur pouvoir de cette manière là. Ça m’a vraiment montré que l’histoire de la médecine n’est pas une histoire du progrès et où les gens étaient tout le temps malades et c’était la galère et là, les médecins les ont tous sauvés. C’est beaucoup plus complexe que ça. Tout cela m’a vraiment mené vers un mélange d’histoire du genre et d’histoire de la médecine.
Et aussi, en L3, j’ai fait un mémoire d’initiation à la recherche à Strasbourg, toujours en licence humanité, donc qui mêle lettre, langue, philo et histoire. Là, c’était un mélange d’histoire et de philo. Je parlais de la question du travail manuel dans la noblesse, donc là c’était le cas avec la marquise de la Tour du Pin, qui est une noble qui a dû émigrer en Amérique suite à la révolution française. Elle a dû se mettre à travailler une fois arrivée en Amérique, à faire du travail dans les champs, par exemple. Et j’ai montré toute la question du travail, de la discipline, ce genre de choses. En résumé, je me suis intéressée à l’histoire du genre, l’histoire de la médecine, l’histoire du travail et j’ai trouvé que les sages-femmes regroupaient toutes ces problématiques. Et après, j’en ai parlé avec Isabelle Laboulais, ma directrice de recherche, et on a un peu plus précisé le sujet.
Fanny : Qu’est-ce que tu as voulu montrer dans ton mémoire ?
Johana : En fait, je montrais comment au XVIIIème siècle en Alsace, l’activité d’accoucheuse, l’activité de sage-femme devient une profession à part entière. Comment cela a évolué dans ce sens-là. J’ai dit “profession” mais c’est plutôt un métier parce que la différence entre une profession et un métier dans la sociologie du travail est que quand on crée une profession, les personnes qui exercent cette profession sont autonomes. C’est eux qui choisissent le recrutement, qui choisissent l’enseignement, ce genre de chose. Alors que là, pour les sages-femmes c’est quelque chose d’extérieur, donc c’est un métier.
Fanny : On ne peut pas décider seule de devenir sage-femme ?
Johana : Si, on peut décider seule de devenir sage-femme mais la manière légitime de le devenir, ça ne va pas être quand c’est une sage-femme qui apprend le métier à une autre sage-femme. Ca va être dans les écoles de sage-femme. Je veux montrer comment ce passage d’un service rendu à la communauté à une profession est un moyen de contrôle des sages-femmes et un moyen de délimitation de leur activité. Tout au long du siècle, les sages-femmes ont énormément de pouvoir, une place très importante dans leur communauté : elles ont un rôle médical, judiciaire, religieux qui est très important et avec l’apparition de la profession de sage-femme, avec l’obligation d’avoir un diplôme pour exercer par exemple, cette activité va vraiment se réduire aux gestes médicaux.
Je montre que c’est un moyen pour les médecins de contrôler les accouchements, mais comme ils ne peuvent pas remplacer toutes les sages-femmes, ce qu’ils vont faire, c’est qu’ils vont passer par les sages-femmes pour exercer leur pouvoir. Les sages-femmes vont donc devenir un intermédiaire entre les médecins et les femmes, entre l’état et les femmes aussi (on le verra avec les règlements). Elles vont avoir un rôle d’assistante au final. Et je veux montrer comment cette profession, c’est pas un signe de progrès, c’est pas un signe non plus qu’elles gagnent en autonomie ou en légitimité. C’est le contraire, elles perdent en autonomie.
Fanny : C’est bien, tu viens de présenter le menu de cet épisode. (rires) On va juste dire que tu travailles sur le XVIIIè siècle en Alsace. Pourquoi tu as choisi l’Alsace comme terrain d’étude ?
Johana : Déjà, c’est à cause de la proximité des sources parce que j’étudie à l’université de Strasbourg, donc j’ai accès aux archives départementales, aux archives municipales. Et aussi, c’est parce que, à Strasbourg, il y a la première école d’accouchement d’Europe. Bien sûr, il y a l’Hôtel-Dieu de Paris à partir du XVIIè siècle où on forme les sages-femmes. Mais, comme c’est un lieu où ne sont acceptées que les sages-femmes, il n’y a aucun homme qui a le droit d’y aller, ce n’est pas reconnu comme une école légitime parce qu’il n’y a pas de médecin. Voilà, il y a la première école de sages-femmes d’Europe qui est ouverte en 1728 à l’Hôpital des Bourgeois de Strasbourg, qui est ouverte par Jean Jacques Fried, le premier accoucheur de la ville qui lui s’est formé à l’Hôtel-Dieu de Paris.
Il y a aussi 1779, l’école d’accouchement pour les sages-femmes de campagne qui est ouverte par l’intendante de la galaizière. Il y a deux écoles d’accouchement à Strasbourg, ce qui est énorme. L’école d’accouchement de l’Hôpital des Bourgeois est très réputée. C’est une école d’accouchement pour les sages-femmes mais elle est aussi ouverte aux médecins et aux chirurgiens. Il y a des médecins et des chirurgiens qui viennent d’Allemagne, qui viennent du Nord de l’Europe, qui vont aller se former là-bas.
Et aussi, en Alsace, il y a des catholiques et des protestants, il y a énormément de sages-femmes parce que souvent, les sages-femmes catholiques vont faire accoucher des femmes catholiques, les sages-femmes protestantes font accoucher les femmes protestantes, parce que les sages-femmes catholiques ont le droit de baptiser les nouveaux-nés. Mais il va y avoir des lois pour que les sages-femmes protestantes soient obligées d’ondoyer, c’est-à-dire de baptiser. L’ondoiement est le baptême domestique.
Et aussi, il y a également des spécificités en Alsace liées à l’accouchement : déjà au niveau de la technique, il y a des chaises d’accouchement qui sont utilisées, ce qu’il n’y a pas dans le reste de la France, où la position allongée va commencer à s’imposer au XVIIIè siècle parce que, justement, les médecins commencent à s’intéresser aux accouchements, donc ils vont préférer la position allongée. En Alsace, on a la chaise d’accouchement. C’est une chaise avec un siège creux où on peut s’asseoir au bord. Il y a des poignées, il y a des marches, des étriers pour mettre les pieds. Déjà, il y a cette spécificité. Et l’autre, c’est que les sages-femmes sont élues par les femmes du village. Ça, c’est en Alsace et en Lorraine. Tout ça fait que l’Alsace est une région hyper intéressante pour étudier les sages-femmes.
Après, je dis l’Alsace mais j’étudie surtout le Bas-Rhin parce que j’ai accès aux archives départementales. Dans le Haut-Rhin, l’école d’accouchement apparaît assez tardivement. Aussi, les sages-femmes du Haut-Rhin sont parfois envoyées à l’école de sages-femmes de Strasbourg, donc j’étudie surtout le Bas-Rhin.
Fanny : Commençons par le début. Comment devenait-on sage-femme aux XVIIIè siècle en Alsace ?
Johana : Il y a ces deux écoles qui vont former une minorité de sages-femmes. L’Hôpital des Bourgeois (celui qui est fondé en 1728), il est réservé aux femmes bourgeoises, donc qui ont le droit de bourgeoisie, qui habitent en ville ou dans le bailliage qui dépend de la ville. Ça va former une très petite minorité de sages-femmes qui vont être des sortes de sages-femmes d’élites parce qu’elles vont devoir faire accoucher les femmes de la ville. Donc, on attend d’elles qu’elles aient une expertise beaucoup plus poussée. Aussi, l’école est ouverte aux chirurgiens et aux médecins, donc c’est un enseignement qui est très spécialisé, qui va s’appuyer déjà sur la théorie, où Fried va lire des traités d’accouchement et il va les critiquer, les comparer avec son expérience.
L’école d’accouchement de Fried est connue parce qu’elle utilise des cas cliniques. C’est-à-dire qu’on va directement au chevet des femmes accouchées pour les examiner, pour voir les cas pratiques. Et tout ça, je pense qu’il l’a appris à l’Hôtel-Dieu auprès des sages-femmes parce qu’elles font en grande partie par la tradition orale, par la pratique, par le toucher. Fried donne une très grande importance à ça alors que les autres médecins accoucheurs et les chirurgiens d’époque vont appuyer sur l’outil.
Donc, il y a cette école de sages-femmes, on va dire un peu d’élite. Après, il y a l’école ouverte en 1779 pour les sages-femmes de campagne. Donc là, chaque village va envoyer soit sa sage-femme soit une femme qui veut se former au métier de sage-femme ou qui ne veut pas. Je pourrais parler d’une sage-femme, Marie-Sapience Caquelin, qui est choisie par les femmes du village et qui dans son carnet dit que c’est la castastrophe, elle a trop peur d’aller en ville, d’aller se former, mais c’est un devoir donc elle doit aller le remplir. Il y a cette école de sages-femmes qui, elle, s’appuie [non pas] sur la théorie et la pratique mais sur des mannequins d’accouchements, des sortes de poupées en tissu qui reproduisent l’anatomie féminine. Il y a aussi des mannequins qui reproduisent des fétus à tel ou tel mois, des nouveaux-nés, des bébés mal formés, des jumeaux.
Il y a une sage-femme qui est très connue pour les mannequins d’accouchement, c’est Marie Angélique du Coudray, qui fait le tour de France pour apprendre le métier de sage-femme aux sages-femmes des campagnes. Par contre, elle ne passe pas en Alsace (donc j’en parle pas trop dans mon mémoire) parce qu’il y a déjà l’école de sages-femmes qui est très réputée et ensuite parce qu’il y a la barrière de la langue. La plupart des sages-femmes parlent allemand.
Fanny : Mais alors que l’Alsace est censée être française à cette époque-là ?
Johana : Oui. L’Alsace est française à cette époque-là mais il y a toujours un bilinguisme dans les sources. Souvent, dans la campagne, on parle plus allemand. Donc il y a ces deux écoles de sages-femmes, mais qui vont former une minorité de sages-femmes.
La plupart des sages-femmes vont fonctionner par compagnonnage. C’est-à-dire qu’elles vont se former auprès d’une sage-femme jurée. C’est une sage-femme qui a prêté serment auprès d’un curé, qui a promis de soigner, de soutenir les femmes du village quel que soit leur milieu ou leur état et aussi, elle jure d’avoir un bon comportement et de bonnes moeurs. À partir de ça, elles sont reconnues, elles peuvent faire les baptêmes, dont j’ai parlé avant, les ondoiements. Ça leur donne un statut vraiment important. Donc elles se forment auprès de sages-femmes jurées ou ou de sages-femmes réputées, ou de la sage-femme de leur village, mais aussi auprès de leurs mères, si elles sont sages-femmes. Mais la transmission la plus courante encore au XVIIIe siècle, c’est le compagnonnage. Mais on voit qu’au cours du siècle, ça devient obligatoire de passer par les écoles d’accouchement, parce que le diplôme devient obligatoire.
Fanny : Est-ce que leur travail se résumait seulement aux accouchements ou est-ce qu’il était plus général ? Peut-être est-ce qu’elles accompagnaient les femmes enceintes ? Est-ce qu’elles donnaient des conseils avant l’accouchement ?
Johana : L’activité de sage-femme regroupe déjà beaucoup de choses : déjà, il y a un aspect médical où on va faire des soins gynécologiques. Les sages-femmes vont aussi devoir faire des soins courants comme par exemple, à la fin du XVIIIè siècle, on a l’exemple d’une sage-femme qui pose les ampoules. C’est des sortes de ventouses en verre qui servent à soigner à l’époque et ça, c’est un soin courant qui n’a rien à voir avec les femmes enceintes. Elles font aussi de la gymnastique prénatale au huitième mois pour aider les femmes à se préparer à l’accouchement, donc elles aident à accoucher les femmes évidemment. Elles s’occupent des soins du nouveau-né, des soins de la femme qui vient d’accoucher. Donc, ça c’est toute la partie médicale.
Après, il y a la partie religieuse, le soin à cette époque-là ne se résume pas à un geste médical. C’est avec la professionnalisation et l’arrivée des médecins que ça va se limiter juste au geste médical. On va montrer comme dangereux tout ce qui entoure l’accompagnement des femmes et l’aide aux femmes enceintes. Par exemple, les sages-femmes vont réciter des psaumes. Il y a aussi des rites religieux qui accompagnent l’accouchement. Par exemple, chez les catholiques, il y a des médaillons et des images qu’on va mettre près du lit. Pour rassurer la femme enceinte, on a des médaillons de Saint Anne et de Sainte Odile. Chez les juives, on utilise des amullettes et des psaumes, pareil, pour accompagner la femme enceinte et aussi pour éloigner Lilith, la première femme d’Adam et qu’on soupçonnerait de vouloir piquer le nouveau-né. Elles ont déjà ce rôle religieux-là. Et aussi, comme je l’ai dit, elles font l’ondoiement, le baptême domestique. Souvent, c’est en cas de danger, si la vie du nouveau-né est en danger. Elles vont faire un baptême d’urgence pour pas qu’il reste dans les limbes, entre le paradis et l’enfer.
Fanny : Mais il y a quand même un vrai baptême ensuite qui est fait par le curé ou ça suffit, celui-là ?
Johana : En principe, il y a un vrai baptême qui est fait par le curé, mais on voit dans les sources que les curés se plaignent parce que les gens se contentent de l’ondoiement. Ça leur suffit et du coup, ils ne vont plus à l’église baptiser leur enfant. Ils disent « Bon ça suffit maintenant, vous venez à l’église, vous venez baptiser votre enfant ».
Ça, c’est la partie religieuse, et il y a aussi une partie judiciaire qui est très importante et, au XVIIIè siècle, qui perd en importance parce que ce sont les médecins qui vont se réapproprier cette facette du métier. Déjà, elles dénoncent “les fausses couches” pour dire si c’est un avortement ou si c’est une cause naturelle.
Fanny : Là, on a du contrôle du corps des femmes par les femmes elles-mêmes, par les sage-femmes.
Johana : C’est ça. Je veux montrer que ce contrôle c’est parce que les sages-femmes deviennent l’intermédiaire entre l’État et les femmes, et c’est aussi comme ça qu’elles se font respecter. C’est quand elles exercent un contrôle sur les autres femmes, on les voit comme des sages-femmes légitimes, des sages-femmes de confiance alors que quand elles restent dans les réseaux de solidarités entre femmes, elles vont être montrées comme dangereuses.
Fanny : Montrées par qui ?
Johana : Par l’administration déjà, par les préfets, par les intendants et aussi par les médecins. Ils vont souvent dire que la pratique des sages-femmes est mauvaise, qu’elles mettent en danger les femmes. Mais en réalité, on voit dans les sources que la communauté fait vraiment confiance à leurs sages-femmes. On voit qu’elles ont une réelle expertise mais les médecins vont dénoncer les sages-femmes des campagnes parce que c’est elles qui sont les plus éloignées des lieux de pouvoir, donc c’est elles qu’on peut le moins surveiller. Pour ce côté judiciaire, elles déclarent les morts en couche, elles vont aussi vérifier le corps des femmes qui ont été victimes de viol pour les procès. Elles vont vérifier si elles ont été blessées. Cette inspection du corps pour les procès, cela va être les chirurgiens qui vont la faire plutôt au XVIIIè siècle. Ils vont commencer à le faire surtout dans les villes.
Fanny : Est-ce qu’il y a des lieux où les sages-femmes accouchent les femmes ou est-ce qu’elles vont directement chez les patientes ?
Johana : L’accouchement se fait à domicile. C’est la sage-femme qui se déplace. Elle se déplace souvent avec sa chaise d’accouchement. Dans les villages, il y a toute une procession qui est faite avec quelqu’un qui porte la chaise d’accouchement.
Fanny : Quand quelqu’un accouche c’est pas discret, tout le monde est au courant. (Rires)
Johana : Déjà, à domicile dans les villages, dans les salles d’accouchement, il y a la moitié des femmes du village, ce n’est pas quelque chose qui se fait seule. Mais tout au long du XVIIIe siècle, on essaie de réduire ça au juste minimum médical. Il y aura de moins en moins de monde dans la salle d’accouchement et il y aura de plus en plus souvent des médecins. Donc, ça se fait à domicile. En ville aussi, ça se fait souvent à domicile. L’accouchement à l’hôpital existe aussi mais il n’est pas du tout aussi courant qu’aujourd’hui, c’est plutôt pour les femmes pauvres.
Fanny : Tu as commencé un petit peu à le dire mais les sages-femmes que tu étudiais, elles accouchent les femmes de leur classe sociale? Il y a vraiment une distinction ?
Johana : Pas nécessairement. On va plus former les sages-femmes des villes parce qu’on attend d’elles qu’elles accouchent parfois des personnages importants. Par exemple, on a la sage-femme Marie Elisabeth Kautz qui est l’accoucheuse attitrée de la famille Dietrich. Le Baron Frédéric-Philippe de Dietrich, qui était maire entre 1790 et 1792, maire de Strasbourg, donc c’est la famille du maire de Strasbourg, donc une famille très haut placée. On va plus former les sages-femmes des villes parce qu’on attend qu’elles accouchent des femmes importantes.
Les femmes ne vont pas forcément les payer pour l’accouchement, c’est en fonction de leurs revenus mais elles ont une exemption de corvée. Les sages-femmes reçoivent une petite rémunération de la part soit de la communauté soit de la ville sous forme d’argent, de fagots de bois. Par exemple, les sages-femmes des villes ne vont pas chercher qu’à aider les femmes nobles ou les femmes bourgeoises à accoucher parce que la rémunération ne les intéresse pas, parce qu’elles ont déjà une rémunération fixe.
Elles vont faire accoucher tout le monde et c’est dans leur serment aussi : elles doivent promettre de venir en aide à toutes les femmes quel que soit leur milieu, quel que soit leur état. Elles vont aussi aider à accoucher les femmes pauvres et les femmes étrangères à condition toujours qu’elles les surveillent. Par exemple, les femmes étrangères, si elles les font accoucher, il faut qu’elles les dénoncent auprès des autorités pour dire : « voilà cette femme n’a pas le droit d’être dans cette ville ». Pareil pour les femmes pauvres ou les femmes célibataires, il faut qu’elles dénoncent les accouchements dits illégitimes, qui ne viennent pas d’une femme mariée.
Fanny : Est-ce qu’à cette époque, l’accouchement reste dangereux pour la mère et l’enfant ? Parce qu’à la même époque, vraiment, on a vu le cas de la reine d’Angleterre Anne Stuart, qu’on voit récemment dans le film la Favorite, qui a eu 18 enfants, dont aucun n’est arrivé à l’âge adulte (moi ça me crève le cœur cette histoire). Est-ce que le cas d’Anne Stuart est vraiment à part et est-ce qu’on a des chiffres de la mortalité infantile en Alsace à cette époque-là ?
Johana : Son cas est vraiment à part. C’est courant qu’un enfant meurt en couche, mais 18 enfants, c’est quand même un grand nombre. L’accouchement reste dangereux à cette époque. C’est pour ça que les sages-femmes ont un rôle religieux aussi important, parce que c’est une étape très importante de la vie où on est entre la vie et la mort. Il peut y avoir une naissance, en même temps il peut y avoir une mort. Il peut y avoir plusieurs morts, la mère et l’enfant. Donc l’accouchement est craint, c’est un moment où les femmes ont très peur de ce qui va se passer. C’est ça qui donne toute l’autorité aux sages-femmes aussi. C’est aux premiers mois que les enfants sont les plus fragiles. Après, il y a quand même une baisse de la mortalité infantile au XVIIIè siècle grâce aux progrès qui ont été faits, notamment pour les conditions d’hygiène.
***Extrait de Reign, Saison 4, Épisode 15***
Fanny : Tu nous as parlé tout à l’heure de carnets de sage-femme, donc on a des témoignages directs de ces femmes ?
Johana : C’est assez rare. Là, j’ai parlé du carnet de Marie-Sapience Caquelin, qui commence à être sage-femme en 1784 au Ban de la Roche dans le nord de l’Alsace. Elle a fait un carnet où elle raconte rapidement comment elle a été choisie pour être sage-femme du village. Donc les femmes ont voté pour elle. Elle était terrifiée d’aller en ville (elle raconte ça, c’est super touchant de lire ça). En fait, ce carnet est plutôt un outil de travail, ça lui sert à détailler les naissances, les naissances d’enfants illégitimes. Elle parle rapidement du cours d’accouchement, mais très peu. En fait, il n’y a pas de détail de sa pratique parce qu’encore à l’époque, l’activité de sage-femme se passe avant tout par l’oral et par la pratique.Tout ce qui est écrit, cela va plutôt être les médecins.
Bien sûr, il y a des traités de sages-femmes qui ont été faits, il y a aussi le journal de la sage-femme Marie-Elisabeth Kautz, mais c’est plus un journal religieux. Elle parle très très peu de ça. Les sources sont très souvent indirectes, on parle beaucoup des sages-femmes, on les entend très peu parler. Quand on les entend, c’est dans le cadre de procès, par exemple, où elles vont dire quand elles ont inspecté tel corps. On comprend leur rôle par bribes, il n’y a pas de mémoire spécifique de sage-femme.
Après, il y a des livres écrits, qui le sont par des sages-femmes, des traités sur les accouchements, mais qui sont écrits par des sages-femmes bourgeoises qui rendent compte de la tradition orale des sages-femmes mais qui surtout veulent se faire reconnaître des autres médecins. Elles vont plutôt faire appel à la tradition antique, à la tradition de la médecine antique pour s’imposer, pour montrer leur légitimité dans le milieu médical. Je pense, par exemple, au traité de Justina Sigmund, qui est une sage-femme allemande qui va écrire un traité d’accouchement qui est très important où elle va faire elle-même des illustrations, elle va montrer des techniques pour retourner l’enfant dans le ventre quand il est mal placé. Enfin, vraiment un traité très avancé. Mais quand ces techniques viennent de la tradition orale des sages-femmes, elle va dire que c’est son savoir à elle alors qu’on devine aisément que c’est quelque chose qui se fait couramment grâce aux autres sources, et elle va beaucoup utiliser des ouvrages des anciens.
Fanny : Est-ce qu’on sait combien il y avait de sages-femmes à cette époque-là ? Ou c’est pas possible de le savoir ? Ne serait-ce qu’à travers les écoles, on a peut-être des chiffres à travers les écoles ?
Johana : Il y a plusieurs façons de savoir le nombre de sages-femmes. Déjà, il y a une enquête de 1786, où on va recenser toutes les sages-femmes de tous les villages, de tous les cantons. Et donc là, il y a le nom de la sage-femme chez qui elle a appris l’art des accouchements etc. Dans ces dossiers où il y a des registres des sages-femmes, il y a aussi des lettres de plaintes où les administrateurs disent : « il n’y a pas tout le monde qui s’est présenté, il y a untel qui n’a pas voulu me dire qui était la sage-femme du village ». Donc on voit aussi leur importance, parce que parfois, quand il y a des sages-femmes qui n’ont pas de diplôme, qui n’ont pas passé l’examen mais qui sont connues par les gens du village, elles ne vont pas être dénoncées par le curé, par exemple. Il y a des manières de savoir, il y a aussi les registres qui disent toutes les femmes qui sont passées par l’école d’accouchement, mais bien sûr ça se recoupe avec les registres des sages-femmes.
J’ai pas les chiffres sur moi, je les ai pas notés, mais il y a au moins une sage-femme par village, ce qui est très rare parce que dans toutes les autres régions de France, il n’y a pas de sages-femmes dans tous les villages. La densité est beaucoup plus faible. Enfin, il y en a plus d’une centaine en Alsace, il y en a énormément.
Fanny : Est-ce qu’il y a un profil-type des sages-femmes au XVIIIe siècle ? Par leur âge ou par leur origine ?
Johana : Non, il y en a pas. C’est très varié. Au XVIIIe siècle, il y a une concurrence entre le modèle communautaire de soin et le modèle imposé par l’État. Dans le modèle communautaire de soin, la sage-femme qu’on va choisir est plutôt une femme mariée qui a déjà eu des enfants, qui a de l’expérience, qui est parfois âgée, qui est veuve et qu’on connait bien. Ça, c’est le profil-type de la sage-femme dans les villages qu’on va élire.
Mais avec l’apparition de la professionnalisation des sages-femmes, les médecins, ce qu’ils préfèrent, c’est des femmes jeunes qui ont des enfants ou pas, mais qui ont la vingtaine, la trentaine et qui n’ont pas beaucoup d’expérience dans l’art des accouchements, pour qu’elles puissent entièrement être formées par les médecins. Ces 2 modèles sont en concurrence au cours du XVIII siècle. Le plus courant, ce sont quand même des femmes qui ont la trentaine, la quarantaine, qui ont des enfants. Disons que leur point commun le plus important est qu’elles sont mariées et qu’elles ont des enfants. On va préférer choisir des femmes mariées parce qu’on va penser qu’elles ont des bonnes mœurs.
Fanny : D’ailleurs, il n’y a que des femmes qui sont sages-femmes à cette époque-là ?
Johana : Oui, il y a surtout des femmes qui sont sages-femmes. Au XVIIIe siècle, il apparaît les médecins accoucheurs et les chirurgiens aussi. Surtout les chirurgiens qui vont intervenir dans des situations complexes. Par exemple, s’il faut une césarienne ou si la vie de la femme est en danger. Donc ils vont intervenir à des moments qui sont très délicats, qui nécessitent l’utilisation d’outils parce que les sages-femmes, depuis 1728 en Alsace, elles n’ont pas le droit d’utiliser des outils. Ils vont avoir une vision catastrophiste de l’accouchement, c’est aussi pour ça qu’ils critiquent beaucoup les sages-femmes puisqu’ils les voient que dans des situations qui sont très complexes, ils ne voient pas trop les accouchements au quotidien.
Tout au long du XVIIIè siècle, les hommes vont s’imposer dans les salles d’accouchement. Ça reste quand même assez tabou tout au long du siècle, mais ça se normalise peu à peu. Disons que les médecins ne vont plus intervenir qu’en cas d’urgence, mais ils vont de plus en plus intervenir, par exemple, auprès des femmes nobles. Je pense, à la fin du XVIIè siècle, sous Louis XIV, il y a Madame de la Valière qui va être accouchée par un médecin accoucheur et c’est elle qui va lancer cette mode. Donc voilà, ça se normalise de plus en plus. La norme reste quand même des femmes qui accouchent d’autres femmes, des sages-femmes qui accouchent des femmes, mais ça ne va plus être aussi tabou qu’il y ait des hommes en salle d’accouchement et c’est un signe d’un certain prestige aussi.
Fanny : Tu l’as évoqué, tu travailles sur plein de sources différentes. Est-ce que tu peux un peu justement nous résumer toutes ces sources et avec quelle méthode tu travailles dessus ?
Johana : Je vais aux archives municipales et départementales. Il faut savoir qu’en histoire du genre, c’est compliqué parce qu’il n’y a pas une catégorie de sources précise qu’on va éplucher en entier. Il faut trouver des indices par ci, par là. Ça ressemble vachement à une enquête. Ça m’a beaucoup passionnée parce que j’ai l’impression de faire une enquête quand je travaille sur les sages-femmes, quand j’étais aux archives. Il faut que je trouve des traces de sages-femmes un peu partout. J’ai les dossiers de la police médicale, les registres de sages-femmes, les archives du conseil municipal aussi, où ils prennent des décisions sur les écoles d’accouchement. J’ai les procès évidemment, les correspondances. J’ai des enquêtes sur les sages-femmes, les registres de baptêmes. Enfin voilà. Il y a des indices un petit peu partout.
J’utilise plusieurs méthodes ; déjà, l’histoire des savoirs, où je m’appuie beaucoup sur ce qu’a fait Samir Boumediene pour aborder l’histoire du savoir médical, non pas sous l’angle du progrès, mais sous l’angle des rapports de pouvoir. J’utilise aussi beaucoup l’histoire sociale et la sociologie pour voir l’émergence de la profession et aussi pour voir les questions de classe au sein des sages-femmes, parce que le discours sur les sages-femmes des villes n’est pas du tout le même que sur les sages-femmes des campagnes. Elles sont beaucoup plus respectées dans les villes. C’est les sages-femmes des campagnes qui sont dangereuses vu qu’elles sont éloignées des lieux de pouvoir.
J’utilise aussi l’histoire du genre. Ce qui a été fait beaucoup dans l’histoire des sages-femmes, c’est qu’on a pris au 1er degré le discours sur les sages-femmes où on dit qu’elles sont dangereuses, et ma théorie est que, bien sûr, les accouchements sont dangereux à l’époque. Il y a beaucoup de mortalité, les sages-femmes ne connaissent pas forcément toutes les techniques d’hygiène mais elles sont très respectées par leur communauté. Souvent, les accouchements se passent bien.
En fait, tous ce discours sur les sages-femmes, il faut l’analyser, il faut le comparer avec d’autres discours sur les sages-femmes qui sont vraiment au niveau local, où on va parler de la sage-femme du village, parce que tous ces discours qui vont critiquer les sages-femmes, c’est souvent une volonté de justifier les projets d’éducation des sages-femmes de la part des médecins qui veulent opérer la paramédicalisation de l’activité de sage-femme. C’est une manière de dire « voilà elles sont dangereuses, il y a beaucoup de mortalité, elles ne font pas appel aux médecins quand il y a besoin de faire une césarienne, elles font n’importe quoi. Du coup, je suis là, je vais les éduquer, je vais contrôler ce qu’elles font. » Donc ils se présentent un peu comme des sauveurs, comme la solution mais c’est pour justifier leur travail et aussi pour avoir, par exemple, des financements pour une école d’accouchement.
Il y a l’historienne Nathalie Sage-Pranchère qui a écrit L’école des sages-femmes qui, elle, étudie aussi la professionnalisation des sages-femmes à l’échelle nationale. Et elle explique que tous les discours sur les sages-femmes prennent la forme de presque formulaire parce qu’ils se ressemblent tous. Il y a beaucoup de répétitions et on voit que c’est quelque chose qui devient un espèce de tic de langage des médecins aux administrateurs où on va toujours dire « voilà, les sages-femmes c’est pas bien, c’est dangereux » pour après introduire tous les projets d’éducation des sages-femmes.
Fanny: Est ce que tu as pu t’intéresser en parallèle aux pratiques des sages-femmes dans d’autres régions de France ou en Europe pour comparer un petit peu ?
Johana: Grâce à l’ouvrage de Nathalie Sage-Pranchère, j’ai pu voir comment ça se passe à l’échelle nationale. Il y a ce même processus de professionnalisation des sages-femmes d’une part et aussi d’homogénéisation donc on va faire des lois à l’échelle nationale.
Mon mémoire s’arrête le 18 Ventôse de l’an 11, en gros en mars 1803, parce que c’est à cette date qu’est rendue obligatoire l’obtention d’un diplôme pour exercer le métier de sage-femme. Il y a ce mouvement d’homogénéisation des lois sur les sages-femmes, parce qu’avant ça, c’est chaque région, chaque village qui a son règlement sur les sages-femmes et là, avec la révolution française, il y a cette centralisation, déjà, qui se met en place, [la] centralisation du pouvoir, et on veut vraiment que les coutumes et les lois soient les mêmes partout dans le territoire parce qu’on commence à construire une nation française, un état.
Le sujet, il a l’air spécifique. Je parle des sages-femmes mais en réalité, le rôle des sages-femmes et comment il évolue, ça reflète aussi comment s’impose l’État dans la vie quotidienne des sujets, des habitants, des citoyens plus tard parce que la sage-femme n’est plus seulement la membre de la communauté, le personnage important d’une communauté mais c’est vraiment l’intermédiaire entre les femmes et l’État. Elles vont perdre en autonomie et en autorité dans leur village pour retirer l’autonomie des autres femmes en appliquant très strictement les lois qui sont promulguées par l’État.
Il y a toujours une méfiance. C’est assez ambivalent chez les sages-femmes parce qu’il y a toujours cette méfiance, on les voit comme dangereuses mais on a besoin d’elles pour contrôler les autres femmes, pour contrôler les mœurs, pour réguler les naissances, qu’elles ne soient pas illégitimes. J’ai pu comparer aussi avec l’Allemagne. Là, on a aussi tout ce processus de paramédicalisation de la part des médecins parce qu’en Allemagne, il y a plusieurs écoles d’accouchement qui vont être fondées sur le modèle de l’école de Strasbourg, donc l’école de Fried. Donc là, il y a plus ce côté appropriation du savoir médical par les médecins qui va se développer en Allemagne. La question de la centralisation, c’est un contexte différent dans ce pays.
***Extrait du documentaire « Un jour à Cologne en 1629 » (Arte)***
Fanny : Johana, tu es donc en 2ème année de Master, quels sont les problèmes que tu as pu rencontrer pendant ces deux années de préparation de mémoire ?
Johana : Au début, j’ai eu beaucoup de mal à trouver les sources parce que je ne voyais pas ce qu’il y avait spécifiquement sur les sages-femmes et je ne savais pas qu’il fallait piocher des indices par-ci par-là. Donc ça, c’est la méthode d’histoire du genre souvent. Aussi il y a beaucoup de sources qui sont en allemand, donc c’est pas un gros problème. Le plus gros problème, c’est que c’est écrit en “deutsche schrift”, une écriture manuscrite allemande qui ne ressemble pas trop à l’alphabet latin et qui est très dure à apprendre. Donc, j’ai demandé de l’aide pour la traduction et souvent, quand j’en vois des comme ça, j’abandonne, en fait.
Du coup, ça me prive d’énormément de sources, c’est très frustrant mais il y a beaucoup de livres d’histoire d’Alsace [qui] traduisent ces sources-là, c’est super utile. Voilà, je suis privée de pas mal de sources car c’est vraiment, vraiment très dur à déchiffrer et si c’était une thèse, je me serai donnée la peine mais là, disons que si l’intitulé est vraiment hyper intéressant, je vais me pencher dessus, je vais déchiffrer, je vais demander de l’aide, mais si c’est une source dont j’ai 3 exemples différents en français je ne vais pas l’utiliser.
À la base, j’étais un peu partie sur une fausse piste. Je pensais trop que les sages-femmes étaient entièrement criminalisées, ce qui n’est pas vrai du tout. Elles ont un statut très important, comme je l’ai dit. J’essayais de trouver des indices dans quelles mesures elles sont considérées comme des sorcières, par exemple. C’est très rarement le cas pour des sages-femmes en Alsace. Et j’étais aussi partie sur la piste de l’histoire des savoirs, donc comment le savoir des sages-femmes est différent de celui des médecins. C’est hyper compliqué parce que le savoir des sages-femmes est oral et pratique, donc j’ai pas vraiment de quoi comparer. C’est pour ça que je me suis plus penchée sur la professionnalisation.
L’autre difficulté est que c’est assez dur de se mettre à la rédaction.
Fanny : D’avoir le nez plongé dans les archives à plonger sur son écran d’ordinateur.
Johana : Oui, on veut parler de tout en même temps et il y a tellement de choses à dire, il faut sélectionner. Enfin, c’est assez dur mais c’est passionnant parce qu’on met vraiment en forme la pensée et on sent qu’on avance mais c’est un peu dur de se mettre à la rédaction. Mais j’ai trouvé une méthode et une fois qu’on s’y met, c’est bien.
Fanny : C’est quoi ta méthode ?
Johana : Alors ma méthode : déjà j’aime bien être claire, carrée. Déjà, j’ai mon plan qui est prêt avant toute rédaction, bien sûr, avec une problématique et je me demande dans chaque partie ce que je veux dire. C’est quoi ma problématique ? Après, pour chaque sous-partie, par exemple “1.a”, je vais faire un plan de cette sous-partie, je vais dire plus ou moins « voilà je vais parler ça, ça et ça » et après, pour chaque partie, je vais voir toutes les sources que j’ai là-dessus et je pars de ces sources pour commencer à écrire, parce que je pense que mon défaut, si je ne fais pas ça, c’est que j’interprète trop. Je vais un peu trop loin parce que j’ai envie de dire beaucoup de choses et parfois je fais peut-être un peu trop parler les sources. Du coup, je veux vraiment partir des sources, partir du concret, pas interpréter n’importe comment, et après je complète avec la bibliographie pour mettre des éléments que je n’ai pas, pour expliquer des notions, pour développer sur le sujet.
Mais je fais un premier brouillon, je cite des sources, je dis « voilà il se passe ça, ça et ça. » Je mets mes idées, sans citer la bibliographie, et après je me relis, je développe parce que parfois je vais un peu trop vite, j’explique vraiment ce que je veux dire, comment je suis arrivée à cette conclusion. Je cite les ouvrages qui m’ont aidée à arriver à cette conclusion. Ça se fait en 2 temps, j’ai d’abord cette première étape d’écriture qui est un peu plus créative, où il y a les idées qui viennent, je commence à interpréter et après, vraiment sérieux, carré, je dis de quel auteur je sais ça. Je me justifie, j’écris bien, pour que ce soit accessible à tout le monde.
Parce que j’essaie vraiment d’écrire un mémoire qui puisse être lu, même par des gens qui ne sont pas spécialisés en histoire, parce que je trouve ça vraiment important, déjà en histoire du genre, de faire connaître un peu les travaux, et surtout que ce ne soit pas quelque chose de fermé, d’élitiste où c’est que les spécialistes qui peuvent le lire. Parce que je veux vraiment faire une histoire populaire des sages-femmes, je ne veux pas que parler des sages-femmes qui ont fait des trucs incroyables. Je ne m’arrête pas aux sages-femmes bourgeoises, je veux parler aussi des sages-femmes des campagnes, donc ça n’aurait pas de sens d’écrire un mémoire qui ne soit pas accessible à tout le monde, qui ne puisse pas être lu par tout le monde. Quand on écrit pour que ça soit accessible, ça pousse vraiment à justifier tout ce que l’on dit et à ne pas partir dans des interprétations qui ne s’appuient pas sur des faits. Je veux vraiment faire un mémoire qui soit clair et compréhensible par tout le monde, pour tout le monde. Et aussi, ça m’aide parce que je le fais relire par mes amis pour qu’ils m’aident à le corriger, donc j’ai envie qu’ils comprennent ce qu’ils lisent.
Fanny : Johana, est-ce que tu as commencé à réfléchir à ce que tu veux faire une fois que tu auras rendu ton mémoire, donc dans quelques mois à l’heure où on enregistre ce podcast ?
Johana : Oui, la recherche m’intéresse beaucoup mais je ne veux pas en faire mon métier. Je veux juste être bibliothécaire. Donc je vais faire un apprentissage pour être bibliothécaire et passer les concours. J’ai trouvé ça important de faire de la recherche parce que comme l’a dit Jacky Fleming, une autrice de BD dans sa BD Le Problème avec les femmes, elle a dit « les femmes se sortent les unes des autres de la poubelle de l’histoire depuis plusieurs milliers d’années maintenant, » et moi, je voulais faire un mémoire pour sortir les sages-femmes de la poubelle de l’histoire mais je ne vais pas faire plus de recherche que ça.
Fanny : Pour finir Johana, est-ce que tu aurais un conseil à donner aux personnes qui voudraient étudier l’histoire des femmes à l’époque moderne ?
Johana : Ce qui est très important dans les sources, quand on voit des discours qui sont faits sur les femmes, pas par les femmes, c’est de ne pas les prendre au premier degré. Il faut toujours analyser pourquoi la personne dit ça. Bon ça, c’est comme pour toutes les sources, mais c’est d’autant plus important qu’il ne faut pas se dire « si untel dit que telle ou telle femme » ou « telle ou telle catégorie de femme est dangereuse, » il faut se demander pourquoi elle dit ça.
Il faut chercher un peu partout dans les archives, même s’il y a des archives qui ne vont pas parler directement du sujet, qui ne vont pas parler directement des femmes. Il faut apprendre un peu à fouiller, à mener l’enquête un peu partout. Il faut aussi essayer de ne pas avoir trop d’a priori. Il ne faut pas partir, comme par exemple j’avais fait au début, du principe que les sages-femmes à l’époque moderne ne peuvent rien faire, qu’elles n’ont pas d’autonomie. Il faut chercher aussi ce que font concrètement les femmes, il faut essayer de trouver des traces de leur activité concrète et pas seulement le discours sur ce qu’elles font. C’est pour ça aussi qu’il faut fouiller un peu partout. Je parle beaucoup des procès parce que c’est souvent à ce moment-là que les femmes témoignent et donc, on peut voir à travers tout leur discours sur le procès ce qu’elles disent de ce qu’elles font elles-mêmes.
Ce qu’elle fait beaucoup, ma directrice de mémoire, c’est qu’elle me mène vers des ouvrages qui n’ont aucun rapport avec mon sujet mais qui appuient sur des aspects spécifiques. Je trouve que c’est toujours important de savoir comment ça se passe à l’époque, comment les gens vivent, comment se font les autres métiers, si tu fais l’histoire d’un métier, et ne pas rester bloquée que dans son sujet. Aussi, ça je l’ai beaucoup appris parce que j’étais en licence humanité, mais il ne faut pas s’arrêter qu’à des ouvrages d’histoire aussi. C’est important de voir tout ce qui est de la sociologie, la philosophie, rien que pour apprendre à interpréter les sources et pour voir de quelle pensée découle telle ou telle action d’un personnage historique. Il ne faut pas rester bloquée que sur l’histoire. C’est important.
Fanny : Maintenant, chers auditeurs, vous en savez un petit peu plus sur qui étaient et comment travaillaient les sages-femmes en Alsace au XVIIIè siècle. Donc merci beaucoup Johana.
Johana : Merci à toi.
Fanny : C’était seulement le troisième épisode de Passion Modernistes. Le deuxième était sur l’art de la bière à l’époque moderne. Le premier était sur un certain Gaston d’Orléans, donc vous avez encore plein de choses à apprendre. Et si l’histoire vous intéresse, vous pouvez bien sûr aller écouter les épisodes de l’autre podcast Passion Médiévistes qui parle, là, du Moyen Âge. Et vous pouvez retrouver tous ces épisodes sur le site passion-médiévistes.fr et dans le prochain épisode, on parlera des guerres de religion. Salut !
***Chanson d’Anaïs, La Plus belle chose au monde***
Merci à Maëlys pour la retranscription et à Élise pour la relecture !
Chaise d’accouchement pliable du musée de l’hôpital universitaire de Strasbourg. Fin du XIXe siècle. Utilisé par une sage-femme itinérante
Sur les sages-femmes en Alsace :
BOEHLER Jean-Michel, « »Sages-femmes de nos aïeules, qui êtes-vous donc ? » 22 accoucheuses rurales en Alsace moyenne au XVIIIe siècle », Société d’histoire et d’archéologie de Dambach-la-Ville, 33, 1999 (une bonne référence sur les sages-femmes des campagnes, avec une riche analyse sur leur professionnalisation).
Lefftz Jean-Pierre, L’art des accouchements à Strasbourg et son rayonnement européen de la Renaissance au Siècle des Lumières : un des plus beaux fleurons de la médecine, Editions Contades, Strasbourg, 1985. (pas très objectif mais il explique bien le fonctionnement de l’école d’accouchement de l’hôpital civil).
Lichtie Josie, Schneider Malou, Le puits et la cigogne : traditions liées à la naissance dans les familles juives et chrétiennes d’Alsace, Les musées de Strasbourg, Musée alsacien, Strasbourg, 2002. (très bon ouvrage pour comprendre les rites et mentalités liées à la naissance).
Sur l’accouchement et les sages-femmes :
Gélis Jacques, Laget Mireille, Morel Marie-France, Entrer dans la vie : naissances et enfances dans la France traditionnelle, Gallimard, Paris, 1978. (les trois auteurs-rices de référence sur le sujet).
Gélis Jacques, L’enquête de 1786 sur les sages-femmes du royaume, Mouton, Paris, 1980. (bonne référence sur la transformation de l’activité de sage-femme).
Sage-Pranchère Nathalie, L’ école des sages-femmes: naissance d’un corps professionnel (1786-1917), Presses Universitaires François Rabelais, Tours, 2017. (ouvrage très important, elle décrit le processus de professionnalisation des sages-femmes).
Histoire du genre et histoire des savoirs :
Femme ayant accouché à domicile par Sonnini de Manoncourt dans son ouvrage « Voyage en Grèce et en Turquie… », Paris 1801
Dorlin Elsa, La matrice de la race: généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, Paris, La Découverte, coll.« La Découverte poche », n˚ 312, 2009. (aide à comprendre le rôle de la médecine dans la construction du genre).
Ehrenreich Barbara, English Deirdre, Sorcières, sages-femmes et infirmières: une histoirE des femmes et de la médecine, Cambourakis, Paris, 2015. (sur l’appropriation des savoirs médicaux détenus par les femmes).
Boumediene Samir, La colonisation du savoir: une histoire des plantes médicinales du « Nouveau Monde » (1492-1750), Les éditions des Mondes à faire, Vaulx-en-Velin, 2016. (sur les rapports de pouvoir et de savoir dans l’histoire de la médecine. Indispensable pour repenser l’histoire médicale autrement que sous le prisme du progrès).
Freidson Eliot, La profession médicale, traduit par Andrée Lyotard-May et traduit par Catherine Malamoud, Payot, Paris, 1984. (sur la professionnalisation de la santé et la para-médicalisation des sages-femmes comme forme de pouvoir exercé par les médecins sur ces dernières).
Les extraits diffusés dans l’épisode :
Reign – Saison 4 épisode 15 (avec l’accouchement de Marie Stuart)
Documentaire « Un jour à Cologne en 1629 » par Arte, dans les pas de la sage-femme Anna Stein
Anaïs – La plus belle chose au monde
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir). Un grand merci à Simon qui a aidé au montage de cet épisode, vous pouvez le retrouver dans le podcast Les Carencés !
3/24/2019 • 34 minutes, 38 seconds
Épisode 2 – Antoni et l’art de la bière
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baac2aca5').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baac2aca5.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Dans ce deuxième épisode du podcast Antoni vous raconte comment était faite la bière à l’époque moderne.
Antoni Cala
Antoni Cala a réalisé en juin 2018 un mémoire sur les techniques de fabrication et de conservation de la bière du XVème au XVIIIème siècle. Il était sous la direction de Danielle Arribet-Deroin à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne.
En France on s’est beaucoup intéressé à la question du vin et du pain mais assez peu à celle de la bière, donc pour Antoni il était nécessaire de s’intéresser à la bière. Cette boisson est pourtant assez commune et présente dans la culture populaire. Antoni a la particularité d’avoir fait un master d’archéologie, science cousine de l’histoire, qui se focalise plutôt sur la matérialité. Il s’est donc concentré sur la matérialité des techniques, en étudiant notamment des manuels et traités.
Antoni explique dans l’épisode les procédés technique de la fabrication de la bière, étape par étape, en détaillant les différents évolutions au cours des siècles. Il rapporte notamment les querelles entre les Français et les Anglais sur cette fabrication, et fait une mise au point sur les bières dites “historiques”.
Dans cet épisode vous apprendrez que faire de la bière était l’apanage des femmes au Moyen Âge, et si à l’époque moderne le brassage reste encore une activité féminine et domestique, avec l’industrialisation la fabrication passera aux mains des hommes
Une des bouteilles de bière de l’épave du Sydney CoveQueen Victoria Museum & Art Gallery, Launceston, 1992.
Pour en savoir plus voici quelques ouvrages que vous conseille Antoni :
D’Apligny, M. L. P., 1783. Instructions sur l’art de faire la biere : au moyen desquelles chaque particulier peut faire cette boisson chez lui, à peu de frais, & dans la plus grande perfection. Paris: Serviere.
Diderot, D., 1752. « Brasserie ». Dans: L’Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des mrts et métiers. Paris: s‧n., p. 400.
Ellis, W., 1737. The London and Country Brewer. Londres: J. & J. Fox.
Bennett, J., 1996. Ale, Beer, and Brewsters in England. New York (NY): Oxford University Press.
Unger, R., 2004. Beer in the Middle Ages and Renaissance. Philadelphie (PE): University of Pennsylvania Press.
Corbin Laain, Le miasme et la jonquille, 2008
En fin d’épisode Fanny vous fait deux recommandations :
L’émission Sur les épaules de Darwin sur France Inter a consacré plusieurs émissions aux origines de la bière, notamment en Mésopotamie
Le podcast Binouze USA qui vous parle des bières américaines
Les extraits diffusés dans l’épisode :
C’est pas sorcier – La bière
Le seigneur des anneaux – Le Retour du Roi
Jacques Brel – La bière
Transcription de l’épisode 2 (cliquez pour dérouler)
Fanny : Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce deuxième épisode — déjà — de Passion Modernistes, le podcast qui s’intéresse à l’histoire moderne. Vous savez cette période assez courte finalement, du début du XVIe siècle jusqu’au lendemain de la Révolution française, enfin selon l’acceptation commune. Plus que la période, dans ce podcast je vous propose d’écouter ceux qui l’étudient aujourd’hui.
Épisode 2, Antoni et l’art de la bière c’est parti !
Après Sophie dans l’épisode précédent, aujourd’hui je reçois Antoni Cala. Bonjour Antoni !
Antoni : Bonjour Fanny !
Fanny : En juin 2018 tu as fait un mémoire de première année sur les techniques de fabrication et de conservation de la bière du XVe au XVIIIe siècle, à l’université Paris 1 Panthéon — Sorbonne sous la direction de Danielle Arribet-Deroin. Et en fait ce n’est pas un master d’histoire mais un master d’archéologie, tu vas nous en dire un petit peu plus. Déjà, pourquoi tu as voulu travailler sur un tel sujet, donc la fabrication de la bière ?
Antoni : Alors la bière c’est un sujet qui m’est venu très tôt, dès la L2, j’avais eu l’idée de travailler là-dessus. C’est venu dans le cadre d’un cours d’archéologie des techniques, donc tu l’as bien dit c’est sur les procédés de fabrication que je travaille. C’est grâce à une grande dame, qui s’appelle madame Procopiou, archéologue de la période égéenne c’est-à-dire l’âge du bronze pour la Grèce, les îles cycladiques et aussi la Crête, qui travaille sur les techniques de polissage de la pierre à ces périodes-là. Alors pourquoi est-ce que j’en suis venu là ? Elle nous a expliqué et démontré avec force brio qu’on pouvait réfléchir même en archéologie sur la question du sensible. La question du sensible on la trouve très bien en histoire, je pense notamment à Alain Corbin, l’auteur du Miasme et de la jonquille, qui s’est intéressé, par exemple, à cette question de l’odorat. Elle, en se focalisant sur le toucher, pour ce qui est de la question du polissage de la pierre, m’a fait comprendre que oui, même dans une discipline où on s’intéresse particulièrement à la matérialité des choses, on pouvait s’intéresser, par exemple, au goût. Alors pourquoi la bière ? Parce que déjà, c’est un produit que j’apprécie comme bon nombre d’étudiants, surtout en archéologie, mais aussi parce que c’est un produit sur lequel finalement il y a eu très peu d’études de faites. En France, on s’est beaucoup intéressé à la question du vin, on s’est intéressée à la question du pain, mais finalement la question de la bière restait en suspens. Il fallait entreprendre des travaux dessus, parce que c’est finalement un produit très commun, c’est un produit qui a eu beaucoup de représentations, que ce soit dans la littérature, dans le cinéma, ou même dans les arts vidéoludiques, qui a sa place dans l’imaginaire collectif, qui n’a pas été l’objet de travaux scientifiques, que ce soit en histoire ou en archéologie.
Fanny : Alors justement, donc tu as fait un master d’archéologie, c’est quoi la différence avec un master d’histoire normal ?
Antoni : Alors pour moi, parce qu’il y a évidemment plusieurs définitions, l’histoire et l’archéologie sont deux disciplines qui marchent main dans la main, car ce sont deux sciences du passé. La première, l’histoire, qu’on connaît bien, s’intéresse principalement aux sources textuelles. Tous les invités que tu as reçus jusque là nous parlaient de livres de comptes, nous parlaient de sources littéraires. Ce sont des textes qu’ils étudient. L’archéologie quant à elle, se focalise plutôt sur la matérialité. L’exemple qu’on connaît le mieux, c’est celui des fouilles archéologiques, c’est à dire aller chercher dans le sol les vestiges des civilisations passées. Bien sûr, l’archéologie c’est beaucoup plus que ça. On a tendance à réduire justement cette science à l’étude des objets qu’on trouve aussi bien dans les musées que dans la terre, mais c’est aussi toute une démarche qui va s’intéresser à la vie matérielle. Je pense notamment à l’archéologie expérimentale, qui était une des méthodes que j’ai employées, et qui va consister à recréer les techniques du passé par l’expérimentation. On a aussi l’ethnoarchéologie, une discipline un poil plus ancienne, et qui a participé à la création de l’archéologie expérimentale, et qui consiste à observer les populations actuelles qui utilisent des techniques qui pouvaient être utilisées par les civilisations du passé. Ces deux méthodes, en plus des restes matériels, et en plus, bien évidemment, de l’étude textuelle, car on ne peut pas s’en passer, m’ont permis de rendre ce mémoire.
Fanny : Tu as surtout travaillé sur l’Europe, c’est ça ? Sur des régions en particulier ?
Antoni : Bien sûr, alors l’Europe dans le sens large, car à l’époque moderne comme au Moyen Âge, les frontières sont un peu moins perméables que ce qu’on veut bien croire. Pour ce qui est de la bière, il y a évidemment des pôles d’attraction principaux. On peut s’imaginer facilement la Belgique, mais c’est également l’ensemble des territoires germaniques alors sous la domination du Saint-Empire romain, et également les îles britanniques donc l’Irlande et l’Angleterre, qui sont concernées majoritairement par la fabrication de la bière. Mais attention, on a en France également une belle histoire de brasserie, notamment dans les comtés du nord, je pense à l’Artois, mais aussi en région parisienne, à Lyon, à Bordeaux. En somme, on faisait de la bière partout, mais il y a seulement certaines régions où elle a acquis cette place prédominante dans le quotidien des personnes.
Fanny : Tu as étudié les techniques de fabrication et de conservation de la bière sur quatre siècles. Quelles sont les grandes évolutions que tu as constatées ?
Antoni : Les principales évolutions sont en fait celles qui ont régi la plupart des techniques de fabrication dans nos sociétés. Entre le XVe et le XVIIIe siècle s’est opérée la fameuse révolution industrielle, ou du moins ses prémices, en Angleterre et dans certaines régions du nord de l’Europe. C’est l’industrialisation, donc les modes de fabrication plutôt que les techniques qui ont été transformés. Au XVIe siècle, la bière est encore une activité domestique que l’on pratique dans le cadre du foyer, qui est une des activités des personnes, comme la fabrication du pain. Et en ce sens, et c’est aussi intéressant de le noter, une activité qui est alors très féminine, du coup, je suis désolé, c’est une vision caricaturale, mais pendant longtemps, c’est un fait, le travail domestique était un travail essentiellement féminin. Faire la bière, comme faire le pain, comme faire des tas d’autres choses, était donc l’apanage des femmes. Mais il y a eu au début de l’époque moderne, une période un peu plus trouble, un peu plus floue, de transition où le brassage est resté une activité féminine, tout en étant un artisanat à part entière. Il y a tout un ouvrage qui a été écrit là-dessus d’ailleurs, et ça a été une forme d’empowerment justement pour les femmes, on le voit dans les romans de Ken Follett où souvent les brasseuses ce sont des personnages puissants. Seulement, ça Jules Michelet l’a très bien dit, une femme puissante dans ces sociétés-là c’est quelque chose qu’il faut abattre, presque. On a eu des cas, notamment au XVIIe siècle, en Nouvelle-Angleterre, près de Salem. On a vu des femmes, dont des brasseuses, qui se distinguaient sur les marchés par leur grand chapeau, qui possédaient un grand chaudron dans lequel elles préparaient leur bière, qui souvent avaient des chats pour combattre les rats…
Fanny : Ah mais ça me dit quelque chose tout ça…
Antoni : Eh bien [rires partagés] et si je te dis, en plus, leur enseigne était souvent un grand balai…
Fanny : Pour de vrai ?
Antoni : Je te jure que c’est vrai. Bien sûr, c’est purement théorique, mais il y a beaucoup trop d’éléments concordants à mon sens, pour qu’on exclue cette piste. Et, encore une fois, une brasseuse c’est une personne qui a des connaissances en matière de plantes, qu’il faut utiliser pour faire la bière, c’est une personne qui est puissante, car la bière c’est quand même un business qui a toujours marché, on peut dire les choses comme ça, et encore une fois je te cite Michelet, la sorcière ce n’est jamais qu’une femme puissante.
Fanny : Donc les sorcières étaient peut-être des brasseuses ?
Antoni : À mon avis, les brasseuses, c’est leur image qui a donné naissance justement à cette image qu’on a aujourd’hui des sorcières.
C’est une activité qui va passer sous l’apanage des hommes car elle va se professionnaliser, pour petit à petit s’industrialiser. Je marque justement la fin de mon travail avec le début de l’ère industrielle, avec la fondation de la brasserie Guinness à Dublin [NdT : 1759].
Fanny : C’est la première bière industrielle, la Guinness ?
Antoni : C’est la première bière industrielle ? C’est une bonne question. Finalement, on a beaucoup de brasseries qui ont été perdues et qui avaient des volumes qu’on pourrait considérer comme industriels. Ce qui marque l’histoire de Guinness, c’est que c’est celle qui reste encore aujourd’hui, et qui a été une des premières à vraiment systématiser ses modes de fabrication, et avoir surtout une exportation absolument mondiale.
Fanny : Il y a d’autres bières aussi, comme la 1664 qui dans son nom porte elle-même sa date de création ?
Antoni : Bien sûr, et beaucoup d’autres bières par exemple la Grimbergen, qui marque 1126 sur son étiquette, la Leffe qui mentionne le XVe siècle, mais tout ça ce sont des développements marketing.
Fanny : On nous ment !
Antoni : Mais tout à fait ! [rires] Tout à fait, il y a beaucoup d’affabulations sur l’histoire de la bière, ça a été un de mes principaux chevaux de bataille, ça a été de démonter tous les mythes qui ont été construits par le marketing.
Fanny : Alors pourquoi on indique cette date-là ?
Antoni : Ça c’est une spécificité de la Belgique. Je vais faire une dénonciation terrible [rires], il y a dans la juridiction belge une clause qui permet à une brasserie de reprendre le nom d’une abbaye qui a déjà existé, comme l’abbaye de Leffe, l’abbaye de Grimbergen qui sont des abbayes qui ont existé, et de chercher dans tout l’historique de cette bière [NdT : de cette abbaye], la moindre mention dans le plus petit capitulaire de la fabrication de bière. À partir de là on peut dire que ça a été une abbaye qui a brassé de la bière, s’approprier son nom tant qu’on reste pas trop trop loin non plus du site de la maison mère, et utiliser cette date comme date de fondation de la brasserie. C’est un vide juridique, mais qui permet à des bières qui finalement datent de la deuxième moitié du XXe siècle, de se faire passer pour des bières pluriséculaires.
[Extrait de C’est pas sorcier : l’orge est une cousine du blé. On en fait la bière parce qu’elle contient de l’amidon. En effet, la bière est une boisson qui résulte essentiellement de la transformation de l’amidon. Alors il n’y a pas que l’orge, toutes les céréales contiennent de l’amidon. D’ailleurs en d’autres temps et en d’autres lieux, on a fait de la bière avec du maïs en Amérique, du sorgho en Afrique et du riz en Asie.]
Fanny : Alors raconte-nous, quelles sont les différentes étapes pour faire de la bière ?
Antoni : Faire de la bière, finalement c’est quelque chose de très simple. C’est très comparable à la fabrication du pain, et c’est à mon avis pour ça que ça a accompagné l’histoire de la plupart des sociétés humaines partout dans le monde. Faire de la bière, finalement c’est sucrer de l’eau à partir de grains. Pour sucrer de l’eau, qu’est-ce qu’il nous faut, il nous faut un sucre. Ce sucre n’est pas présent naturellement dans le grain. Le grain, on le sait, contient de l’amidon qui va être dégradé par la plante pour sa croissance. On utilise un procédé qu’on appelle le maltage. Le maltage, qu’est-ce que c’est ? Cela consiste à faire germer le grain en l’humidifiant pour ensuite le sécher au four et stopper sa germination, afin de développer des enzymes les alpha-amylases et les béta-amylases qui permettent la dégradation donc de l’amidon.
Fanny : Mais c’est super technique ! comment les gens à cette époque, à l’époque moderne savaient déjà tout ça ?
Antoni : À l’époque moderne, on n’est pas conscient de cette transformation biochimique, c’est par l’expérimentation, par les habitudes, et sans aucun doute aussi par accident que l’on a appris ces techniques. Les premières mentions de malt remontent aux Sumériens, soit le quatrième millénaire avant Jésus-Christ.
Fanny : Ah oui quand même…
Antoni : Bien sûr. C’est quelque chose qui a été sans doute, comme l’hydromel, fait de manière accidentelle. On oublie un peu de pain dans l’eau, il commence à moisir, il commence à se dégrader, l’eau est sucrée, interviennent des levures qui vont faire la fermentation alcoolique chère à Louis Pasteur, la première bière est née. Et ce sont ensuite des améliorations successives, faites par l’observation justement de ces transformations, qui ont permis aux techniques de brassage de naître. Là où on voit que ces expérimentations étaient vue d’un œil très critique, c’est que ces techniques se sont perfectionnées tout au long de l’époque moderne, pour finalement se fixer aux alentours du XVIIe — XVIIIe siècle pour être finalement les techniques que l’on utilise encore aujourd’hui.
Fanny : Qu’est-ce qu’on a eu comme évolution par exemple ?
Antoni : Je pense que la principale évolution se fera d’abord sur la fixation, justement, de la fabrication. On va avoir des procédés qui sont moins hasardeux, on arrive à fixer des normes, et on arrive surtout — ça peut paraître un point de détail, mais qui est très important — à améliorer le processus de filtration. Je te l’ai dit, on utilise un grain qui est broyé, non pas moulu, attention, comme on peut lire dans certains ouvrages, mais bien broyé, et qui donc va se trouver dans l’eau en suspension. Certaines particules sont très fines, pourtant lorsqu’on boit de la bière, on n’a pas envie d’avoir à manger dedans en même temps. C’est quand même une étape nécessaire.
Fanny : Une fois que le maltage est fait, comment ça se passe ?
Antoni : On obtient donc le malt, une céréale particulièrement sucrée, on peut en goûter, ça se fait très bien, c’est avec ça qu’on fait le fameux sucre d’orge, par exemple le maltose, le maltodextrose qu’on trouve maintenant dans les listes d’ingrédients des produits fabriqués [NdT : produits alimentaires transformés]. Ce malt va être broyé, mais pas trop finement. On peut lire dans certains ouvrages qui traitent justement de la question de la bière à l’époque moderne et au Moyen Âge, qu’on utilise des farines, c’est bien sûr faux. Tu le sais très bien, lorsqu’on mélange de la farine et de l’eau on n’obtient pas la bière, on obtient une pâte à pain [rires], question de bon sens. Là où il faut faire attention, c’est que cette eau doit être à une température très précise. Je vais aller plus loin, je vais te dire qu’il faut idéalement qu’elle soit entre 62 et 72 degrés centigrades, plage de température à laquelle les enzymes vont pouvoir agir et permettre la dégradation de l’amidon. Tu vas me dire, mais comment savait-on à l’époque moderne…
Fanny : Oui, c’est ça.
Antoni : …que l’on était entre 62 et 72 degrés centigrades. Là on trouve des exemples absolument très drôles. Je pense par exemple à William Ellis, brasseur de Londres au XVIIIe siècle, qui nous explique que l’on sait que l’eau est à la bonne température lorsqu’elle est suffisamment chaude pour qu’on ne puisse plus y tremper le doigt, mais qu’elle soit suffisamment froide pour qu’on puisse encore se mirer dedans.
Fanny : Ah oui, c’est… c’est pas très scientifique.
Antoni : Pas tellement. Mais là où c’est absolument encore meilleur, c’est que nous autres bons Français, qui sommes alors en pleine époque de la Révolution, et donc dans cet esprit post-Lumières de rigorisme scientifique, on va critiquer cette méthode en disant ce n’est pas objectif…
Fanny : Quoi, les Français ont critiqué les Anglais ? [rires]
Antoni : D’ailleurs dans les textes de l’époque moderne, il y a une guéguerre continuelle entre Français et Anglais sur la fabrication de la bière, un vrai feuilleton. Et donc on trouve un monsieur qui s’appelle le sieur d’Apligny qui a écrit un ouvrage absolument fondamental pour comprendre l’histoire du brassage, Instructions sur l’art de faire de la bière, qui explique que nos amis anglais auraient fort à gagner en utilisant une invention encore toute récente de Monsieur Réaumur, qui est le thermomètre.
Fanny : Ah ah…
Antoni : Et donc, ce qui est encore plus croustillant, c’est que Monsieur d’Apligny a vérifié la méthode de William Ellis, il a mesuré cette température avec un thermomètre. Et il se trouve qu’en employant la méthode de Monsieur Ellis, on tombe pile mais pile sur cette plage de température de 62-72 degrés. Ainsi, on voit que les brasseurs ont pu, grâce à des méthodes totalement empiriques, avoir une précision surprenante, au degré près.
Donc, pour l’instant, on se retrouve avec un jus tout plein de grains, pas très ragoûtant, on appelle cela « une mèche » encore. Cette mèche, on va la faire chauffer pendant environ trois quarts d’heure, une heure, pour en extraire le plus de sucre possible. Il faut ensuite la filtrer. Au cours de l’époque moderne, on va développer des techniques de plus en plus inventives pour filtrer cette mèche, pour finalement aboutir au XVIIIe siècle sur une technique que l’on utilise encore actuellement.
Cette question de la filtration, c’était un des éléments qui me perturbait avant que je commence le travail. Je me disais, mais comment faisait-on ? Aujourd’hui, on utilise des filtres en matière synthétique, qui n’existaient sans doute pas à l’époque moderne. On apprend qu’au XVIe siècle, on utilisait des filtres un peu sommaires, de la paille notamment, ou bien des sacs en toile de jute, pour filtrer cette mèche. Mais Diderot nous apprend dans l’Encyclopédie comment utiliser une technique dit « du gâteau de drêches ». La technique, donc, du gâteau de drêches qui est encore utilisée de nos jours. Cela consiste tout simplement à faire tournoyer la mèche pour déposer au fond le grain qui est présent et former un gâteau, l’image est très parlante, avec les morceaux de grains et surtout avec le son, l’enveloppe du grain de l’orge, qui est un grain vêtu, et qui explique d’ailleurs le choix de cette céréale par les brasseurs, pour former un filtre naturel dans lequel vont se précipiter les débris les plus fins.
Fanny : Et ensuite ?
Antoni : Ensuite, on obtient donc un jus sucré, tout simplement qu’on va mettre à ébullition. Cette ébullition va permettre de le purger des microbes qui s’y trouvaient précédemment, notamment des bactéries lactiques qui pourraient favoriser une évolution vers un liquide plus semblable au vinaigre qu’à la bière, ce qui serait fort dommageable [rires], une ébullition qui va également permettre de faire infuser dans le liquide du houblon.
Le houblon, on en entend beaucoup parler de nos jours, c’est une plante grimpante de la famille du chanvre, qui est une plante sauvage très commune en Europe. On en trouve par exemple sur les bords de Marne. C’est une plante qui avait été décrite dès le XIIIe siècle par Hildegarde [NdT : de Bingen] notamment, qui vantait ses propriétés amères et antiseptiques. Le houblon dans la bière va permettre d’une part de l’aromatiser, ça a un goût amer très caractéristique, et des saveurs de fruits tropicaux par exemple, qui sont aujourd’hui très prisés des consommateurs, mais ça va également permettre de mieux conserver la bière, justement grâce à ses propriétés antiseptiques qui vont empêcher le développement des infections lors de la garde de la bière.
Fanny : Et donc, à l’époque moderne on avait déjà cette notion d’infection et tout ça ?
Antoni : À l’époque moderne, je ne pense pas qu’on ait conscience d’une activité microbienne, surtout dans les milieux des brasseurs où on n’est pas encore à la pointe de la recherche scientifique. Mais, qu’est-ce qu’on voit ? Que si on utilise du houblon, la bière se garde mieux, tout simplement. Mais là encore, c’est un sujet qui a été développé, notamment par le marketing et qui a donné lieu à beaucoup de légendes, comme celle des fameuses Indian Pale Ale, IPA, qu’on retrouve dans toutes les terrasses des cafés parisiens de nos jours [rires] et qui auraient été des bières fortement houblonnées pour permettre de garantir la fraîcheur du breuvage jusqu’à son arrivée en Inde où elle était très prisée des consommateurs anglais. Seulement, si on s’y penche de plus près, on constate qu’en Australie, par exemple, on trouvait déjà de la « small beer », une petite bière faite avec des restes de houblon, finalement qui possède très peu de ses propriétés actives, qui survit jusqu’à Sydney. Dès lors, on voit bien qu’il n’est absolument pas nécessaire de houblonner à fond une bière pour la faire survivre à un trajet jusqu’à Calcutta.
Fanny : Et maintenant il ne reste plus qu’à fermenter, c’est ça ?
Antoni : C’est ça. Là aussi c’est un des grands axes de développement de la bière tout au long de l’époque moderne. En effet, pour fermenter une bière, il faut ajouter des levures. Aujourd’hui les brasseurs peuvent se fournir auprès d’entreprises qui vont fournir des levures en sachet, mais ce n’était pas possible à l’époque moderne. Beaucoup ont pensé que les brasseurs de l’époque moderne utilisaient une fermentation dite spontanée. C’est une technique existe encore aujourd’hui dans la vallée de la Senne en Belgique, et qui permet de produire par exemple des Gueuzes ou des Lambics. La fermentation spontanée ça consiste tout simplement à exposer le moût, c’est-à-dire le liquide sucré que l’on a obtenu, à l’air libre pour que les microbes locaux s’intègrent dedans et prolifèrent.
Seulement cette méthode est très hasardeuse puisque dans l’ensemble de la faune microbienne, il aura bien sûr des taxons [NdT : groupes d’organismes vivants] qui vont nuire à l’évolution de la bière. Il y a vraiment seulement dans certains endroits où l’on peut faire ça en toute quiétude. C’est pour ça que j’ai trouvé que cette idée de toutes les bières modernes qui étaient faites en fermentation spontanée comme étant improbable. En se penchant un peu plus dans les textes, on se rend compte que la culture de levures est beaucoup plus ancienne que ce que l’on pourrait croire. Dès le XVe siècle, on sait réutiliser des levures des bières précédentes, pour réensemencer un brassin.
Fanny : Un peu comme le pain en fait, à ce niveau-là ?
Antoni : Tout à fait. Entièrement. Je pense d’ailleurs que les premières levures de bière ont été obtenues dans le levain boulanger. C’est pour ça que, au début du Moyen Âge, dans les abbayes, la brasserie et la boulangerie partagent très souvent le même bâtiment. On constate aussi que certaines levures sont conservées et échangées entre brasseurs. C’est d’Apligny qui nous parle justement de levures qui sont mises en pot, séchées, comme finalement ce qu’on trouve aujourd’hui. Les fameuses levures en sachet que je pensais inexistantes à l’époque moderne existaient. C’est simplement qu’elles n’étaient pas en sachet plastique mais dans des pots de terre. [rires]
[Extrait du film le Retour du Roi – concours de boisson entre Gimli et Legolas]
Fanny : Donc là, il n’y a plus qu’à la mettre en bouteille maintenant la bière ?
Antoni : La bouteille, c’est une invention un peu plus récente. Elle date justement de la mainmise des Anglais sur le commerce du vin dans l’Atlantique. Ça on le sait, il y a un riche négoce du vin à l’époque moderne qui se fait entre Londres, Bordeaux, Porto et Madère. Au début, ce commerce se fait dans des fûts, des tonneaux ou tout autre récipient en bois. Mais rapidement, on commence à adopter la bouteille en verre qui permet d’avoir un récipient scellé, et qui empêche le négociant de couper son breuvage une fois arrivé [rires de Fanny] et ainsi d’éviter de minimiser ses coûts et de donner un produit de qualité bien moindre.
La bière va adopter ce changement, et là où c’est très intéressant, c’est qu’une bouteille de bière en verre permet d’être refermentée, dans un environnement clos, et donc de garder le CO2 qui s’est développé. Ça veut dire qu’on a là les premières bières pétillantes, parce que oui, jusqu’au XVIIIe siècle, la bière était plate.
Fanny : La quoi ? Comment ? Mais aujourd’hui on a aucune bière plate qui est commercialisée !
Antoni : Alors, ça c’est une habitude très continentale, si tu vas en Angleterre et que tu as la chance de déguster une fameuse bière dite CAMRA pour « CAMpaign for Real Ales », ce sont des bières qui sont donc fermentées de manière naturelle dans des fûts qui laissent passer le CO2, et ce seront donc des bières pas plates non plus, mais pas bien loin.
Fanny : Est-ce que des bières aujourd’hui sont encore fabriquées comme à l’époque moderne ou pas du tout ?
Antoni : Comme à l’époque moderne, oui et non. Oui, parce que finalement le process reste le même, et les méthodes employées peuvent être les mêmes. Si tu fais une bière dans ta cuisine, finalement tu suivras la méthode décrite par Diderot dans l’Encyclopédie. Mais bien évidemment, tu vas utiliser des désinfectants pour faciliter la tâche, et donc dans ce sens, ce ne sera pas une bière « comme à l’époque moderne ». Mais si tu veux te rapprocher du goût qu’avaient les bières à l’époque moderne, tu peux regarder certaines brasseries qui finalement ont des recettes très anciennes. Je pense à la Guinness, comme je te le disais, qui n’a pas bougé depuis le XVIIIe siècle, je pense à la Duchesse de Bourgogne, ou à l’Orval, des bières belges, qui ont continué à utiliser le brettanomyces [levure sauvage de fermentation naturelle, NdT] dont je te parlais et qui ont justement cette saveur qui, à mon avis, est caractéristique des bières de l’époque moderne.
Fanny : Comment se sont déroulées tes recherches pour aboutir à tout ce savoir ? Parce que tu as fait un master d’archéologie, donc tu n’as pas fait qu’étudier les textes, justement. Comment tu as travaillé ?
Antoni : Ma démarche est archéologique dans le sens où elle se focalise sur l’observation de la matérialité. Il y a encore aujourd’hui bon nombre de brasseurs qui utilisent des techniques traditionnelles. Moi-même, je suis ce qu’on appelle brasseur amateur, c’est-à-dire que j’aime le dimanche faire une cuvée de bière dans ma cuisine. C’est justement par l’observation qui m’a permis d’avoir un regard critique, et donc de comprendre quelles étaient les étapes déterminantes dans la formation de la bière, et en quoi justement cela représentait des transformations tout au long de l’époque moderne, et en quoi ça pouvait influer sur le goût final du produit.
Fanny : Alors, quelle matérialité tu as observée ?
Antoni : À l’époque moderne, lorsqu’un brasseur explique ses procédés de fabrication, il donne les siens propres. Seulement, il y a une multitude de variantes et de paramètres possibles lorsqu’on fait de la bière. Justement, ce regard critique que j’ai pu avoir m’a permis de déterminer quelle transformation cela allait faire sur les différents produits, et donc ainsi de comprendre qu’il existait en fait à l’époque moderne, non pas de la bière, mais des centaines de bières toutes différentes les unes des autres, tant par l’aspect que par le goût.
Fanny : Donc tu n’as pas fait d’études de terrain, tu n’as pas, je ne sais pas, examiné des fûts de l’époque moderne ?
Antoni : Personnellement, non. Mais j’ai eu la chance de pouvoir voir des photos. Alors, j’ai eu deux grands sites qui m’ont permis de m’aider à comprendre justement la fabrication de la bière à l’époque moderne. C’est, dans un premier temps, la brasserie de Jean Talon à Québec. C’est dans les premiers temps de la colonisation française du Canada que s’établit Jean Talon, un bourgeois français de Charente, si mes souvenirs sont bons, dans la ville de Québec. Celui-ci était jusque là négociant en vins, mais il installe une brasserie sur le site de la future ville de Québec. Et cette brasserie, qui est située non loin du palais de l’intendant, est encore aujourd’hui en bon état. On va avoir justement les emplacements des chaudières notamment, qui ont permis la fabrication de bière au XVIIIe siècle. Et deuxième site très important, c’est une épave qui se trouve dans le port de Sydney, le Sydney Cove, un bateau affrété par une compagnie britannique Campbell and Clark, qui à la fin du XVIIIe siècle a fait naufrage juste avant son arrivée [NdT : le Sydney Cove a fait naufrage près de la Tasmanie, pas dans le port de Sydney, l’épave est sur le site du naufrage]. D’ailleurs cette histoire est absolument tragique, il y a eu seulement deux survivants qui ont dû faire un périple de plusieurs milliers de kilomètres dans l’outback australien pour regagner la civilisation, et qui est commémoré aujourd’hui en Australie par un trek. Dans cette épave, on a retrouvé notamment des bouteilles de bière encore intactes avec le précieux liquide encore dedans. Et ça, l’institut australien d’œnologie a pu les étudier, et ça nous a permis de comprendre des tas de choses sur la fabrication de la bière à l’époque moderne. Particulièrement sur les taxons de levures qui étaient employés. Je t’en ai déjà parlé tout à l’heure, mais les levures c’est un sujet très vaste. Il existe des tas de variétés de champignons qui permettent justement de fermenter la bière. Les deux principaux le saccharomyces et le brettanomyces. Le saccharomyces est celui qu’on va utiliser en priorité aujourd’hui, la fameuse levure de bière. Le brettanomyces, quant à lui, a une réputation plus sulfureuse. On le connaît dans le milieu du vin, et on le chasse. On a tendance à penser qu’il va apporter des défauts. En effet, au nez il révèle des phénols très caractéristiques et très typés. Pour le décrire, on parle, un peu pudiquement, d’arômes de bois, de cuir, d’écurie. Mais entre nous, je vais te le dire franchement, un brettanomyces dans un vin, et même dans certaines bières, tout ce que ça sent, c’est le cul de poney. [rires]
Fanny : Sur tes sources, tu as eu à la fois un point de vue d’historien, d’archéologue, et de brasseur ?
Antoni : C’est ça. Et c’est justement ce que j’ai voulu mettre en avant dans ce travail. Se dire que, oui je suis archéologue, mais non je n’ai pas fouillé pour mener ces recherches à bien, j’ai brassé.
Fanny : Tu as fait donc un master de première année, et tu n’as pas poursuivi en deuxième année, pourquoi ? Si ce n’est pas indiscret.
Antoni : Au contraire, ça me fait plaisir de répondre à cette question. L’archéologie aujourd’hui, c’est une discipline qui est très compliquée d’un point de vue quotidien. Il y a peu de débouchés, ça on le sait, et la plupart des débouchés sont aujourd’hui très difficiles. L’archéologie, c’est l’archéologie de terrain, la fameuse archéologie préventive, que l’on pratique dans les instituts nationaux donc l’INRA pour les collectivités territoriales, ou dans des entreprises privées. J’ai eu la chance de faire plusieurs stages dans certains de ces services, c’est une vie très difficile. C’est une vie de chantier, donc dans la boue du matin au soir, par tous les temps, c’est une vie où on se pète le dos, c’est une vie qui finalement offre une grande précarité professionnelle et qui implique une reconversion pour beaucoup d’agents.
Fanny : Mais encore plus que le métier d’historien en général ?
Antoni : Je connais pas assez le métier d’historien pour te répondre précisément, même si je pense que l’équivalent c’est le CAPES. Beaucoup d’historiens se détournent de la recherche pour passer le CAPES…
Fanny : …pour ensuite devenir professeur d’histoire…
Antoni : C’est ça. Lorsqu’on est pas à professeur d’archéologie à l’université, on est archéologue de terrain, et aujourd’hui archéologue de terrain, c’est un métier qui est difficile, qui est dévalorisé…
Fanny : Pourquoi c’est dévalorisé ?
Antoni : C’est dévalorisé parce que c’est, par exemple très compliqué d’obtenir un CDI. C’est quelque chose de très bête, très prosaïque, mais qui joue beaucoup sur ta vie quotidienne, finalement. Beaucoup se reconvertissent, passé 35, 40 ans, justement parce qu’ils recherchent plus de stabilité dans leur profession, mais aussi souvent, malheureusement, pour des problèmes de santé, notamment au niveau du dos, je t’en parlais. Et ce choix, j’ai préféré l’anticiper. Je me suis dit quitte à devoir se reconvertir, autant le faire aujourd’hui où je suis jeune, je peux encore me former, et je peux encore construire une carrière.
Fanny : Ton mémoire tu l’as rendu en juin dernier…
Antoni : C’est ça…
Fanny : Là on enregistre quelques mois après, qu’est-ce que tu fais depuis ?
Antoni : Jusqu’au rendu de mon mémoire, j’avais un emploi étudiant, qui est quand même très courant, je travaillais dans la restauration rapide. Finalement j’ai choisi cette voie-là, ce qui était mon job étudiant est finalement devenu ma profession, j’ai beaucoup de chance, et je suis aujourd’hui à temps plein dans ce domaine-là.
Fanny : Pour finir, est-ce que tu aurais un conseil pour les personnes qui voudraient étudier l’histoire moderne, au sens où je l’ai défini au début de ce podcast ?
Antoni : Alors, malheureusement je n’ai qu’un regard moderniste d’archéologue, qui est finalement très peu conscient d’être modernistes. Quand je suis arrivé tout à l’heure, je me présentais comme un médiéviste. Donc finalement, le conseil que j’ai à donner, c’est de garder cette idée d’une perception d’une société où le quotidien ne bouge pas pour 95 % de la population pendant des siècles. Et peut-être garder ça à l’esprit, vous permet d’affiner votre analyse et de se focaliser vraiment sur les éléments qui ont bougé, et qui sont peut-être plus intéressants à traiter.
Fanny : Maintenant, chers auditeurs, vous en savez un petit peu plus sur comment on faisait de la bière un peu au Moyen Âge, et surtout à l’époque moderne, donc merci beaucoup Antoni Cala.
Antoni : Merci à toi Fanny.
Fanny : Si le sujet vous a intéressé, vous pouvez retrouver en description de l’épisode des recommandations faites par Antoni, et moi j’en profite pour vous recommander deux petites choses : alors d’abord l’émission Sur les épaules de Darwin sur France Inter avait fait il y a quelque temps une très belle série d’émissions sur les origines de la bière notamment en Mésopotamie, et si vous aimez la bière je recommande aussi d’écouter le podcast Binouze USA qui parle des bières aux États-Unis. Vous pouvez retrouver le podcast Passion Modernistes sur twitter, sur Facebook, sur toutes les applications de podcast, et si vous avez aimé n’hésitez pas en parler autour de vous ! À très bientôt pour un prochain épisode, salut !
Merci énormément à Marion et Bobu pour la retranscription !
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir). Un grand merci à Lismel qui a aidé au montage de cet épisode, vous pouvez la retrouver dans le podcast La Menstruelle !
2/17/2019 • 31 minutes, 3 seconds
Épisode 1 – Sophie et Gaston d’Orléans
Passion Modernistes
RSS
jQuery(document).ready(function($) {
'use strict';
$('#podcast-subscribe-button-498 .podcast-subscribe-button.modal-6434baac377ad').on("click", function() {
$("#secondline-psb-subs-modal.modal-6434baac377ad.modal.secondline-modal-498").modal({
fadeDuration: 250,
closeText: '',
});
return false;
});
});
Dans ce premier épisode de Passion Modernistes, Sophie Blatecky nous parle de Gaston d’Orléans et de l’histoire rocambolesque de son deuxième mariage.
Sophie Blatecky
Frère de Louis XIII et fils d’Henri IV, Gaston d’Orléans a été pendant un moment candidat au trône de France. Il est connu notamment pour son rôle dans la Fronde, rebelle face à l’autorité royale, le jeune Louis XIV, Anne d’Autriche et le cardinal Mazarin. Mais Sophie s’est surtout intéressée à son deuxième mariage avec Marguerite de Lorraine, la soeur du duc de Lorraine, Charles IV. Son mémoire, soutenu à l’université de Lorraine en 2017 sous la direction de Anne Motta, s’intitule : « Le second mariage de Gaston, duc d’Orléans, avec Marguerite de Lorraine, sœur de Charles IV de Lorraine (1629 – 1643) ».
Ce mariage a d’abord été secret, puis révélé, contesté, au cœur de conflits entre la France, la Lorraine et l’Empire. Et finalement confirmé par le Pape et Louis XIII juste avant sa mort. Sophie vous raconte toutes ces péripéties. Pour vous aider à suivre voici ci-dessous un arbre généalogique de Gaston d’Orléans.
Arbre généalogique de Gaston d’Orléans
Pour en savoir plus voici quelques ouvrages que vous conseille Sophie :
CONSTANT Jean-Marie, Gaston d’Orléans, prince de la liberté, Paris, Perrin, 2013
CONSTANT Jean-Marie, GATULLE Pierre (dir.), Gaston d’Orléans, prince rebelle et mécène, Rennes, PUR, 2017 (catalogue de la dernière exposition sur Gaston d’Orléans, avec plein de jolies images)
JALABERT Laurent, PENET Pierre-Hypolithe (dir.), La Lorraine pour horizon La France & les duchés, de René II à Stanislas, Milan, SilvanaEditions, 2016
Les extraits diffusés dans cet épisode :
Louis XIII of France « Le Juste »
La reine Margot, film de 1994 réalisé par Patrice Chéreau
Gaston d’Orléans – Le jardin des plaisirs et des chimères
La Belle et la Bête – Gaston
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir), merci beaucoup à eux !
1/20/2019 • 31 minutes, 57 seconds
Découvrez le générique de Passion Modernistes
En janvier 2019 un nouveau podcast se lance, Passion Modernistes, découvrez-en le générique.
Dans la continuité de Passion Médiévistes, le podcast Passion Modernistes proposera des interviews de jeunes historiens (en master ou en thèse) qui travaillent sur l’histoire moderne, une période historique qui va de la Renaissance jusqu’à la Révolution française (pour être assez généraliste). Une temporalité plus courte que le Moyen Âge mais aussi très riche en transformations de la société et des territoires.
Pour vous faire patienter voici le générique, réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).